Lors du débarquement, émoi à Rennes

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L'émoi à Rennes : espoir et peur

Les hauts gradés allemands de la VIIe Armée arrivent en fin de soirée du 5 juin à Rennes en vue de participer le lendemain à un exercice sur cartes et maquettes en vue d'un débarquement (Kriegspiel). C'est au 11, quai Lamennais, dans le bel hôtel de Farcy, qu'ils avaient rendez-vous le 6 juin, alors même qu'à l'aube commençait le débarquement des troupes alliées avec des parachutages en Normandie. À l'annonce de l'invasion, à 1 h 45, MM. les généraux se rhabillèrent, quittant Rennes pour rejoindre leurs postes ou, en route pour Rennes, rebroussèrent chemin tandis que les Rennais dormaient.


Ouest-Eclair du 7 juin 1944

6 juin 1944,vent de panique à Rennes !

Le débarquement du 6 juin 1944 émeut à Rennes occupés et occupants.

Ouest-Eclair du 8 juin 1944

Si la nouvelle du débarquement entendue à la TSF a rempli d'espoir les Rennaises et les Rennais, il en a résulté un vent de panique, comme si les 150 km entre les plages du débarquement et Rennes allaient être franchis dès le lendemain par les armées alliées et mettre la ville dans la situation périlleuse de combats. La panique fut d'abord le fait de la garnison allemande et les habitants observèrent des mouvements apparemment désordonnés comme dans une fourmilière bouleversée. "Les Alliés ont débarqué en Normandie ! Les Rennais l'apprennent à 8 heures. Et, avec l'espoir arrive la crainte car des tracts largués sur la ville annoncent un prochain bombardement. Les alertes sont fréquentes, aussi beaucoup fuient-ils à la campagne. [...] les Allemands s'affolent, les auxiliaires féminines de l'armée, les "souris grises", ont été embarquées en camion dès le matin, des soldats prennent partout des bicyclettes, des officiers partent en autos, en camions, emportant leurs valises. "Ils partent !" Personne n'en croit ses yeux. On s'interroge dans les rues désertes. Est-ce possible ? Les routes sont barrées par les Allemands, ce qui a empêché l'arrivée du ravitaillement. [1] La ville est sans lait. Il y a sept alertes dans la matinée." [2] Les divers accès à la ville furent fermés, empêchant entrées et sorties, occasionnant des ruptures d'approvisionnement en denrées. On dit qu'un mariage fut enfin célébré difficilement après la recherche et d'un conseiller municipal et d'un prêtre, quant au restaurateur retenu, il n'avait rien préparé, certain que les convives avaient fui[3]. Fonctionnaires, ouvriers, chefs d'entreprise, commerçants de prendre le large, abandonnant toute activité.

Dès le lendemain du débarquement le maréchal Pétain abjure les Français de ne pas se mêler de cette invasion et de rester calmes et obéissants. Le 7 juin au matin douze personnalités, dont le futur maire de Rennes Yves Milon, sont internées au camp Margueritte, à titre d'otages. Les cérémonies de la confirmations prévues dans de nombreuses paroisses le 8 juin sont reportées. Le 8 juin, le préfet régional demande aux Rennais qui ont fui la ville de reprendre leurs postes; ce même jour, 32 résistants furent fusillés dans la caserne du Colombier et les Bombardements des 9 et 12 juin 1944 et et le Bombardement du 18 juin 1944 effectués par les alliés pour empêcher les renforts allemands de remonter vers la côte normande, ramenèrent cruellement les Rennais aux horreurs de la guerre.

Après le bombardement du 9 juin 1944 : fiche d'évacuation d'une famille de 5 personnes vers Liffré, en date du 9 juin 1944
Arrivage en coïncidence...

Témoignages

L'Ouest-Eclair du 6 juin, édition de Rennes, comportait un étrange article qui inquiéta le censeur allemand qui craignait d'avoir laissé passer un message codé annonçant le débarquement: Aujourd'hui, arrivage de poisson.

Amusante coïncidence

...J'apprends alors qu'il y a eu un incident avec le censeur. Le matin, le journal portait dans l'édition de Rennes "Aujourd'hui, gros arrivage de poisson", en doris. Des gens d'esprit ont cru qu'on annonçait ainsi le débarquement. ils ont fait part de leur trouvaille au censeur. Le censeur est ému. Il a fallu prouver qu'outre les gros poissons d'acier de la Home Fleet il était bien venu du poisson comestible. Il y a vraiment d'amusantes coïncidences.

Pierre de La Haye

Bobards et nouvelles d'un débarquement

Mardi 6 juin 1944

8h30 - une fois couché, impossible de dormir. plusieurs alertes accompagnées de DCA et de la DCA sans alerte. Armande me réveille pour me dire que son père vient de lui téléphoner. D'après la radio suisse, les Anglo-américains auraient débarqué entre Le Havre et Calais. Dans les magasins du quartier, elle a entendu parler de débarquements à Dunkerque, dans le Calvados, etc. Chacun a des nouvelles à dire, nouvelles qu'il prétend de bonne source et qui sont contradictoires.

9h30 - Le bruit circule que la ville est fermée par les chevaux de frise et que les Allemands exécutent le plan de sécurité, occupant de petits postes, un peu partout, dissimulés dans la campagne autour de la ville. Quoi qu’il en soit, des gens quittent Rennes, par la rue de Fougères, à vélo, avec des voitures de bébé, emportant de maigres bagages. C’est avec moins de nombre et de gravité l’exode de Belgique de juin et mai 1940. Beaucoup de gens reviennent sur leurs pas. Est-ce que leur désir de fuir a été contrarié par les Allemands aux « portes » de fil de fer barbelé de la ville ? Est-ce que leur conviction de trouver ailleurs plus de sécurité qu’en ville s’est émoussée en déambulant sous un ciel gris, menaçant, au milieu des alertes données de deux heures en deux heures et scandées par la DCA ? Le bruit circule que les Allemands laissent passer les femmes et les enfants mais ne laissent pas partir les hommes.

On a besoin des transports (Ouest-Eclair 8 juin 1944)
Fonctionnaires partis et révoqués (Ouest-Eclair du 16 juin 1944)

Rennes est devenue une souricière. Tout en regardant le triste spectacle de la rue, où les autos allemandes vont et viennent à grand train, où les gens quittent un abri pour rentrer dans un autre y colportant des bobards, où passent et repassent des familles entières, valises aux mains, je m’habille […] et j’écoute les bruits du dehors que ma femme m’apporte de temps à autre. J’apprends ainsi que les avions ont jeté vers 7 heures un tract demandant l’évacuation de la ville, trop tard pour nous. Un second tract a été jeté sur les régions côtières annonçant que sur 35 kilomètres en profondeur il y a danger de bombardement. Je lis le premier tract relevé à Saint-Laurent.

12 heures - […] les alertes continuent, il pleut, des gens semblent s’être heurtés aux Allemands gardant les chevaux de frise à l’entrée de la ville. Toutes les hypothèses sont vraisemblables […] Quant aux opérations, j’apprends que c’est entre Isigny et Le Havre que le débarquement s’est opéré. On dit que ça va bien. […]

14h30 ; En rentrant à midi à la maison j’ai vu un beau désordre. Les gosses avaient sorti tous leurs cubes de construction ou de dessin et tous leurs soldats et ils faisaient un débarquement. Il y avait de la DCA, des avions, des bateaux. C’était pas bête, c’était même ingénieux. Nous avons beaucoup ri […] Après le repas je suis allé voir Mlle Gendrot. J’ai vainement sonné boulevard Volney. J’apprends qu’elle s’est repliée… rue de la Motte-Brûlon ! Je l’y retrouve […] Elle m’apprend que les Allemands ramassent en ville les bicyclettes. Je comptais aller sur la barrière de la Bellangerais voir ce qui s’y passe, mais on dit près de moi que les Allemands y ont arrêté des gens. Je préfère ne pas vérifier ce dire et je rentre à la maison.


19 heures - […] J’écoute la radio avec Cressard. 4000 navires sans compter les unités de plus petit tonnage et 10 000 avions ont pris part aux opérations de débarquement commencées à minuit. Le général Eisenhower et le général de Gaulle s’adresseront aux Français. On les entendra à 17h30… mais je n’ai pu les entendre.

Pierre de La Haye [4]

"À 9 heures ce matin, mon grand-père a appelé ma mère au téléphone, par l'intermédiaire de l'épicerie d'à-côté, car nous n'avons pas le téléphone à la maison. Il dit que la radio suisse annonce que les Anglo-américains ont débarqué entre Le Havre et Calais, mais des gens du quartier disent Dunkerque, d'autres le Calvados, et encore entre Isigny-sur-Mer et Le Havre. Des tracts ont été lancés par avion : Partez sur le champ, vous n'avez pas une minute à perdre, dispersez-vous dans les campagnes, n'encombrez pas les routes... Je vois dans la rue passer des gens avec des bicyclettes, avec des poussettes chargées de bagages. Ils vont dans un sens puis dans l'autre. Les Allemands ont établi des barrages."

(Notes de Yves de La Haye, 9 ans)


Mardi 6 juin - Mon mari m'annonce le débarquement sur les côtes normandes [...] On est pendu à la T.S.F. Rosalie arrive affolée. Des tracts ont été trouvés disant d'évacuer la ville. Il y a erreur, il s'agit d'une zone côtière de 35kms. Alerte [...] On prend les bicyclettes en masse sur la place (Ndlr : de la Mairie )... et ailleurs. Tout va bien, dit la T.S.F., on se bat dans les rues de Caen.

Madame Huchet (Carnet pendant les semaines de la libération de Rennes)


"Le 6 juin, j'arrive à vélo devant la faculté de droit, place Saint-Melaine. Sur le trottoir je vois Mme Le Noan, dont le mari était le doyen de la fac. J'avais deux sacoches à mon porte-bagages, l'une pour mes bouquins, l'autre où il y avait de la viande, du beurre du lait... et les Noan étaient de mes clients. Mme Le Noan me voit et me fait un grand signe. J'arrête et elle me dit : "monsieur Chasle, le débarquement, vous savez, ça y est ! Ils sont arrivés cette nuit" Je l'entends encore me dire :"Pourvu qu'ils réussissent !"

Jean Chasle , 23 ans en 1944

"Vint le 6 juin avec le débarquement tant attendu, auquel parfois on n'osait plus croire! Chez nos occupants, grande effervescence!... Un moment même de stupeur! Alors se préparant à les voir arriver, ils s'organisèrent. Une trentaine de civils, hommes et jeunes gens de St-Grégoire, fut réquisitionnée pour travailler dans le camp : creuser des tranchées et autres travaux en vue de combats éventuels. Yves fut aussi réquisitionné comme chauffeur du camion Citroën pour transporter Allemands er matériel, ce qui l'exposa à diverses reprises au mitraillage des alliés.

Sœur Marie du Rosaire, Madeleine Chasle à la Chesnaye en Saint-Grégoire (21 ans en 1944)


Références

  1. Les Heures douloureuses de Rennes. p.84 V. Ladam Imprimerie Les Nouvelles
  2. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945 p.169. Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - Nov. 2013
  3. Les mariés du jour J Ouest-France. Supplément du 6.06.1984
  4. Journal 6 juin - 18 août 1944. Pierre et Armande de La Haye