Chronique vezinoise sous l'occupation n°07

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Souvenirs d’un enfant


Comme l’occupant, les parasites nous occupent

Notre devise: hygiène et propreté


Le matin, nous les enfants Gilmet, sortons de chez nous, propres comme des sous neufs: Soit pour nous rendre à l’école ou à la rencontre de jeux qui se déroulent parfois dans la cour située entre la maison de chez Trincart et le mur qui occulte la propriété de chez Touffet. Sont souvent présents, les deux Jeanine, Gaby, Guy, Alphonse et moi. Georges est trop grand pour participer à nos jeux de filles. Il préfère, quand la saison s’y prête, aller avec Gaston Pitois ramasser des châtaignes pour les revendre afin de se faire quelques pratiques.

Bien longtemps après la guerre, madame Trincart, à l’occasion d’une visite que nous lui rendions, nous rappelle combien elle aimait ma mère qui faisait, disait-elle, son admiration par son courage, sa volonté de bien tenir sa maisonnée et travailler à la fois à l’extérieur pour récolter quelques ressources supplémentaires. Nous sommes toujours bien propres le matin, à l’image de son intérieur toujours bien astiqué. Le soir, pour nous, c’est une autre affaire.

Souvent les gens du Nord ont pour devise hygiène et propreté, c’est en tout cas celle de ma mère. Cette devise qui, mise en application, fait parfois le désespoir de notre propriétaire. Dans l’esprit de ma mère tout doit être lavé et désinfecté chaque semaine dans la maison. Madame Bigot n’a pas le même point de vue, elle reproche les lavages du plancher trop fréquents, à grande eau fortement javellisée qui font, dit-elle : « pourrir le plancher ».

Les parasites sont partout

Les parasites tels que punaises, cafards, poux sont par excellence des compagnons de misère qui prolifèrent particulièrement en temps de guerre. Peut-être à cause des pénuries et de la promiscuité de vie qu’elle impose. Je dis compagnons, en effet ces petites bêtes sont très attachées à nous. Lorsqu’elles s’installent, elles ne nous quittent pour ainsi dire plus.

À leur base et à une hauteur d’un mètre, les murs de la pièce que nous occupons sont garnis de lambris et les lambris garnis de punaises. Entre la boiserie et le mur, grouillent des colonies de ces infectes et horribles bestioles puantes qui, écrasées, exhalent une odeur nauséabonde. Les matins nous nous réveillons souvent pleins de morsures qui démangent, car c’est la nuit que se manifeste cette engeance. Mon père essaie différents produits pour les éradiquer. En désespoir de cause il injecte de l'alcali à travers chaque interstice de la paroi de bois. Il semble que cette solution paraisse être la meilleure, toutefois la durée d’efficacité du produit n’est malheureusement que provisoire. Les sujets sont calmés pour un temps, ils reviennent rapidement au galop. On les entend sentir de loin.

La chasse aux cafards est pratiquement ouverte toute l’année rien n’arrête leur prolifération. Il faut les attraper et les é…cra…ser. Rappelons que le pays est occupé par une autre engeance que nous pourrions aussi nommer cafard mais que nous préférons baptiser doryphores. Comme eux ils dévorent et confisquent tout dans notre maison « la France ». Ils ne laissent que très peu à ses légitimes locataires.

La guerre aux poux

La majorité des enfants du village ont, ou ont eu, ou auront des poux. Après un bon nettoyage tout laisse à penser que leur tête est débarrassée de ces bébêtes. Mais non ! Les lentes tapies à la base des cheveux, bien cachées, les feront renaître comme le phénix renaît de ses cendres. Pour les combattre il existe le petit peigne fin à deux côtés symétriques. Ses dents sont très fines et très rapprochées. Cet instrument très pratique est présent dans presque tous les foyers. Quand ma mère décide d’entreprendre l’opération exfiltration des poux, il faut d’abord déplier largement un journal sur la table. Quand il s’agit de mes sœurs, les filles ont une chevelure plus abondante que les garçons, c’est connu, elles ont la tête bien penchée au-dessus du journal Le Nouvelliste. Elles passent méticuleusement le peigne dans leur chevelure, de la racine à son extrémité. Chacun contrôle que les bébêtes tombent bien sur le papier journal. On les écrase sans pitié entre les deux pouces. C’est une victoire pour chaque poux qui chute et nos victoires ne se comptent plus.

À noter que le journal Le Nouvelliste est facile à déplier, il se compose comme tous les journaux, d’une seule page. Il n’y a plus assez de papier, pourquoi ? Les doryphores aiment aussi la pâte à papier !

Peut-être est-ce pour faciliter l’hygiène des cheveux ou s'agit-il là d'une nouvelle mode, ainsi les cheveux des filles sont très souvent coupés court, à la Jeanne d’Arc dit-on. C’est un bon point qui ne suffit pas pour autant à se libérer des parasites. Les lentes demeurent bien accrochées aux cheveux. Le vinaigre conviendra donc comme pesticide, aucun autre produit n’est mis à notre disposition. Les filles rechignent à utiliser le vinaigre, elles disent qu’il laisse sur la tête une mauvaise odeur. C’est un combat de tous les jours. Tout ce qui est éradiqué aujourd’hui à la maison est vite repris à l’école ou ailleurs.

Le sarrau dangereux

Ma mère ou peut-être la couturière, madame Bouget, m'a confectionné un sarrau, taillé dans une épaisse toile de récupération, de couleur kaki. Tissu à toute épreuve destiné aux jeux difficiles, il me faut bien cela. Sur cette toile demeurent encore quelques marques résiduelles, indélébiles, des petites lettres imprimées en noir. Quelques unes d’entre elles apparaissent encore au dos du sarrau trop en évidence à mon goût. J'avais croisé auparavant, entre Montigné et le Bourg, des prisonniers de guerre, des Russes, utilisés par les Allemands pour l’installation de lignes téléphoniques. Ces bonshommes ont tous sur le dos de leur vêtement, bien visibles, deux lettres inscrites en noir KG. (Kriegsgefangener). Je sais qu'il s'agit de prisonniers de guerre. J’ai immédiatement fait une relation entre leurs lettres et les miennes, ce qui m’amène à refuser de porter ce sarrau. En définitive je n’ai pas le choix, ou je le porte sinon je reste à la maison. Le choix est rapidement fait. Je suis alors très inquiet, je fais très attention lors de chacune de mes sorties. Ainsi quand j’aperçois sur mon chemin un Allemand ou un de leurs véhicules qui passe, je me précipite vers une maison et je m’adosse, le dos bien plaqué contre la muraille. Je reste immobile collé à la paroi, tant que le danger, représenté par l’Allemand, est en vue. Vous pensez, la couleur kaki de mon tablier, c’est un signe militaire !… Les lettres noires inscrites dans le dos, que j’imagine énormes !… Je crains que l’ennemi pense que je suis un prisonnier de guerre évadé et m’emmène, je ne sais où, loin de maman.


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Le ravitaillement de fin de semaine

Mon père est toujours soucieux d’approvisionner le garde-manger familial. Il faut garnir les estomacs et remplir les bouches qui ne se referment que durant le sommeil ou distraites par les jeux et les bavardages. Sous l'Occupation, sans connaître l'abondance, à table les assiettes sont suffisamment remplies. Pour ce faire, il faut traficoter un tantinet, oui ! Au moins un petit peu, système D. Mon père fait du marché pas vraiment noir, disons gris, du troc. Il travaille à Pi-Park chez les Allemands, route de Lorient. Il a négocié avec sa hiérarchie de ne jamais travailler le samedi après-midi. Semaine anglaise pense-t-il, mots à ne pas prononcer devant l’Allemand. À l’époque tout le monde ou presque travaille six jours sur sept. Pendant la semaine mon père fait de la perruque durant son temps de travail. Perruque = Travail pour son compte personnel... das ist verboten... … Il y a aujourd’hui prescription. Au travail il peut disposer de machines outils qui lui permettent de fabriquer toutes sortes de pièces qui peuvent servir aux agriculteurs qu'il visite chaque fin de semaine. Il arrive qu’on lui passe même commande. Le poids des pièces transportées se limite au poids supporté par sa bicyclette, laquelle est brave et courageuse. Il revient des déplacements des fermes qu’il a visitées avec les sacoches souvent bien garnies. Il y a toujours du beurre à la maison. Chaque fin de semaine est à recommencer.

Albert René Gilmet

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Février 2013

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