18 juin 1940 : les troupes allemandes à Rennes, ville traumatisée

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« Deux témoins se sont exprimés par écrit détaillé sur le 18 juin 1940 à Rennes : Mme Valentine Ladam dans Les Heures douloureuses de Rennes et le docteur René Patay dans ses Mémoires d’un Français moyen. Ce document polycopié méconnu comporte un récit saisissant de l’arrivée des troupes allemandes à Rennes, traumatisée par le bombardement allemand, la veille sur la plaine de Baud et le triage Saint-Hélier, où des trains de militaires français et britanniques, et de réfugiés aux côtés de deux trains de munitions ont sauté, occasionnant près d’un millier de victimes. Rennes était déclarée ville ouverte ( * 1 )[1]. En tout cas, peu de Rennais, voire aucun, avaient en mémoire un précédent remontant à un siècle et quart : l'occupation de Rennes par les Prussiens en 1815.

Au petit matin, par la rue de Fougères

Chars allemands place Sainte-Anne le 18 juin 1940

Les Rennais qui auront lu L'Ouest-Eclair ce matin du 18 juin, une feuille recto-verso, n'auront trouvé sur l'épouvantable bombardement de la veille rien d'autre qu'un entrefilet en première page :

Un message rectifié

"Quelque part dans l'Ouest, hier matin lundi, des bombardiers allemands ont survolé une des grandes villes de la région de l'Ouest. On compte des victimes pour la plupart civiles, quelques morts et de nombreux blessés". En fait la plupart des victimes sont des militaires britanniques et français et les "quelques morts" se chiffrent par centaines : environ un millier !

Le journal publie aussi le message du maréchal Pétain diffusé la veille à 12h30 mais avec une modification de taille: " c'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut tenter de cesser le combat". D'ailleurs à Rennes, ville traumatisée par le bombardement de la veille, lit-on cette feuille et écoute-t-on la T.S.F, en tout cas les chefs et les troupes n'ont plus l'esprit à se battre, mais plutôt à fuir ou à se rendre puisque qu'il faut "cesser le combat".

Le quotidien subit, pour la dernière fois, la censure française qui occulte le nom de Rennes et la quantité effroyable de morts. Les avis de décès à Rennes sous la rubrique "état civil" sont huit dont ceux de trois "soldats aux armées". A la "chronique des réfugiés" on lit :" nous avons des nouvelles de" : suivent 33 noms. Et l'on apprend que le personnel des établissements Malvy Dame, de Valenciennes, est prié de rejoindre d'urgence les établissements Fouga, à Béziers (Hérault) et que M. Toulemonde, agriculteur dans l'Oise, recherche son tracteur et son conducteur... Tous les examens secondaires et supérieurs sont suspendus. Un étrange article concernant le ravitaillement fait allusion à "ce qui s'est passé hier à Rennes" et renvoie aux mesures prises dans d'autres villes obligeant à maintenir ouverts les magasins de produits alimentaires, les hôtels et restaurants, les garages et stations-service. Un vieil homme s'est pendu avenue du cimetière de l'est ...

Au petit matin du mardi 18 juin, des chars arrivent par la rue de Fougères, écoutilles ouvertes, chef de char debout dans la tourelle, encadrés de fantassins, fusils braqués, et suivis de motocyclistes ; ils descendent les rues du centre et passent la Vilaine au pont de Nemours. Vers 10 heures, une colonne allemande arrive par la route de Paris et se scinde au carrefour avec le boulevard de Metz, un tronçon prenant la rue de Paris et passant devant la préfecture pendant des heures, avec des bus parisiens bondés de prisonniers, l’autre descendant le boulevard de Strasbourg et empruntant les quais. Alors qu’un dernier train à vapeur des T.I.V. ( * 2 ) achève l’évacuation des 4000 ou 5000 réfugiés affolés qui restaient encore en ville, le docteur Patay voit arriver, un peu après 10 heures, des motocyclistes allemands à l’Hôtel Moderne, quai Lamennais, et passer quai Duguay-Trouin des chars, capots ouverts dont les chefs saluent des officiers français « errant sur le trottoir et quelque peu médusés ». Vers 11 h 30, environ 200 chars, arrivés par la route de Fougères, traversent la ville, pilotés par des individus de cinquième colonne ayant sorti un brassard, avec fanions blancs, les officiers en casquette et le buste hors des tourelles, saluant les officiers français, annonçant que la guerre contre la France était terminée. [2]

Il y a, semble-t-il, peu d'observations comme celle de Marc Bloch :

" Notre bureau (celui d'un état-major rattaché au "groupement" se trouvait chargé de défendre le réduit breton") était situé sur un boulevard dans le haut de la ville. (NDLR : boulevard de Sévigné). De l'autre côté de la chaussée, une rue descendait vers le centre (NDLR :boulevard de la Duchesse Anne). là cantonnait mon ordonnance. Vers 11 heures du matin, j'allai le trouver pour l'inviter à fermer en toute hâte mes valises. Après l'avoir quitté, je remontais la rue lorsque j'aperçus, à son extrémité, une colonne allemande qui défilait sur le boulevard; entre le bureau et moi par conséquent. Pas un coup de feu. Des soldats français, des officiers regardaient. Quand j’aperçus, dans Rennes, la colonne allemande, qui, composée, pour une très large part, de motocyclistes, défilait paisiblement sur le boulevard de Sévigné, je sentis se réveiller en moi de vieux réflexes de fantassin : bien inutilement, car nous n’avions sous la main que nos secrétaires ou les hommes du Parc d’Essence, les uns comme les autres, dès le début de la campagne, absurdement démunis d’armes. Il eût été pourtant bien tentant de l’attendre, la maudite colonne, au coin de quelques boqueteaux, dans ce pays breton, si favorable aux embûches ; fût-ce seulement avec le modeste matériel d’une compagnie d’engins. Puis, une fois le premier effet de désarroi obtenu, on aurait vite regagné le « bled » pour recommencer plus loin. Je suis bien sûr que les trois quarts de nos soldats se seraient promptement passionnés au jeu"[3].

Défilé de soldats allemands au "pas de l'oie", boulevard de la Liberté; en arrière-plan l'immeuble à l'angle de la rue d'Isly et de la rue Émile Souvestre et la caserne du Colombier

vers 16 heures, à la mairie

Vers 13 heures, René Patay répond à l’appel téléphonique du maire François Château qui souhaite l’avoir à ses côtés, en sa qualité de président de l’Union des Combattants, car il attend l’arrivée des Allemands à l’hôtel de ville d’un moment à l’autre. Vers 16 heures, le maire, les adjoints MM. Bourgot et Bourdin, M. Loiseleux, conseiller, et le docteur Patay voient arriver « un capitaine allemand flanqué de deux motocyclistes vêtus de longs manteaux de cuir, mitraillette en travers de la poitrine. » Le capitaine, après s’être présenté en français, va droit vers un petit tableau représentant le monument de la niche de l’hôtel de ville détruit par les autonomistes en 1932, figurant l’union de la Bretagne à la France. Puis, ayant demandé une machine à écrire, il dicte des consignes à un motocycliste transformé en dactylo : livraison d’armes, couvre-feu etc.

L’après-midi, des soldats prisonniers sont requis pour creuser au cimetière de l’Est deux longues tranchées dans la 18e section, au sud du carré militaire 1914-18, dans lesquelles on aligne 269 corps de victimes du bombardement de la veille,transportés avec la seule voiture des pompiers et des brancards, mais ce mode de transport est insuffisant et on enterre d'autres corps dans la prairie du général Lefort, près du balast[4]. Radio-Bretagne, les imprimeries de l’Ouest-Éclair et du Nouvelliste sont occupées en priorité. Dès 17 heures à la caserne du Colombier sont faits prisonniers tous les officiers d’active et de réserves et les soldats qui n’avaient pas fui. Le feldkommandant major Kruger tient une première réunion à la mairie à 18 heures. « À ce moment, on voit du cabinet du maire, d’assez nombreux badauds fraternisant avec des détachements allemands » observe le docteur Patay. Le maire envoie des agents faire circuler ces Rennais. En revanche, Mme Ladam observe des Rennais atterrés aux visages crispés, certains les larmes aux yeux.

dans la soirée, au Thabor, un général et ses officiers désemparés

Vers 20 heures 30, un sous-officier remet un billet du préfet Jouany demandant au docteur Patay de se rendre d’urgence au 61 boulevard de Sévigné. Le docteur y va à vélo pour ne pas risquer de se faire confisquer son auto. Il y trouve, avec Me Bourrut-Lacouture, le général René Altmayer, encore chargé il y a quelques jours de l’aménagement d’un impossible « réduit breton ». Celui-ci ne veut pas se rendre, mais refuse de mettre des vêtements civils et veut partir avec son état-major, ce qui paraît difficile car des colonnes allemandes passent sans arrêt. S’étant posté au coin du boulevard de la Duchesse Anne, guettant en vain une interruption, le docteur Patay voit le général et ses officiers, en uniformes mais képis à la main, couper une colonne allemande pour gagner la rue Saint-Alphonse, mais les chauffeurs ont disparu et les voitures ont été sabotées. Les officiers et le général font les cent pas dans la roseraie du Thabor, attendant le docteur Patay parti chercher sa Panhard mais quand il revient, il n’y a plus personne. Malgré les Allemands gardant les ponts, ils avaient pu gagner, dans la voiture de Me Bourrut-Lacouture, le château de la Prévalaye où existait un parc militaire français.

Alors que, la veille à 12 heures 30, bon nombre de Rennais ont pu entendre sur leur poste de T.S.F la voix chevrotante du maréchal Pétain annoncer qu’il faut cesser le combat, ce soir du 18 juin, rares sont ceux qui entendront à la BBC celle d’un général de Gaulle affirmant d’une voix décidée que « quoi qu’il arrive la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ». ( *voir témoignage) Les horloges sont avancées d'une heure pour être à l'heure allemande. L'avance allemande a été si rapide que, le 19 juin, des Messerschmitt Bf 110 bombardent l'aérodrome de Rennes - Saint-jacques qui vient d'être occupé et endommagent trois appareils du 1.(H)/31.

Le seul communiqué (n°577) du 18 juin de l’État-major de l'armée française, transmis par la T.S.F, se borne à

Un "bulletin d'informations" pallie l'éclipse de lOuest-Éclair"" qui va reparaître bientôt sous censure allemande

indiquer que les détachements de l'ennemi ont atteint Cherbourg et Rennes.

Ouest-Eclair du 24 septembre 1940
La vie continue sous contrôle de l'occupant
"Sera sévèrement tenu à..." (Bulletin d'information du 28 juin 1940)

Le lendemain et les jours suivants, le journal ne paraît plus. À part un Bulletin d'informations d'Ille-et-Vilaine paru les 28,29 et 30 juin, il faudra attendre le 5 juillet pour retrouver L'Ouest-Éclair désormais soumis à la censure allemande. Dès le 9, le journal annoncera que par ordre de la Kommandantur de Rennes, qui s'est installée en partie sud de la mairie, en raison de manifestations de quelques uns lors de la projection des actualités allemandes, la population civile est interdite de cinéma du 8 au 14 juillet...

Rue Martenot, l'hôtel Richelot est réquisitionné. Officiers, sous-officiers,soldats, secrétaires posent devant la façade ouest. (Collection Binet. Musée de Bretagne)
De Gaulle traduit au conseil de guerre.png

Et les Rennais devront loger chez eux MM. les officiers allemands, souvent avec mauvaise grâce en leur donnant la plus mauvaise chambre, "ce qui est en opposition à l'honneur de l'Armée" selon l'étrange formule du capitaine allemand, chef du service du logement qui aurait pu écrire :"ce qui va à l'encontre du confort dû à nos officiers". Les organismes militaires allemands occupent nombre de bâtiments publics et privés pour y installer leurs services, leurs officiers et la troupe.

Le journal l'Ouest-Eclair cesse de paraître après le 18 juin et, dix jours plus tard paraît un bulletin d'informations d'Ille-et-Vilaine avec un avis du préfet à la population appelant à une discipline sévère et, évidemment aimablement contresigné par l'autorité occupante. »

Stephanus • Recueilli par Stephanuslicence







témoignages

* Je sors du bistrot, sur le grand Mail, une colonne motorisée fonce vers Brest. Peu de tanks, beaucoup de voitures blindées bourrées de soldats, assis le flingue entre les jambes, dignes comme à la parade. Plus un soldat français à l'horizon, des monceaux de fusils jetés à tous les carrefours.

Théophile Jeusset (alias Yves Keraudren, indépendantiste breton) A contre-courant, Les Éditions du Scorpion; Paris - 1965

* Julien Loton, 18 ans en 1940, raconte : " Le 18 juin 1940, j'ai entendu par hasard le général de Gaulle de Londres sur mon poste à galène à 18h00. Je suis certain de l'heure car je me suis dit alors en entendant cet appel : on est le 18 juin, il est 18h00 et j'ai 18 ans. Je suis devenu "gaulliste". Je devais partir avec un capitaine qui avait été sous les ordres du colonel de Gaulle et m'avait proposé de l'accompagner en Angleterre. Malheureusement il fut mis aux arrêts par son général, ce qui mit fin au projet. J'étais copain depuis 1935 avec Louis Coquillet qui me traitait de "gaulliste". En décembre 1940, je sabotai des câbles reliant le camp d'aviation à des hôtels des Allemands, puis j'ai participé à des attentats contre des locaux." [5]

références

  1. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013
  2. La Xe armée sur la basse Somme, en Normandie et vers le réduit breton, p. 149. Général Altmayer
  3. L'étrange Défaite, par Marc Bloch - 1946
  4. Les Heures douloureuses de Rennes, par Valentine Ladam, imp. Les Nouvelles
  5. entretien de Julien Noton, 90 ans, avec Etienne Maignen le 21 juin 2012

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