Chronique vezinoise sous l'occupation n°01


Après l'exode, installation à Vezin-le-Coquet


Présentation de la famille

Mon père est né à Lille en décembre 1905 dans une famille déjà nombreuse. ll reste beaucoup de jeunes bouches à nourrir lorsque les Prussiens envahissent le nord de la France en 1914, lesquels occuperont Lille pendant quatre longues années. Les estomacs des enfants gémissent de n’être pas satisfaits de nourriture. Lille est alors intra-muros, il faut franchir les portes gardées de la ville pour "aller à la campagne" et tenter de se ravitailler. Les enfants les franchissent sans peine pour sortir mais pour entrer la situation est plus délicate surtout lorsqu'ils cachent sous leur manteau une betterave sucrière dérobée dans un champ, qu’ils ont prévu de manger cuite au four. C’est tout à fait défendu par l’autorité prussienne, ainsi lorsqu’ils sont découverts au passage gardé, le soldat de service leur administre une magistrale fessée. Aussi, préventivement et pour amortir les coups de ceinturon, placent-ils un petit sac en jute entre leurs fesses et la culotte, les effets des coups semblent moins rudes. La betterave sucrière cuite au four a un goût horrible, elle garnit toutefois tant soit peu l'estomac pour un temps. Lorsque ma grand mère coupe le pain en tranches d’égales épaisseurs, pain souvent fourni par des œuvres charitables religieuses, les plus jeunes s’installent autour d’elle pour observer. Une fois l'opération de tranchage terminée et le pain rangé pour un prochain repas, les enfants tracent du doigt sur la table des limites qui marquent pour chacun, la quantité de miettes qu'ils peuvent se partager et manger immédiatement. Mon père a eu un rétrécissement d'estomac par suite d'une insuffisance alimentaire et fut envoyé après guerre, comme bien d'autres enfants du Nord, dans un établissement de repos en montagne. Ce préambule me semble indispensable pour expliquer la raison pour laquelle nos parents n'ont pas voulu que nous restions dans le Nord au moment de l’invasion des hordes nazies en juin 40. Les évènements se répétaient

En juin 40, notre père travaille dans une teinturerie dans le Nord qui traite le drap militaire. Requis sur place, marié, quatre enfants à charge, la rapidité de la défaite ne lui a pas laissé le temps de porter le fusil, ou plus exactement tirer au canon car il est artilleur, sous-chef de pièce. Les troupes allemandes ont déjà franchi la frontière belge et commencent à envahir ce pays ami. Il faut s'en aller au plus vite, les boches seront bientôt là.

Le chemin de l'exode

Le chef d’entreprise de la teinturerie confie à mon père un camion avec le carburant nécessaire pour rouler aussi loin que possible. Nous partons donc. Le camion est capable d’emmener deux familles à son bord, la nôtre, deux adultes, quatre enfants, et une famille de Belges, qui se compose aussi de deux adultes, quatre enfants, au total nous sommes donc douze. Le camion devra être remis à la préfecture du lieu du terme de notre exode, c’est la consigne donnée par le patron avant le départ de Wasquehal (Nord). Cette consigne fut respectée par notre père après notre arrivée à Rennes. J'avais alors 2 ans et demi.

Il nous a raconté plus tard certaines péripéties du voyage. Sur la route de l'exode se mélangent alternativement véhicules civils et militaires. Les convois militaires respectent une distance réglementaire entre chacun des véhicules. Notre père jugeant l'allure trop lente, double quand l’occasion se présente. Il remonte ainsi le convoi jusqu'au moment précis où un officier français, pistolet au poing, le menace, en lui intimant l’ordre de cesser cet exercice sinon…

Le convoi est en proie aux attaques de la chasse allemande. Certains des véhicules militaires composant le convoi sont équipés d'armes antiaériennes, cependant les soldats ne s’en servent pas. Lorsque les chasseurs de la Luftwaffe surgissent au-dessus de la file de véhicules tout le monde se dirige précipitamment au fossé sans volonté de riposter.

Arrivée à Rennes

Les deux familles au complet mais aussi un chien que j’ai oublié de citer et qui se fera renverser et tuer par une voiture peu de temps après notre arrivée, arrivent alors à Rennes sans dommage au sein d’un flot de réfugiés venant surtout des régions du nord de la France et de Belgique. L’image que nous donnons, nous les enfants à la chevelure blonde comme les blés, incite certaines personnes à nous appeler les Boches du Nord ! Est-ce l’inquiétude provoquée par ce flot ininterrompu de réfugiés venant envahir leur région qui motive cette attitude? Sans doute une réaction de crainte soudaine consécutive à cet évènement exceptionnel et tragique, l’exode. Cette réflexion désobligeante formulée par quelques grincheux ne s’est, par la suite, plus fait entendre[1].

Prise en charge par les organismes de secours

L'administration, la Croix-Rouge et les œuvres charitables, les dames à cornettes, ont fort à faire. Nous sommes très rapidement pris en charge, d’une manière excellente, bien organisée par l’administration locale, malgré le flux soudain de réfugiés pour lesquels il est indispensable de trouver un hébergement. Les familles sont dirigées vers des points d'accueils, ensuite relogées dans des habitations réquisitionnées dans les villes ou villages du département. Durant cette courte attente mes sœurs plus âgées sont placées dans un centre d’accueil pour enfants à la Bouëxière, route de Liffré, cet établissement est à cette époque un préventorium.

Arrivée à Vezin-le-Coquet

Nous sommes assez rapidement dirigés, par chance, vers un petit village situé à une dizaine de kilomètres de Rennes, Vezin-le-Coquet. Le logement qui nous est attribué consiste en une unique pièce, une salle annexe d’un café. Avec mes yeux d’enfant je la vois cette pièce très grande. Quand, dans les années 90, je suis revenu la revisiter, mes yeux d’adulte l’ont vue alors dans sa réelle dimension, c’est à dire bien exiguë pour une famille composée d’un couple avec quatre enfants qui auront à y vivre pendant cinq années.


- Albert et Annick Pinel et les quatre refugies.jpg

Albert et Annick Pinel (à gauche premier plan) ainsi que les quatre jeunes réfugiés photographiés peu de temps après leur arrivée à Vezin-le-Coquet. La photo est prise devant la fenêtre qui donne sur la rue de Montfort.



Une fenêtre donne sur la rue principale, rue de Montfort, c’est la route nationale Rennes-Brest. Un passage obligé pour tous ceux qui traversent le bourg d’est en ouest. La porte d’entrée de cette unique pièce est située à l’arrière, côté potager. Avant d’y accéder, il faut franchir un sas qui distribue aussi à sa gauche l’entrée de la salle du café Bigot et la réserve. Nous occupons en effet une des deux pièces du café, celle de droite. Il n’y a pas l'eau courante, comme partout dans le bourg. Au fond du potager un puits assure l’approvisionnement de ce précieux liquide. L’eau du puits est claire, potable et probablement absente de pollution. Nous avons l’électricité. Nous sommes privilégiés. En effet tous les foyers du pâté de maisons où nous demeurons ne possèdent pas ce luxe, pardi, c’est grâce au débit de boissons. Beaucoup s’éclairent encore à la lampe à pétrole ou à la bougie. Chaque matin il faut déplier et ranger une partie des lits pour faire de la place dans la pièce et les réinstaller le soir pour la nuit. Par suite d’une promiscuité qu’ils subissent en permanence la vie de nos parents pendant ces cinq années n'a pas été facile. Pour nous, surtout les trois derniers enfants, nous sommes heureux et indifférents à ce problème majeur. Cette époque est celle du plus grand bonheur de notre vie. Nous en avons reparlé encore et encore.

Début d'intégration parmi les villageois

Mes aînés lient rapidement connaissance avec d’autres enfants du village. J’ai toujours entendu dire à la maison que l’accueil des gens de Vezin-le-Coquet avait été sympathique, cordial à notre égard. On peut comprendre que la propriétaire de la salle du café, madame Bigot, lésée d’une partie de son lieu de commerce, occupée par cette famille nombreuse, peut ne pas être satisfaite. Elle ne nous le fait toutefois pas sentir. Je me souviens du goût de la pistache qu’elle me donne quand parfois elle discute avec ma mère sur la pas de la porte du café. Le geste large qu’elle exécute au-dessus du comptoir quand elle plonge une main dans un grand et profond bocal afin de saisir et d’extraire le joli bonbon noir. Geste que je surveille dans le détail en attendant la suite. J’adore les pistaches, le seul bonbon de l’époque dont je me souvienne et pour cause. Il a fallu attendre l’arrivée des Américains pour rattraper, assez largement d’ailleurs, le temps perdu. Sous l’occupation l’absence de confiseries était pour moi totale ou presque. Une confiserie ne doit pas uniquement être bonne mais aussi être jolie à regarder, enviée, le goût s’en trouve alors renforcé, j’étais déjà un connaisseur ou tout simplement un enfant.

Albert René Gilmet

Janvier 2013

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Amand Bazillon résistant

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