« Disparu dans l’enfer des voies de triage de Rennes, le 17 juin 1940 » : différence entre les versions

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[[Catégorie:Seconde Guerre mondiale|Disparu]]
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=== René Nouyou, victime d’un "accident du travail" ===
=== René Nouyou, victime d’un "accident du travail" ===
Le 28 août 1940, M. Ferment, chef de dépôt principal à Rennes, déclare en mairie de Rennes "l’accident survenu à Nouyou René, au service de la SNCF, le 17 juin 1940 au cours et sur le lieu de son travail". Des déclarations d'accident ont bien été effectuées, les jours suivant le bombardement allemand du 17 juin, par Henri Rault, le chef de gare, pour quelques cheminots rennais blessés (Marcel Barroche avec plaie contuse du dos, Jean Noe pour contusion hémithorax droit, Désiré Vasseur pour plaie contuse à la cuisse droite) mais ce sera une déclaration très tardive pour René Nouyou car, étant disparu, il ne peut faire l'objet d'une déclaration d'accident, mais il y a bien une interruption de travail de Nouyou. Il faudra attendre trois mois.  
Le 28 août 1940, M. Ferment, chef de dépôt principal à Rennes, déclare en mairie de Rennes "l’accident survenu à Nouyou René, au service de la SNCF, le 17 juin 1940 au cours et sur le lieu de son travail". Des déclarations d'accident ont bien été effectuées, les jours suivant le bombardement allemand du 17 juin, par Henri Rault, le chef de gare, pour quelques cheminots rennais blessés (Marcel Barroche avec plaie contuse du dos, Jean Noe pour contusion hémithorax droit, Désiré Vasseur pour plaie contuse à la cuisse droite) mais ce sera une déclaration très tardive pour René Nouyou car, étant disparu, il ne peut faire l'objet d'une déclaration d'accident, mais il y a bien une interruption de travail de Nouyou. Il faudra attendre trois mois.  
[[Fichier:Machine_%C3%A0_vapeur_type_140.jpg|left|250px|thumb|Machine identique à celle sur laquelle se trouvaient le mécanicien Famechon et le chauffeur Nouyou]]
[[Fichier:Machine_%C3%A0_vapeur_type_140.jpg|left|250px|thumb|Machine identique à celle sur laquelle se trouvaient le mécanicien Famechon et le chauffeur Nouyou]]
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Or l’interruption du travail de René Nouyou est très au-delà de ce délai depuis… 92 jours. C’est le régime juridique de l’absence car Noyou n’est que disparu, disparu comme des dizaines de passagers des trains, ce 17 juin, dont les corps calcinés, démembrés, n’ont pu être retrouvés ou identifiés. Mme Nouyou, son épouse, mère de trois enfants, habitant 126, [[rue Ginguené]], sans nouvelles depuis plus de trois mois, sans aucune trace de son mari, sans revenus, a demandé de faire entendre comme témoin M. Famechon qui se trouvait sur la locomotive avec son mari « au moment de l’accident » car, jusqu’à présent son mari n’est qu’un accidenté…
Or l’interruption du travail de René Nouyou est très au-delà de ce délai depuis… 92 jours. C’est le régime juridique de l’absence car Noyou n’est que disparu, disparu comme des dizaines de passagers des trains, ce 17 juin, dont les corps calcinés, démembrés, n’ont pu être retrouvés ou identifiés. Mme Nouyou, son épouse, mère de trois enfants, habitant 126, [[rue Ginguené]], sans nouvelles depuis plus de trois mois, sans aucune trace de son mari, sans revenus, a demandé de faire entendre comme témoin M. Famechon qui se trouvait sur la locomotive avec son mari « au moment de l’accident » car, jusqu’à présent son mari n’est qu’un accidenté…


L’audition de M. Famechon, 33 ans, a lieu le 11 octobre, sous serment, en présence de M. Duchesne es qualités, chef de groupe à la SNCF, et de Mme Veuve Nouyou. Les traitements et salaires touchés dans les douze mois ayant précédé « l‘accident » (y compris les sommes retenues pour la retraite) s’élèvent à 11 790 F.
L’audition de M. Famechon, 33 ans, a lieu le 11 octobre, sous serment, en présence de M. Duchesne es qualités, chef de groupe à la SNCF, et de Mme Veuve Nouyou. Les traitements et salaires touchés dans les douze mois ayant précédé « l'accident » (y compris les sommes retenues pour la retraite) s’élèvent à 11 790 F.
Mais M. Duchesne énonce une réserve qui est plus qu’une clause de style : il fait « toutes réserves sur la validité de la procédure suivie et par conséquent des conclusions qui en seront tirées. »
Mais M. Duchesne énonce une réserve qui est plus qu’une clause de style : il fait « toutes réserves sur la validité de la procédure suivie et par conséquent des conclusions qui en seront tirées. »
[[Fichier:Avis_d%27obs%C3%A8ques_Rault.jpg|300px|left|thumb|Avis d'obsèques de René Nouyou, ''Ouest-Eclair'', 26 janvier 1941]]
[[Fichier:Avis_d%27obs%C3%A8ques_Rault.jpg|300px|left|thumb|Avis d'obsèques de René Nouyou, ''Ouest-Eclair'', 26 janvier 1941]]
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Le rapport spécial du chef de gare principal conservé aux Archives nationales expose que « du fait que les plus violentes explosions se sont produites vers le milieu des plateaux, le personnel SNCF occupé en tête des faisceaux n'a pas été atteint. » La SNCF enregistre trois agents tués, trois blessés et deux agents de traction portés disparus. Elle constata que 12 000 mètres de voies étaient détruits au triage de Baud et 8000 à celui de Saint-Hélier. L'explosion du train chargé de cheddite (Ndlr : des explosifs qui présentaient, par rapport aux dynamites Nobel, des avantages de prix et de commodité d’emploi, et qui pouvaient ainsi espérer trouver un certain débouché dans les mines et carrières'') avait ravagé le site : ''Dans le plateau de Saint-Hélier, au centre du "faisceau" avait été creusée par des bombes une tranchée de 100 mètres de long, de 4 mètres de large et de 4 mètres de profondeur, tranchée que la rupture des conduites remplit d'eau. Aux environs de cette mare se dressaient des amoncellements de ferrailles enchevêtrées, amas de débris des wagons et des voies.'' <ref> Ouest-Eclair, 29 août 1940</ref>
Le rapport spécial du chef de gare principal conservé aux Archives nationales expose que « du fait que les plus violentes explosions se sont produites vers le milieu des plateaux, le personnel SNCF occupé en tête des faisceaux n'a pas été atteint. » La SNCF enregistre trois agents tués, trois blessés et deux agents de traction portés disparus. Elle constata que 12 000 mètres de voies étaient détruits au triage de Baud et 8000 à celui de Saint-Hélier. L'explosion du train chargé de cheddite (Ndlr : des explosifs qui présentaient, par rapport aux dynamites Nobel, des avantages de prix et de commodité d’emploi, et qui pouvaient ainsi espérer trouver un certain débouché dans les mines et carrières'') avait ravagé le site : ''Dans le plateau de Saint-Hélier, au centre du "faisceau" avait été creusée par des bombes une tranchée de 100 mètres de long, de 4 mètres de large et de 4 mètres de profondeur, tranchée que la rupture des conduites remplit d'eau. Aux environs de cette mare se dressaient des amoncellements de ferrailles enchevêtrées, amas de débris des wagons et des voies.'' <ref> Ouest-Eclair, 29 août 1940</ref>
[[Fichier:Plaque_comm%C3%A9morative_cheminots.jpg|300px|left|Sur la plaque commémorative]]
[[Fichier:Plaque_comm%C3%A9morative_cheminots.jpg|300px|left|Sur la plaque commémorative]]
Dans la longue liste des décès du 18 au 24 juin parue dans le ''bulletin d'informations d'Ille-et-Vilaine'' du 28, on lit à l'état civil du 22, "Gabriel Le Roux, 45 ans, marié, mécanicien à la SNCF, plaine de Baud" (22 juin : ce qui laisse supposer que son corps n'avait pas été identifié sur le champ). Mais ce n'est que le 30 janvier 1941, plus de sept mois après la disparition de son mari, sans doute après un jugement de décès mettant fin au régime d'absence, que Mme Nouyou avec ses trois enfants put célébrer un service à sa mémoire, en l'absence de son corps et publia des remerciements le 1er février.
Dans la longue liste des décès du 18 au 24 juin parue dans le ''bulletin d'informations d'Ille-et-Vilaine'' du 28, on lit à l'état civil du 22, "Gabriel Le Roux, 45 ans, marié, mécanicien à la SNCF, plaine de Baud" (22 juin : ce qui laisse supposer que son corps n'avait pas été identifié sur le champ). Mais ce n'est que le 30 janvier 1941, plus de sept mois après la disparition de son mari, sans doute après un jugement de décès mettant fin au régime d'absence, que Mme Nouyou avec ses trois enfants put célébrer un service à sa mémoire, en l'absence de son corps et publia des remerciements le 1er février.
[[Fichier:M%C3%A9daille_f%C3%AAte_du_travail.jpg|350px|right]]
[[Fichier:M%C3%A9daille_f%C3%AAte_du_travail.jpg|350px|right]]
Le 1er mai 1944, à l'occasion de la fête du travail, le gouvernement de l'État français fait honorer les cheminots méritants qui ont servi avec sang froid malgré les attaques et les bombardements des gares et des triages. Le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Bouché-Leclercq, distribue, lors d'une cérémonie en gare de Rennes, une belle médaille à l'effigie du maréchal Pétain aux cheminots vivants ou morts et René Nouyou est dans la liste des récipiendaires. Après la guerre,
Le 1er mai 1944, à l'occasion de la fête du travail, le gouvernement de l'État français fait honorer les cheminots méritants qui ont servi avec sang froid malgré les attaques et les bombardements des gares et des triages. Le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Bouché-Leclercq, distribue, lors d'une cérémonie en gare de Rennes, une belle médaille à l'effigie du maréchal Pétain aux cheminots vivants ou morts et René Nouyou est dans la liste des récipiendaires. Après la guerre,
les noms de R.Nouyou, ouvrier et G. Le Roux, mécanicien, sont gravés sur la plaque à la mémoire des 80 cheminots de Rennes tués par faits de guerre de 1939 à 1945.
les noms de R.Nouyou, ouvrier et G. Le Roux, mécanicien, sont gravés sur la plaque à la mémoire des 80 cheminots de Rennes tués par faits de guerre de 1939 à 1945.


Mais la disparition de Nouyou est un cas de décès parmi tant d’autres ce 17 juin 1940. C’est le désastre humain d’un millier de tués et de plusieurs centaines de blessés qui marque ce bombardement effectué par trois ou cinq bombardiers bimoteurs Dornier DO 17 Z, sur les deux triages de Rennes où sur chacun stationnait un trains de munitions parmi les trains de voyageurs.
Mais la disparition de Nouyou est un cas de décès parmi tant d’autres ce 17 juin 1940. C’est le désastre humain d’un millier de tués et de plusieurs centaines de blessés qui marque ce bombardement effectué par trois ou cinq bombardiers bimoteurs Dornier DO 17 Z, sur les deux triages de Rennes où sur chacun stationnait un trains de munitions parmi les trains de voyageurs.


[[Fichier:Plaine_de_Baud_17_juin_40.png|500px|left|thumb|Photo du triage de Saint-Hélier prise du sud-est vers le nord-ouest le 21 juin, avec à l'horizon, à gauche clocher de Notre-Dame, puis à droite, clocher de la chapelle du collège Saint-Vincent, et à droite, celui de l'église Sainte-Jeanne-d'Arc. Légende : "Vingt à trente trains de transports pleins de soldats et de matériel stationnent en gare de Rennes. Tous les wagons sont détruits par une seule formation de combat" (Photo datée du 21 juin 1940 d'un album d'un soldat autrichien)]]
[[Fichier:Plaine_de_Baud_17_juin_40.png|500px|left|thumb|Photo du triage de Saint-Hélier prise du sud-est vers le nord-ouest le 21 juin, avec à l'horizon, à gauche clocher de Notre-Dame, puis à droite, clocher de la chapelle du collège Saint-Vincent, et à droite, celui de l'église Sainte-Jeanne-d'Arc. Légende : "Vingt à trente trains de transports pleins de soldats et de matériel stationnent en gare de Rennes. Tous les wagons sont détruits par une seule formation de combat" (Photo datée du 21 juin 1940 d'un album d'un soldat autrichien)]]
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Le chef de gare, M. Rault, était en fonction à Rennes, en qualité de chef de gare principal de 1re classe à Rennes, depuis le 21 janvier 1938 et avait fait alors l’objet d’un bel article avec photo du journal Ouest-Eclair. Le promu, d’origine bretonne, titulaire de la Croix de guerre obtenue à la brigade des fusilliers-marins, était passé par Paris puis Niort, et venait de Sotteville-lès-Rouen où il dirigeait l’une des plus grandes gares de triage françaises. Les divers services de la gare de Rennes, prédisait le journal, auront en lui un directeur actif, ferme et dévoué. Le 12 janvier 1940, M. Moreau, chef de gare à la Grande Vitesse, principal collaborateur de M. Rault, était nommé chef de gare de Nantes-Orléans et remplacé par M. Bourda, sous-chef de gare principal aux Batignolles .
Le chef de gare, M. Rault, était en fonction à Rennes, en qualité de chef de gare principal de 1re classe à Rennes, depuis le 21 janvier 1938 et avait fait alors l’objet d’un bel article avec photo du journal Ouest-Eclair. Le promu, d’origine bretonne, titulaire de la Croix de guerre obtenue à la brigade des fusilliers-marins, était passé par Paris puis Niort, et venait de Sotteville-lès-Rouen où il dirigeait l’une des plus grandes gares de triage françaises. Les divers services de la gare de Rennes, prédisait le journal, auront en lui un directeur actif, ferme et dévoué. Le 12 janvier 1940, M. Moreau, chef de gare à la Grande Vitesse, principal collaborateur de M. Rault, était nommé chef de gare de Nantes-Orléans et remplacé par M. Bourda, sous-chef de gare principal aux Batignolles .


La gare de Rennes subit le terrible [[ bombardement du 17 juin 1940]].
La gare de Rennes subit le terrible [[bombardement du 17 juin 1940]].
===== Mais débordé =====
===== Mais débordé =====
Le Dr [[René Patay]], chef du service des réfugiés<ref>''Mémoires d’un Français Moyen'',p.123. René Patay - 1974</ref>, met en cause les services de la gare de Rennes :
Le Dr [[René Patay]], chef du service des réfugiés<ref>''Mémoires d’un Français Moyen'',p.123. René Patay - 1974</ref>, met en cause les services de la gare de Rennes :
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Patay ne met pas en cause le général Bazoche, chef militaire de la place, avec lequel il a eu pourtant quelques démêlés et l'on peut penser que les autorités militaires, en plein désarroi et dont les décisions fluctuent, ne contribuent guère à la nécessaire coordination avec les autorités civiles.
Patay ne met pas en cause le général Bazoche, chef militaire de la place, avec lequel il a eu pourtant quelques démêlés et l'on peut penser que les autorités militaires, en plein désarroi et dont les décisions fluctuent, ne contribuent guère à la nécessaire coordination avec les autorités civiles.


Il est certain que la tâche du chef de gare de Rennes n’était pas aisée en ces jours de mi-juin. On sait que le 16 juin au soir, les triages sont tellement encombrés qu’un train de militaires stationne sur la voie en passage supérieur du [[boulevard Voltaire]], à plus de 3 km du triage Sant-Hélier et plus de 4,5 km du triage de la plaine de Baud. La pagaille a dû s’installer et les chefs sont probablement dépassés<ref>[[Bombardement du 17 juin 1940 : témoignages]]</ref>.
Il est certain que la tâche du chef de gare de Rennes n’était pas aisée en ces jours de mi-juin. On sait que le 16 juin au soir, les triages sont tellement encombrés qu’un train de militaires stationne sur la voie en passage supérieur du [[boulevard Voltaire]], à plus de 3 km du triage Saint-Hélier et plus de 4,5 km du triage de la plaine de Baud. La pagaille a dû s’installer et les chefs sont probablement dépassés<ref>[[Bombardement du 17 juin 1940 : témoignages]]</ref>.
Après le désastre et l’occupation allemande, aucune mise en cause ne se fait jour dans la presse. On ne trouve pas trace de leurs responsabilités lors des jours dramatiques de juin.
Après le désastre et l’occupation allemande, aucune mise en cause ne se fait jour dans la presse. On ne trouve pas trace de leurs responsabilités lors des jours dramatiques de juin.


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