Bombardement allemand sur Rennes, un "coup de pot"

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La relation dans Der Oberschlesische WANDERER

Le 28 juin, 11 jours après le bombardement du 17 juin 1940 sur Rennes, paraît dans Der Oberschlesische Wanderer, (Le Vagabond de Haute-Silésie, organe nazi), page 3, un reportage sur le vol d'aviateurs allemands ayant participé au bombardement des triages ferroviaires de Rennes.

Traduction de l'article


Le capitaine commanda alors : « Attaque en rase-mottes ! »

Trains de munitions et de troupes anéantis – Toutes les bombes au but

                                              Du reporteur de guerre Georg Hinze
                                                                                                              27 juin (Compagnie de Propagande)

Du grand nombre de performances militaires sur et au-dessus du territoire français effectuées ces derniers jours on ne peut que rarement traiter séparément d’un fait extraordinaire dans le compte rendu de l’armée allemande. Par chance, dans le cadre de notre travail personnel pour le communiqué du commandement supérieur de la Wehrmacht, j’ai été autorisé à voir le capitaine L., chef d’escadrille d’un escadron de bombardement. Seul avec son escadrille il a attaqué la gare de Rennes et a anéanti à cette occasion beaucoup de trains français pleins de troupes, de munitions et de matériels. Cette décision audacieuse de son fait ajouta aux dommages incommensurables faits à l’ennemi. Chaque fait important résulte d’une décision. La plupart du temps la décision est actée en minutes, voire en secondes. Mais des hommes doivent eux-mêmes la mûrir en fractions de seconde, aucune demi-mesure n’est autorisée. À qui ose le tout pour le tout appartient alors la victoire totale.

le capitaine L., chef d'escadrille : Alois Lindmayr, portant la Ritterkreuz.

Les nuages protecteurs se dissipent…

La mission de l’escadrille avait été déterminée avec précision comme suit : en exploitant la couverture nuageuse, détruire la gare de Rennes. Elle s’était jusqu’alors déroulé sans particularité. Mais soudain la couche nuageuse s’était, en quelques minutes, réduite ne laissant qu’un léger voile qui se dissipa. Rien n’échappait plus au regard de l’adversaire. Si des chasseurs ennemis survenaient, toute l’escadrille pourrait être perdue. Des pensées de doute et de réflexion assaillirent le capitaine pendant quelques secondes. Il commanda alors: « Attaque en rase-mottes ! » En quelques secondes l’ordre passa d’appareil en appareil. Le visage de la terre se rapprocha, l’escadrille s’y précipita. Seul ou par paire on alla au-devant de la cible.

Parcours des avions allemands constaté pour le bombardement du 17 juin 1940. (Schéma par Etienne Maignen)</ref> [1]

Et alors la gare de Rennes apparut soudainement devant les appareils allemands. Le regard de l’observateur pouvait tout juste saisir la vue tant elle lui apparaissait monstrueuse. Au-dessous, des rails encombrés de longs trains. L’adjudant-chef lanceur de bombes observait à côté du capitaine dans le cockpit de verre poussa un cri de surprise qui retentit dans la coque des écouteurs du capitaine, du radio et du mécanicien. Ses yeux perçants avaient reconnu sur le premier train des pièces d’artillerie et des caisses de munitions, et un regard plus rapide offrait à voir un fouillis général d’autres trains : ici attendaient alignés des wagons-citernes de carburant à proximité de trains de transport de militaires et de wagons de voyageurs surchargés de soldats. Quelle proie unique, jamais rêvée, pour des avions de combat allemands pleins de bombes ! Ce qui se produisit dans les secondes et les minutes suivantes ne pourrait jamais être oublié par les aviateurs allemands, c’était comme si l’enfer s’abattait sur la gare, tombant en plongeon profond d’un ciel bleu dans le vide sur les Français. Les piétons sur la place de la gare, croyant avoir affaire à des avions français avaient fait un geste de la main pour saluer puis avaient suspendu leur mouvement. Les soldats français, uniformes déboutonnés et en manches de chemise, qui ne se méfiaient pas, se promenant près de leurs trains, furent atteints par l’horreur. Ils se cachaient sous les wagons, derrière des butoirs, à des endroits incroyables. Cependant leur peur de la mort ne devait durer qu’une fraction de seconde car, déjà, tombaient les bombes et crachaient les mitrailleuses. L’enfer s’ouvrait sur Rennes.

Et à 30 kilomètres de distance de la cible…

Des heures après leur vol, les aviateurs allemands eurent à faire le rapport des effets observés, résultats de leur attaque réussie. Ils le firent avec cette simplicité inhérente à toutes les déclarations de soldats. Lorsque, malgré tout, on trouve des superlatifs dans leurs rapports, cela en dit long. Le capitaine écrivit : « Les chapelets de bombes atteignirent tous la cible. L’effet fut dévastateur. Tous les trains furent projetés pêle-mêle. Les trains de munitions explosèrent puis d’autres trains en chaîne. Après notre départ, il y eut un épais nuage de fumées de 200 à 300 mètres de hauteur avec des jaillissements de nouveaux foyers de flammes qui se rapprochaient en provenance de lointaines explosions. Dans les constatations d’un lieutenant commandant de bord de la première série on lit : « Mon observateur constata de lourdes destructions et des matériels de guerre volant des wagons en l’air. Aux abords de la gare des trains étaient abandonnés par les troupes qui, paniquées, cherchaient refuge dessous. Sur le chemin du retour, à 30 kilomètres de distance de la cible, mon observateur constatait encore de nouvelles explosions. » Dans une constatation négative se reflète l’effet énorme du bombardement : le commandant de l’avion serre-file fait état au compte-rendu du fait suivant : « Des fragments de trains détruits ont atteint mon avion et déchiré le pare-brise de mon poste de pilotage. L’empennage et des surfaces furent aussi endommagés. »

« C’est aussi un coup de pot »

Comme le rapport de l’OKW (NDLR : commandement supérieur de la Wehrmacht) avait signalé l’entreprise menée avec succès, les hommes s’en réjouirent. Seul le capitaine, lui-même trop modeste, attribua le succès au destin. « C’est un coup de pot » dit-il. Nous avons tous reçu notre mission mais certains ne rencontrent jamais une cible qui en vaille la peine. En revanche, avec mes 25 avions ennemis à l’ouest, j’ai déjà tiré trois fois le gros lot. Ce fut d’abord E. qui a surpris 25 Morane au sol. * voir note Aucun d’eux n’en réchappa. Puis nous avons réussi avec T. à avoir un des appareils français en fabrication sur aérodrome. Et maintenant Rennes ! Ça, c’est bien un coup de pot… »

                                                                                                                                            Traduction Étienne Maignen

* Note Le jeudi 16 mai 1940 entre 12h et 12h30, les Dornier 17 Z survolent le terrain d’Escarmain–Vertain (Nord) à basse altitude, surprenant la défense française. De nombreuses bombes sont larguées tandis que les mitrailleurs arrosent toutes les cibles possibles. La plupart des appareils présents sur le terrain sont mis ainsi hors d’usage, calcinés par les incendies ou criblés de balles : 25 carcasses calcinées de Maurane Saulnier 406 et de Potez 63 furent dénombrées sur le terrain. (cf : https://www.anciens-aerodromes.com/?p=2362#:~:text=Jeudi%2016%20mai%201940%20entre,arrosent%20toutes%20les%20cibles%20possibles.)


Observations sur l’article du Der Oberschlesische Wanderer du 28 juin 1940

Cet article, paru onze jours après les faits, dans ce journal nazi, est signé d’un reporteur de guerre mais est marqué des initiales « PK » : Propaganda Kompanie : compagnie de propagande. Il est donc à considérer avec l’objectif d’une propagande pour son rédacteur. En recoupant les données qui y figurent avec des constats faits sur le bombardement allemand des triages ferroviaires de Rennes le 17 juin 1940, on peut y trouver certaines explications ou confirmations.

La mission

En tête de l’article, la mission est indiquée comme précise : détruire la gare de Rennes. Cet ordre paraît normal car la gare de Rennes était le point de passage de tous les trains utilisés pour acheminer les troupes françaises et britanniques, dans la débâcle, vers les ports bretons. L’arrivée des avions sur Rennes ne semble donc pas ressortir du hasard. Cependant il est noté plus loin que le petit nombre d’avions sur Rennes n’exclut peut-être pas un vol de maraude.

Les conditions météorologiques

Alors que ce matin du 17 juin le ciel est bleu sur Rennes et que, vers 10 heures, il fait déjà chaud, on constate que les aviateurs allemands sortent d’une zone nuageuse et que le beau temps sur Rennes les surprend. Cette différence est crédible puisqu’il apparaît que les avions ont fait l’approche sur Rennes en la contournant au large par le nord pour l’aborder par l’ouest.

L’apparition soudaine des faisceaux de triage encombrés

Abordant la ville par l’ouest, le commandement d'exécuter le vol en rase-mottes est constaté par des témoins rennais et les aviateurs peuvent voir au loin devant eux, au-delà du centre-ville, les triages ferroviaires surchargés. L’arrivée par l’ouest visait à s’assurer de l’existence ou non d’une DCA ou d’avions ennemis susceptibles de rendre dangereuse et gêner l’opération. La crainte de pareille situation est exprimée par le chef d’escadrille au vu du beau temps sur la ville et il ordonne le vol en rase-mottes qui diminue les risques.

Do 17 Z du KG 76 comme l'indique le diable rouge de l'emblème

Le nombre et le type d’avions

Des témoins à Rennes ont déclaré avoir vu les uns des Stuka, d’autres des Heinkel, quelques-uns des Dornier, et même des avions italiens alors que Rennes leur est hors d'atteinte. Or l’article énumère la composition d’équipage : commandant de bord, lanceur de bombes, radio, mécanicien. C’est l’équipage d’un Dornier, seul bombardier allemand portant en 1940 quatre membres d’équipage. De plus, la lettre « L » attribuée comme début de patronyme au chef d’escadrille, correspond au nom Lindmayr, le commandant interrogé par le rédacteur ayant d’ailleurs fait état, à la fin de l’article, de destructions antérieures d’avions français au sol qui ont bien été de son fait. Le fait que le commandant d’escadrille soit le capitaine Alois Lindmayr confirme la marque des appareils et leur unité de Dornier 17 Z du Kampfgeschwader 76 (escadron de bombardement). L’article comporte une indication sur le nombre d’appareils sur Rennes : la crainte prêtée au commandant au vu du beau temps est : « toute l’escadrille pouvait être perdue », et une escadrille comportait douze avions, mais il est certain que les témoins n’ont vu que cinq, voire trois avions. Le terme d’argot de la Luftwaffe « Kettenhund », désignant l’avion le plus haut en arrière, comporte ce terme « Kette » qui définit un groupe de trois avions. S’il y avait eu plus d’un kette, ce sont six avions que les témoins devaient compter, et non cinq. Ce petit nombre d’avions mis en mission pour la gare de Rennes pourrait laisser penser que le bombardement de la gare fut entrepris lors d’un vol en maraude de recherche de cibles intéressantes mais il faut tenir compte du fait que l’aviation française, à la mi-juin de 1940, était considérablement réduite et désorganisée au point que, la Luftwaffe ne la craignant plus, elle aurait pu n’utiliser que quelques appareils pour une mission de cette ampleur.

Les soldats et civils à Rennes

La description de soldats en uniformes ouverts et en bras de chemise, se promenant le long des trains est réaliste, vu le beau temps de la matinée du 17 juin, de même que leur panique lors du bombardement. Le salut de la main de civils croyant voir des avions français l’est aussi car les appareils allemands passant au-dessus de la gare, en provenance de l’ouest, n’ont pas encore entamé leurs destructions qu’ils effectueront une fois les triages pris en enfilade à partir de l’est.

L’amplitude des dégâts

Le chef d’escadrille fait état d’un coup de pot, observation compréhensible car si la mission était de détruire la gare de Rennes, avec seulement quelques avions, ce sont l’ampleur de l’encombrement des triages et le voisinage de trains de munitions et de trains de troupes qui permirent d’effectuer des dégâts avec réaction d’explosions en chaîne dépassant l’attente des aviateurs allemands. Le fait qu’un des avions fut touché par des débris projetés n’est pas étonnant, les témoins au sol ayant constaté des projections en hauteur et sur plusieurs centaines de mètres, il en est de même de la perception d’explosions à des dizaines de kilomètres de distance.

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