Carrier à Rennes

Gravure de 1797
Jean-Baptiste Carrier Wikipedia-logo-v2.svg (de Wikimedia Commons)


Une mission bien préparée

Carrier s'était fait précéder à Rennes, en juillet et août, du policier Pierre-Hervé Rousseville, ancien prêtre. Le 26 août, logeant chez Louel, auteur du Journal de la ci-devant Bretagne et associé de Vatar, Rousseville déclare que "les patriotes toujours sous le couteau et sans cesse exposés aux insultes des canonniers (NB: aristocrates de la garde nationale) et autres fédéralistes, attendent avec la plus grande impatience les députés Carrier et Pocholle..." Jean-Baptiste Carrier, 37 ans, représentant de la Convention en mission, arrive à Rennes le 1er septembre 1793, après avoir passé huit jours à Saint-Malo où il a préparé le terrain pour le terrible Jean-Baptiste Le Carpentier qui y prendra son poste le 15 décembre[1]. Carrier se présente à Rennes "investi de la mission de faire arrêter les ex-députés fugitifs et de rétablir l'harmonie civique dans les départements de la ci-devant Bretagne..." dit-il. Il demande à Saint-Malo neuf compagnies de soldats qui n'arrivent que le 8 septembre. Pour son séjour, qui sera court (un mois et une semaine), selon la règle établie par la Convention, il est descendu, accompagné de son secrétaire Poupinet (!) ex-ecclésiastique, à l'ancien hôtel de Montluc, bien national, baptisé hôtel de la Montagne ainsi que la rue où il se trouve, rue Saint-Georges (actuellement presbytère au n° 15). l est suivi de citoyens qui l'acclament. " Rennes a été la ville sur laquelle toutes celles de la ci-devant bretagne ont modelé leur conduite politique. Il faut donc que là se porte le grand coup de l'organisation civique et la punition des traîtres " expliquera Carrier. Le but est de purger la ville de ses éléments girondins et fédéralistes qui avaient voulu lancer, via Caen, une force départementale contre Paris. rentré à Paris Rousseville envoie son rapport le 5 septembre avec des listes : quinze Rennais bons à être guillotinés, quinze autres à déporter comme incorrigibles, sept à ôter vite de la place (dont l'évêque Le Coz "récalcitrant à la loi sur le costume et fanatisant les campagnes..." et à tous ces mauvais citoyens il ajoute tous les membres des corps constitués, à quelques exceptions près. Puis suit une liste de dix patriotes à porter aux premières places (dont Joseph Blin, dit Blin jeune, directeur de la poste aux lettres) et une autre de douze à placer. Voici un bon programme pour Carrier en matière de personnes à traiter. Et pourtant il se plaindra qu'il lui aura fallu près de huit jours pour choisir les patriotes appelés à remplir les fonctions administratives, tant les bons principes ne sont pas appliqués par la population, les sans-culotte mis à part.

Un Carrier populaire

Feignant d'ignorer les autorités constituées, Carrier renvoya une délégation municipale qui, lui remettant une lettre du ministre de la justice, Gohier, annonçant la prise de Toulon par les Anglais, venait s'entendre avec lui pour établir les mesures recommandées contre les étrangers. [2] Il se présenta d'abord aux sections et à la société populaire naguère dissoute par les Girondins. Unanimement applaudi car il vitupère aristocrates, Girondins et Fédéralistes, il fut reconduit chez lui par une foule chantante et, le lendemain, le proconsul au long nez et au fort accent auvergnat fit l'apologie des Montagnards. Il ne va vraiment agir qu'après l'arrivée des troupes de Saint-Malo. Le dimanche 8 septembre, il assiste, l'écharpe tricolore en bandoulière, sur le Champ de Mai (Champ de Mars) à une revue de la garnison et de la garde nationale et il s'en prend publiquement à une compagnie des canonniers de la garde qu'il estimait avoir été en contre-révolution ouverte (n'avaient-ils pas, en apprenant la mort de Marat, organisé une parodie de cérémonie funèbre dont la ville s'était divertie !) et ils seront tous envoyés à Douai, orthographe figurant dans l'ordre de Carrier pour Doué, ville au pouvoir des Vendéens à laquelle il les destinait. Il fera arrêter plus tard le commandant qui avait fui. La cérémonie se termine par la plantation d'un arbre de la liberté sur la place de l’Égalité place du Parlement de Bretagne où il a été accompagné par des citoyens et des membres de la société populaire et on jette dans un bûcher un portrait de Louis XVI et divers attributs du "despotisme". On danse jusqu'à l'aurore, des citoyennes ornées de guirlandes et de feuilles de chêne lui offrent une couronne civique et l'une d'elles chante un couplet à la gloire de la Montagne. Le lendemain, il présente son collègue Pocholle à la société populaire. Le 30 septembre, encourageant le mariage des ministres du culte, il est témoin avec Pocholle au mariage d'un prêtre, suivi d'une fête populaire avec banquet.

Coups de balai au département, au district et à la municipalité

Utilisant les fiches de Rousseville, le proconsul va choisir ses hommes sans avoir à rendre compte. Le directoire du département et son conseil général, qui a beaucoup à se faire pardonner, sont entièrement renouvelés et ont perdu la plupart de leurs pouvoirs. Le district, qui avait pour principale mission l'administration et la vente des biens nationaux et la poursuite des émigrés et des prêtres, fut aussi renouvelé alors qu'il s'agissait d'un docile agent de transmission.

La municipalité tombe sous le joug du comité de surveillance et des sections. Du conseil général de la commnune Carrier ne conserve que quatre notables dont trois sont nommés officiers municipaux (dont Jean Leperdit) et font partie des quinze (pour moitié commerçants et artisans) dont Sébastien Elias est nommé maire, malgré son passé de Girondin. Trente notables leurs sont adjoints. L'installation de la nouvelle municipalité se fit solennellement le 20 septembre dans la grande salle de la maison commune où Carrier et Pocholle annoncèrent les noms choisis puis Elias fit sa profession de foi devant ses concitoyens "qu'un moment d'erreur a fait dévier du grand principe d'unité" et finit en s'adressant à Carrier : "Et toi, doublement montagnard, (il est né près d'Aurillac) brave et pur Carrier, toi qui as ravivé le feu sacré du patriotisme des Rennais, reçois de tes amis le baiser fraternel, gage assuré de leur amour et de leur reconnaissance".

Le traitement des suspects et ennemis du peuple et... un projet de noyades

Il destitue aussi des fonctionnaires comme le chef de bureau des ouvrages publics, le directeur du timbre, de l'enregistrement et des droits, l'enregistreur des actes, le directeur de l'hôpital militaire. En application de la loi des suspects du 17 septembre, la mission principale de la municipalité est de détecter les ennemis du régime, souvent objets de dénonciations, et d'aider à leur détention. Dès le 14 septembre, se méfiant de Blin jeune, directeur de la poste aux lettres, ancien fédéraliste reconverti montagnard, Carrier et Pocholle, pour favoriser les dénonciations, suppriment la surveillance des lettres adressées aux autorités et rendent responsable le directeur de toute infraction à cette mesure. Les suspects sont nombreux, à commencer par les étrangers dont Carrier prend directement la surveillance par le biais du comité de salut public (ancien comité de surveillance), renouvelé le 12 septembre avec seize hommes à sa dévotion. A toute réquisition du comité la force armée est tenue de prêter obéissance et main-forte. Le 22 septembre, suivant une décision du conseil communal, Jean Leperdit avait refusé de remettre à Carrier une liste de citoyens coupables de fédéralisme qu'il réclamait. Le 15 septembre,Yves-Claude Jourdain  , fédéraliste actif, ancien secrétaire du comité de la force départementale, s'était mis à l'abri et avait écrit à Le Malliaud, député du Morbihan à la Convention :" Quel est ce fier proconsul que vous nous avez envoyé ou plutôt quel est ce tigre ? Vous nous faites regretter l'ancien régime... On a répandu la terreur dans l'âme de mon épouse par des visites nocturnes à main armée. A un enfant de cinq ans dans son sommeil le chef a dit :"Puisses-tu ne pas ressembler à ton père!". Il est arrêté le 25 septembre et emprisonné à la tour Lebat et sera élargi le 23 novembre par Pocholle.

On envoie les suspects réputés les plus dangereux au Mont-Saint-Michel, faute de place dans les prisons de la porte Saint-Michel, de la tour Lebat et du refuge de la Trinité, les suspectes étant détenues au refuge du Bon Pasteur. Pendant son séjour, aux registres d'écrou des prisons sont enregistrées vingt-quatre incarcérations mais il déplore des évasions qui ont eu lieu bien facilement. Dans une lettre au comité de Salut public du 27 septembre, il suggère de transférer les coupables de fédéralisme hors de Rennes, car "quelques patriotes commencent déjà à sentir une fausse humanité pour eux", et nul doute qu'il ne mette en tête de ces patriotes l'officier public Leperdit désigné par la municipalité comme commissaire aux prisons[3].

Carrier en a particulièrement contre l'évêque constitutionnel Claude Le Coz  , "contre-révolutionnaire et fanatique au dernier période, ce malheureux attise dans toute la ci-devant Bretagne le feu du fanatisme", et il s'emploie à la déportation des prêtres déguisés en paysans, annonçant :" Je me propose de faire bientôt des cargaisons de prêtres insermentés amoncelés dans les prisons et d'en donner la conduite à un marin de Saint-Servan connu pour son patriotisme". Il enjoint au district de rassembler à Rennes tous ces prêtres réfractaires, en fait des sexagénaires ou des infirmes (les valides ont déjà été déportés). Il fait appeler un officier de marine de Saint-Malo qui lui fit observer qu'il lui était impossible de sortir de la rade de Saint-Malo sans s'exposer à une capture par les bâtiments anglais. Aussi fait-il conduire, le 8 septembre, Le Coz et ces êtres "malfaisants" au Mont-Saint-Michel mais n'abandonne pas l'intention de mettre son projet à exécution. On peut penser que l'histoire a failli enregistrer les noyades de Saint-Malo avant celles de Nantes !

Le Conseil général du département avait nommé , en 1790, Nicolas Collet comme économe-gardien de l'hôpital Saint-Yves ; ce prêtre qui avait prêté le serment constitutionnel quitta bientôt ses fonctions pour devenir vicaire épiscopal mais, ayant défroqué en 1793, il sollicita des conventionnels Carrier et Pierre-Pomponne-Amédée Pocholle  , sa réintégration comme économe de Saint-Yves, ce qu'il obtint. Carrier maria Nicolas Collet... dont la femme devint la supérieure des citoyennes servant à 1'« Hôpital de la Fraternité ». [4]

Carrier, faute de temps peut-être, ne semble pas avoir fait fonctionner, à Rennes, la guillotine mais il envoie à Paris des prisonniers contre-révolutionnaires, complices de La Rouërie destinés au tribunal révolutionnaire où les risques de condamnation à mort sont majeurs. Il prend un arrêté de séquestre des biens de quinze Girondins absents, jusqu'à ce qu'ils se constituent prisonniers (dont Jean-Denis Lanjuinais, Le Graverend, [5] Le Chapelier. Tous se rendent, sauf trois. Devant eux, dans la grande salle du Palais, Carrier énumère leurs "crimes" en présence du peuple de Rennes qu'il dit approbateur.

Carrier vante son action à Rennes et tente de la poursuivre

Carrier a quitté Rennes le 5 ou 6 octobre pour Nantes. Dans la première lettre qu'il écrivit de Nantes il assure : "Nous avons eu à Rennes nos collègues Jeanbon Saint-André et Prieur de la Marne qui ont été contents de l'énergie républicaine qui se développe à Rennes.... Le mouvement heureux et rapide que nous y avons imprimé se propage dans toute la Bretagne." d'où il fait rapport à la Convention de son action à Rennes. Après avoir dit avoir trouvé le peuple de Rennes très patriote, il vante la société populaire mais indique que " Le fédéralisme apparut dans toute sa nudité, les autorités constituées furent renouvelées, le peuple applaudit à mon courage(...) Les administrations fédéralistes avaient pris cent mille livres dans les caisses publiques, je les forçai de se soumettre à les reverser dans les caisses de la nation.(...) Je reçus une nouvelle mission qui m'appelait à Nantes. Je quittai aussitôt Rennes, laissant après moi les regrets les plus honorables. J'emportai la douce jouissance d'avoir mis cette commune à toute la hauteur de la Révolution.(...) Nous avons destitué tout ce qu'il y avait à Rennes royalistes, feuillants, aristocrates, fédéralistes et modérés en place. Nous avons confié les places à des patriotes éprouvés.

Tel ne fut pas l'avis de son successeur, Esnue-Lavallée, qui, trouvant Pocholle resté seul, trop libéral car il avait remis beaucoup de gens en liberté, écrivit le 1er janvier 1794 : "L'esprit public à Rennes est à la glace, les patriotes et surtout les républicains y sont en petit nombre... Rennes que j'avais élevée à toute la hauteur de la Révolution est dans un état de modérantisme le plus déplorable" Trois membres du comité de surveillance envoyèrent une adresse à la Convention dénonçant le retour du fédéralisme, du fanatisme et de l'égoïsme de leurs concitoyens indifférents. " Voilà les ennemis que Carrier a eu à combattre, il les a frappés de sa massue populaire... Les fédéralistes se cachèrent, les royalistes singèrent le patriotisme, tous ces êtres malfaisants devinrent tout à coup républicains... Tout trembla devant Carrier qui fit incarcérer les coupables et vengea les sans-culottes des outrages qui leur avaient été faits". Et ils déplorent, qu'après le départ de Carrier, tous ces ennemis relevèrent la tête (... du moins ceux qui ne l'avaient pas perdue !). De Nantes, il garda un œil sur Rennes et tenta d'y garder la main, en ordonnant, le 12 décembre, la consignation chez lui de Blin le jeune (il n'avait pas digéré son reproche d'aller par la ville avec bas de soie et escarpins, alors qu'on prenait leurs chaussures à des citoyens pour en munir des soldats)[6]. Il ordonna aussi la réincarcération de vingt-sept citoyens qu'il considérait fédéralistes ou contre-révolutionnaires, par le nouveau comité de surveillance qu'il avait composé d'anciens membres des comités précédents, ce qui fut fait, mais Carrier avait oublié qu'il y avait à Rennes un autre représentant du peuple, Esnue-Lavallée, qui manifesta son autorité en ne les expédiant pas à Nantes, où l'on imagine le sort que Carrier leur réservait.

Après ses exploits à Nantes, Carrier se heurta à Jean François Boursault ( * ) et monta sur l'échafaud à Paris, le 16 décembre 1794, suivant de peu dans la mort ses nombreuses victimes[7]. [8]

 
Carrier pendant son jugement, en novembre, décembre 1794. Dessin de Vivant Denon (de Wikimedia Commons)

Notes et références

  1. La Terreur à Port-Malo, par Etienne Maignen. Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine,t. CVIII, pp 141 à 152 - 2004.
  2. Histoire de Rennes, p.460, Émile Ducrest de Villeneuve et D. Maillet. Edouard Morault, libraire. Rennes - 1845
  3. Histoire de Rennes, sous la direction de Jean Meyer, Privat éditeur. 1972
  4. Histoire des hôpitaux de Rennes, professeur J-C. Sournia. BIU Santé
  5. Rue Legraverend
  6. Rennes moderne par A. Marteville, t.3
  7. Terreur et terroristes à Rennes. 1792-1795 par B.-A. Pocquet du Haut-Jussé. Joseph Floch, éditeur. Mayenne, 1974
  8. Jean-Baptiste Carrier  

Lien interne

Hymne à Rennes quatrain 22

rue Jean-François Boursault