Les Gayeulles : août 1944, le champ de courses devenu hôpital militaire de campagne

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Rédigée en juin 1945, l’histoire de l’unité 108th Evacuation Hospital de l’armée américaine relate l’étape à Rennes de cet hôpital de campagne, juste après la libération de la ville.

À gauche,l'hippodrome des Gayeulles en 1950, et l'actuel quartier avec le parc (de GéobretagneIGN BD ORTHO Historique 2011)

« Le dimanche matin, 6 août 1944, « Ça y est » se formula dans nos esprits alors que nos véhicules se formaient en convoi à l’aube. Les participants firent une pause et s’agenouillèrent au bord de la route pour un bref office célébré par l’aumônier. La plupart d’entre nous se sentaient l’âme fortifiée à l’embarquement à bord des camions, direction le sud vers Rennes.

Les tribunes de l'hippodrome

La plupart d’entre nous n’oubliront pas la descente de la péninsule du Cotentin en vue de cette première installation à Rennes. Nous étions naturellement excités à la perspective de mettre en pratique les cours et manœuvres suivis dans le Tennessee. Le soleil brillait ce dimanche matin et la route était bordée de gens heureux qui nous acclamaient. Cela faisait tout juste deux jours que les chars de la 3e Armée avaient parcouru ce territoire et les paysans dans les quelques habits du dimanche qui leur restaient étaient sortis en force pour célébrer leur premier dimanche de liberté depuis quatre ans. Les femmes et les filles riaient, agitaient la main et offraient de jolis bouquets de fleurs. Chaque fois que le convoi ralentissait, les hommes sortaient avec des bouteilles de cidre et de cognac. Nous commencions à penser que la descente de la Route de la Gloire par Sherman n’était pas vraie.[1] Cette affaire de guerre n’était pas si terrible. On comprit bien vite notre erreur.

Avant le coucher du soleil nous arrivâmes sur une grande prairie verte, protégée à un bout par un petit bois. Les camions s’alignèrent dans le champ mais l’ordre de débarquer ne suivit pas. On vit l’officier commandant (le colonel James E. Yarbrough) en discussion avec un lieutenant d’infanterie énervé. Bientôt on se retira dans les camions qui démarrèrent. L’officier d’infanterie avait aménagé des nids de mitrailleuse camouflés au bord du champ pour piéger un groupe d’Allemands qu’on s’attendait à voir sortir du bois cette nuit. Le site proposé pour l’hôpital était dans sa ligne de tir.

Une employée américaine de la Croix-Rouge au centre d'accueil, allume la cigarette d'un soldat français blessé. Au premier plan un képi de gendarme

Notre site potentiel était un hippodrome avec tribune, gazon, barrières pour les steeplechase. Nous plantâmes les tentes communes sur le gazon central entouré par la piste. Quelques-uns se dirigèrent par habitude vers les guichets des paris mais découvrirent qu’ils étaient devenus des salles de stockage. Il semblait bien que les seuls à courir aujourd’hui, c’était nous. Nous nous dispersâmes sur place, traînant tentes, piquets et cordes tandis que d’autres creusaient des trous de tirailleur. Ils s’avérèrent utiles la première nuit et même toutes les nuits de notre séjour. Chaque soir à 22 heures un avion allemand solitaire survolait la zone. Il était assuré d’un accueil chaleureux des mitrailleuses qui entouraient le champ mais de gros éclats de DCA tombaient aussi sur la piste. Le rugissement de son moteur, les aboiements des canons et les chutes de la DCA tombant alentour nous faisaient courir vers les trous. On n’a jamais vu déplacements aussi rapides. On l’appela « Charlie dodo » (Bed check Charlie) pour sa ponctualité nocturne à venir nous border.

À l’ouverture de l’hôpital nous fûmes débordés. Les blessés affluaient et on commença à se rendre compte que la guerre était un boulot terriblement dur. Docteurs, infirmières et soldats travaillèrent jusqu’à l’épuisement. Personne ne pensait à soi. Le slogan implicite était « Soignons les gars » et, au travail, les cœurs comme les yeux pleuraient. On voyait alors corps déchirés, os broyés et chairs brûlées. Qu’importait que la chair fût blanche, noire, américaine, française, voire allemande. On n’arrêtait pas. Pendant ce séjour beaucoup des patients étaient du fer de lance de la 4e division blindée * [2] et des vétérans du Jour J des 1re et 29e divisions d’infanterie. On fit tout notre possible. Si les vues pitoyables dont nous étions témoins perturbaient nos quelques instants avant de s’endormir, nous avions aussi la satisfaction d’avoir aidé à réparer les dégâts". [3]

(traduction d’Étienne Maignen)

références

  1. Allusion à un épisode de la guerre de Sécession au cours duquel l'armée de Sherman descendit vers Vicksburg
  2. Libération de Rennes La 4e DB du général Wood est à l'origine de la libération de Rennes avec le combat du 1er août 1944 à Maison Blanche
  3. http://www.med-dept.com/unit-histories/108th-evacuation-hospital/