Exécution d'Anne Marie Dubois en 1818

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Le 25 mai 1818, à l'unanimité du jury, la Cour d'assises de Rennes condamne Anne Marie Dubois pour empoisonnement à la peine de mort[1].

Accusée d'avoir empoisonné son mari le 27 janvier dernier, elle a 17 ans et est cultivatrice avec ses père et mère au village de l'Abbaye des landes, commune de Pléchatel. Le même arrêt apprend que son mari s'appelle Pierre Monnier ; qu'elle mesure 1,516 m. ; a les cheveux et sourcils châtains, le front bas, les yeux roux ; qu'elle est aussi condamnée aux frais de la procédure liquidés à 649,15 francs[2].

Suit le procès-verbal de l'exécution au Champ de Mars le 18 juillet :

« Ce jour dix huit juillet mil huit cent dix huit aux onze heures du matin, je soussigné [Chesnel] greffier de la cour royale de Rennes rapporte m'être transporté sur la place du Champ de Mars de cette ville, lieu ordinaire des exécutions à mort où a été amenée par l'exécuteur des arrêts criminels, Anne Marie Dubois, veuve de Pierre Monnier, cultivatrice âgée de 17 ans passés, native et domicilée de la commune de Plechatel, assistée de Mr Leon prêtre desservant l'église succursale de Saint Aubin et escorté d'un piquet de gendarmes à cheval et d'un peloton de troupes de ligne, ladite Dubois a eu immédiatement la tête tranchée à onze heures et demie ».

Commentaire

Cette décapitation est exceptionnelle, étant déjà sauf erreur[3] la seule de l'année. On trouve bien le 20 novembre 1818, la condamnation à la peine de mort de François Michel, 54 ans, marin originaire et domicilié de Plouguiel, fils de Pierre et Olive Legratiet, (taille de 1,59 m.) pour une tentative d'homicide de Vincent Le Bouvier? après annulation des débats de la Cour d'assises des Côtes-du-Nord et renvoi à celle de Rennes... « sur la place publique du Champ de Mars » de cette ville, mais il n'y a pas d'enregistrement du procès-verbal de l'exécution.

Elle est également exceptionnelle pour être celle d'une femme et pour un motif autre que l'infanticide, la grande cause de peines capitales pour elles. Elle l'est enfin pour la jeunesse de l'accusée : l'étude du dossier de procédure fournirait bien des détails sur l'affaire, mais il est déjà patent qu'il y a à la base un mariage précoce et forcé, probablement par une grossesse elle-même subie. Il reste étonnant qu'une personne aussi jeune décide ainsi de reprendre la main sur le destin qu'on lui impose.

Les faits

Tous les témoins confirment l'hypothèse du mariage à la fois forcé et précoce par le souci d'un bon mariage du point de vue patrimonial, sans qu'une question de grossesse prématurée intervienne. L'un d'eux est on ne peut plus clair, l'accusée s'adressant à sa mère : « Vous m'avez fait l'épouser malgré moi et jamais je ne l'aimerai ; au reste Anne Marie Dubois pleura toute la journée de ses noces ».

Selon un autre : « Anne Marie Dubois épousa religieusement Pierre Monnier dans le courant de juillet dernier, ne portait pas grande amitié à son mari qui paraissait l'aimer beaucoup ; qu'Anne Marie Dubois fut en quelque sorte forcée par sa mère d'épouser Monnier parce que c'était un bon mariage et le jeune homme un bon garçon ; qu'il n'habitait point la maison de sa femme et y venait seulement pour faire l'ouvrage de la maison ».

L'arme du crime est l'arsenic, à la diffusion pourtant contrôlée. Le mari l'ingère avec la soupe du midi et meurt vers 22 heures après des troubles qui n'ont cessé d'empirer jusqu'à l'agonie ; l'aide de travail est également malade très probablement en raison de quelques grains tombés dans son écuelle par une maladresse visant à brouiller les pistes. Après une ou deux tentatives, Anne Marie Dubois avait obtenu le poison chez un chirurgien de Bain qui « séduit par son air de franchise et d'innocence eut la faiblesse de lui donner une dose d'arsenic telle qu'il la donnait ordinairement à Orain pour penser un boeuf... ». Ce fait et tous les autres détails tracent le schéma d'une adolescente qui, après avoir satisfait aux formes socialement imposées et être rentrée dans le piège, fait preuve d'une forte détermination pour recouvrer sa pleine liberté. De son côté, la victime ne paraît avoir aucune espèce de responsabilité dans le drame, à moins que c'en soit une de respecter la volonté contraire de sa femme ou de s'en accommoder.

Le dossier de procédure précise la jeunesse de l'accusée née le 21 germinal an 9 [11 avril 1801], de René et Louise Olivier. Le mariage en mairie date du 28 juillet 1816 [Elle a donc 15 ans.][4] et à l'église de juillet 1817 ! Le marié "sur le papier", Pierre Monnier, habitait toujours avec sa mère, Jeanne Judin, au Cleux en Bain de Bretagne. Par ailleurs, des témoignages sont particulièrement intéressants quant'aux pratiques alimentaires, en cette journée de fumage des terres.

Enfin, Anne Marie Dubois avait rédigé un pourvoi en cassation le 27 mai et a été exécutée deux jours après réception de la réponse de Paris !

Notes

  1. Cote 2U 294 et 2U 452 des Archives départementales d'Ille-et-Vilaine.
  2. 650 francs correspond à la valeur de l'ensemble des biens meubles qu'on pouvait trouver dans l'inventaire au décès d'un couple de petits agriculteurs à cette époque, une vache valant par exemple autour de 45 francs ; des sommes moindres étant très courantes.
  3. Suite à la publication de ce texte ici, un contributeur de Wiki-Rennes m'a confirmé que le marin François Michel a bien été exécuté à Rennes le 9 janvier 1819 selon l'état civil.
  4. La majorité est à l'âge de 25 ans et les mariages à moins de vingt ans sont inhabituels.