Dans les prisons de Rennes au 18e siècle

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Les catégories de prisonniers

La population des prisons peut se diviser en quatre catégories : les prisonniers pour dettes, enfermés sur la requête de leurs créanciers; les soldats déserteurs, les criminels et les prisonniers de police. Ces derniers comprennent les tapageurs nocturnes et les ivrognes, qui vont passer quelques heures en prison moyennant un droit d'entrée et de sortie de 24 sous; les mendiants et les vagabonds, qui pullulent à Rennes et dans la province, malgré les ordonnances royales et les nombreux arrêts du Parlement. Au 18e siècle, on applique la peine de cinq ans de galères à « tous mendians valides de l’un et l‘autre sexe, vagabonds, gens sans aveu, filles et femmes publiques et débauchées » qui sont prises par la ville; les mendiants impropres à servir le Roi comme forçats sont embarqués « pour les isles étrangères, pour les peupler et y habiter sans qu'ils puissent revenir, sans permission de Sa Majesté, sous peine de la vie » Plus tard, une ordonnance de 1776 prescrivit rétablissement d'un dépôt de mendicité, mesure charitable mais inefficace, puis- qu'en 1787 l’intendant Bertrand de Molleville déclare « qu'on peut évaluer le nombre des mendiants de Bretagne au quart des habitants, » et que Rennes en compte au moins dix mille qui errent par les rues.

Déserteurs et prisonniers de police ne font qu'un court séjour aux prisons de la Tour-le-Bât; les premiers sont conduits à l'île de Ré ou renvoyés à leur corps; les seconds sont dirigés vers le dépôt de la rue Saint-Hélier.

Il n'en est pas de même des criminels, dont les procès sont traînés en longueur et qui, après une dure prévention, vont attendre dans les basses fosses que La chaîne des forçats passe à Rennes !

La nourriture

Les mêmes arrêts qui réglementent les devoirs du geôlier prescrivent ceux du détenu. Le prisonnier ne peut avoir « escritoire, encre ne papier  » sous peine du carcan pour la première fois, ou de plus grand châtiment en cas de récidive, il lui est défendu de jurer et de blasphémer; c'est encore l'attache au carcan, les fers aux pieds ou la basse fosse qui sont promis à quiconque n'assiste pas « avec dévotion » aux messes et aux prières qui. se disent dans la chapelle. Les détenus doivent « tenir leurs chambres nettes et balayées tous les jours, mesme la cour de la prison, à peine d'y estre employé un particulier à leurs frais. » La nourriture et de l'entretien du prisonnier sont définis par l’art. 25 du titre XIII de l'ordonnance de 1670 en renferme la formule : « Du pain, de l'eau et de la paille bien conditionnée. » Les quotités réglementées en Bretagne par les arrêts de la Cour des 26 octobre 1688 et 7 mars 1690, prescrivent aux geôliers de « fournir alternativement de « deux jours l'un à chacun des prisonniers chargez « pour crimes retenus en leurs prisons, trois pains « de bon froment, bien cuits, pezant chacun 10 onces, « pour ceux qui seront dans les chambres et hors les « basses fosses, et quatre pains de pareil poids pour « ceux qui seront dans les basses fosses, et l'autre « jour aussi à chacun des dits prisonniers, indifféremment, trois sols pour employer à ce que bon « leur semblera et fourniront outre tous les lundis des mois le nombre de 15 livres do bonne paille « de bled seigle aussi à chacun des dits prisonniers, « qui seront outre fournis journellement de bonne eau fraîche et potable, autant qu'il leur en sera « nécessaire. »

Les prisonniers pour dettes ne sont pas nourris aux mêmes conditions que les autres détenus : ils n'ont pas le « pain du Roi; » c'est le créancier qui fournit la nourriture à son débiteur incarcéré, sui- vant taxe faite par le juge; celle-ci doit être payée un mois à l'avance, faute de quoi il est procédé à l'élargissement du détenu.

Vers la fin du 18e siècle, le geôlier n'eut plus à fournir de pain les criminels; ceux-ci recevaient 3 sols par jour et achetaient ce dont ils avaient besoin, ou plutôt consommaient leur maigre solde dans la buvette du concierge, au grand plaisir de ce dernier.

Les boulangers de la ville apportaient, chacun à leur tour, le pain aux prisons; la qualité n'en était pas toujours excellente, témoin la remontrance du Procureur général du Roi (27 janvier 1773) sur ce « qu'un nommé Rouault, maistre boulanger, chargé de fournir du pain aux prisons, a fourni, le 9 et 10 du mesme mois de janvier, du pain d'une qualité si mauvaise qu'il a causé des vomissements aux prisonniers et les a rendus malades. »

Les secours

Le régime prescrit au détenu, qui n'avait pas quelques moyens pour ajouter à sa maigre pitance, empêchait tout juste ce dernier de ne pas mourir de faim. La charité venait heureusement à son secours, et ordre était donné aux geôliers de « laisser passer les vivres et aumosnes que l'on portera aux prisonniers aux heures de leur repas, sans « néanmoins faire souffrir à l'égard des brevages qu'on porte par jour à chacun des dits prisonniers, scavoir pour plus d'un sol d'eau-de-vie, « trois pintes de cidre, ou trois chopines de vin, « une espèce excluant l'autre . »

Des quêtes et des aumônes fréquentes, un tronc établi aux portes des prisons fournissaient des ressources pour l'achât de chemises et vêtements à ces misérables qui, souvent en haillons, grelottaient dans leurs cachots, toujours froids et humides. Quatre ou cinq fois par an, Mme la première Présidente convoquait une assemblée des principaux ha- bitants et faisait pour les prisonniers une quête toujours fructueuse; des concerts étaient donnés au profit des pauvres, « parmi lesquels les criminels tiennent toujours le premier rang. » Deux fois par an une quête qui suivait un sermon sur l'aumône produisait aux prisonniers « 40 ou 50 louis. »

Tous ces dons étaient versés aux Sœurs de la Charité affectées aux prisons, et répartis suivant les besoins les plus urgents.

Mais en 1788, lors des troubles qui écartèrent de Rennes la noblesse et le Parlement, la source de ces aumônes fut complètement tarie. « L'image du chagrin et de la misère » que présentait notre ville à cette époque, « où l'on ne voit qu'artisans sans travail, ou quelques procureurs et huissiers qui meurent de faim, » se reflétait d'une façon lamentable sur les prisons : « Mon subdélégué qui a visité les détenus, écrit l'Intendant au Contrôleur général des Finances, me marque qu'ils sont dans un « état affreux, rongés par la vermine, sans linge, « sans vêtements, ayant presque tous la gale, plu- « sieurs étant attaqués de la fièvre et tous se livrant « au désespoir de voir prolonger leurs souffrances, « sans scavoir à quelle époque ils pourront être « jugés De grâce, Monsieur, daignez venir au « secours de ces malheureux entassés les uns sur « les autres, dans un bâtiment infect et peut devenir « le foyer d'une contagion funeste non seulement « pour eux, mais pour les habitants. » Le gouvernement accorda immédiatement un secours de 1200 livres, qu'un an plus tard il devait renouveler sur les instantes prières du président de la Houssaye.

La charité s'exerçait encore par des legs et des fondations pour la « délivrance » des prisonniers pauvres et retenus depuis longtemps pour dettes. Une remontrance du 7 avril 1707 nous apprend la mauvaise exécu- tion de ce legs par les prévôts de l'hôpital Saint-Yves,[1] qui en étaient chargés : les uns ne s'occupaient point de percevoir les revenus, et il ne pouvait être fait aucune délivrance ; » d'autres, pour favoriser leurs amis sous le coup d'une incarcération pour dettes, les faisaient emprisonner quelques jours avant la recette des intérêts, qui, au lieu de profiter, suivant l’intention des fondateurs, aux débiteurs pauvres et détenus depuis un certain temps, étaient appliqués « au délivrement de ces nouveaux prisonniers. »

Enfin, le Parlement lui-même s'associait à cette œuvre de miséricorde : maintes fois* les amendes qu'il prononçait « étaient appliquées au pain des prisonniers; » cinq fois par an, aux veilles et surveilles des grandes fêtes, la Cour tenait une audience de grâces; elle n'hésitait point, lors d'une réjouissance publique, à prélever quelques centaines de livres sur les deniers de sa buvette pour donner la liberté à un certain nombre de détenus.


Mauvaise santé et décès

Rien d'étonnant que le prisonnier d'autrefois, mal nourri, mal vêtu, couché sur de la paille humide, dans des cachots sans air, tombât souvent malade.

L'ordonnance de 1670 (titre III, art. 1) veut « que les prisons soient sûres et disposées en sorte que la santé des prisonniers n'en puisse estre incommodée; «nous avons vu dans notre premier chapitre le cas que l'on faisait de ce sage précepte, qui contraste singulièrement avec les rapports des ingénieurs et des commissaires des prisons, unanimes à constater que « les maladies sont très fréquentes à la Feillée parce qu'elle est très étroite, malsaine, l'air y est infect et ne se renouvelle jamais. » La prison Saint-Michel était un véritable foyer d'épidémie. La peste à Rennes aux XVIe et XVIIe siècles n'épargna pas la Conciergerie, et de nombreuses « contagions s'y développèrent au XVIIIe siècle, semant la mort parmi les détenus et la terreur "par toute la ville.

Un chirurgien, nommé par la Cour, « médicamente » les prisonniers malades; ceux-ci sont traités soit à l'infirmerie, soit à l’hôpital Saint-Yves; parfois même, sur leur requête et l'attestation du médecin, la Cour commue leur geôle et les fait transférer à la prison du manoir épiscopal. Les prisonniers pour dettes, plus favorisés que les criminels, peuvent, en laissant un sou par jour au geôlier, coucher dans deux « chambres hautes  » un peu moins malsaines, par leur élévation, que celles du rez-de-chaussée; de plus, en cas de maladie grave, il est permis à ces détenus de quitter la geôle et de loger chez leur procureur. Tous doivent, bien entendu, après leur rétablissement, réintégrer la prison commune.

Les détenus sont soignés à l'infirmerie par deux « filles de charité, » aux gages annuels de 72 livres; un aumônier leur donne des secours spirituels. C'est à René de Perchambault de laa Bigotière Wikipedia-logo-v2.svg qu'est dû l'établissement d'un prêtre à la prison; par acte du 30 mars 1719, ce doyen du Parlement de Bretagne assura deux rentes, l'une de 111 livres 2 sols 2 deniers et l'autre de 50 livres, « à charge pour l'aumosnier de dire tous les jours la messe et la prière aux prisonniers, de chanter les vêpres et de faire un catéchisme tous les dimanches et fêtes, et enfin d'aider au recteur de Saint-Aubin à assister les prisonniers dans leurs autres besoins spirituel. »

La paroisse do Saint-Aubin, d'où dépendait la Feillée, ou prison Saint-Michel, devait, à ses frais et dans son cimetière, procéder à l’inhumation des détenus qui mouraient à la Conciergerie; le cimetière de l’Hôtel-Dieu suppléa à l’exiguité du précédent en 1782, et, sur sa requête, la paroisse do Saint-Aubin, [2] « vu l’éloignement et l’augmentation des frais de transport, » touchait 40 sols par inhumation . La même allocation était donnée au concierge de la Tour-le-Bât pour le transport des cadavres au cimetière de la Paillette.

Seuls, les prisonniers de religion et de nation étrangères n'étaient pas inhumés en terre sainte; on les « encavait » dans les douves do la ville. La situation lamentable faite au prisonnier . était encore accrue par sa longue détention. C'est qu'en effet « les juges réservent tous leurs soins pour les affaires civiles, où ils ont à attendre des épîces et des frais de vacation . »

Le Procureur général de La Chalotais n'hésite cependant pas à venir dévoiler devant le Parlement la négligence de Michel d'Oultremer, sieur du Margat. Juge criminel au Présidial de Rennes :

« Quoique l'ordonnance lui enjoigne de vaquer « sans délai et sans retardement à l'expédition des « affaires criminelles, dit le célèbre magistrat dans « sa remontrance du 13 mars 1758^, ces affaires « languissent et les accusés gémissent dans les prisons.

« Le vol de l’église des Trois-Maries a été fait « depuis plus de trois ou quatre ans ; deux accusés « sont dans les prisons, l’un depuis le 26 mai 1755, « l'autre depuis le 28 septembre 1756.

Pour des vols de l’église de La Guerche, un accusé est en prison depuis deux ans, même temps pour deux accusés de vol à l'église de Messac. « Pour un vol de linge fait à Rennes six accusés sont en prisondepuis plus de « deux ans. Pour le vol de l'église de Chantepie, treize « accusés en prison depuis un an. « Pour un vol de chevaux un accusé « est en prison depuis deux ans . « Pour une accusation de poison : deux « accusés sont en prison depuis un an .

« Quand ledit juge criminel part pour la campagne, « il renferme sous clef les procédures dont il est « saisi, afin qu'il ne soit point vaqué par d'autres « juges à l'expédition. Quand on l'envoie chercher « ou qu'on le mande pour lui donner des ordres de « faire son devoir, il refuse de venir. Les affaires « qui peuvent lui procurer des vacations traînent « en longueur; celles qui n'en procurent point ne « sont pas expédiées... »

On ne sait quelles vertes réprimandes furent adressées par le Parlement à ce magistrat du Présidial, ni surtout si elles portèrent leurs fruits.

S’évader

Le régime rigoureux subi par les criminels, leur longue prévention, avec comme perspective la corde ou les galères, devaient sans cesse susciter dans l’esprit de ces malheureux des projets d'évasion. D'ailleurs, réunis dans leurs chambres, ils avaient tout le temps de se concerter, de discuter le point faible du mur à attaquer, l'heure propice de la fuite.

Les évasions furent toujours fréquentes à la Feillée, mais c'est surtout vers la fin du 18e siècle qu'elles prirent un caractère alarmant. Il ne se passe point de semaine que l'ingénieur des prisons de Rennes n'ait à constater « les ruptures, charpentes coupées, ferrures brisées, ouvertures commencées dans les murs. Ces jours derniers, « écrit, en 1769, l'Intendant au Contrôleur général « des Finances, presque sous les yeux de Messieurs « les Commissaires des prisons, quatre prisonniers « qui venaient d'être mis au carcan rompirent leurs « chaînes; dix autres, renfermés dans les basses « fosses, rompirent aussi celles qui les retenaient « attachés aux sommiers de charpente et tandis « que l'ingénieur était à prendre des mesures dans une chambre de force pour faire réparer un trou commence dans le mur, des prisonniers renfermés « dans la chambre à côté jetèrent par les ouvertures « de la grille de la croisée des pièces de charpente enflammées qu'ils avaient détachées du mur par « le moyen du feu, en disant effrontément : « L’ingénieur a beau faire, nous ruinerons l’entrepreneur « et nous abattrons la prison . »

La plupart des effractions sont commises par les galériens, malgré la précaution que Ton prend de les attacher deux à deux « avec de bons colliers » visités chaque soir par le geôlier (du moins ils devaient l'être), et la défense qui leur est faite, sous peine du carcan et de la basse fosse, de franchir les barrières de la cour. C'est que la mauvaise disposition de la Feillée en rend la surveillance très difïicile; en effet, cette cour où les criminels vont prendre l'air donnant directement sur l'entrée des prisons, permet aux parents, aux amis de passer aux détenus, par dessus la barrière, les outils nécessaires à leur fuite. Si ce n'est pas un habitant quelconque de la ville qui vient apporter aux galériens le « ferrement » libérateur, ce sont les détenus du premier étage qui, de la galerie, leur jettent des couteaux, rapidement transformés en limes.

La surveillance du geôlier interdit-elle que ces misérables aient à leur disposition aucun instrument tranchant? Ils se servent, l'hiver, du charbon qui leur est généreusement donné, pour « chauffer le bois à l'endroit des ferrures; » celles-ci, aiguisées, deviennent propres à la dégradation des murs et des charpentes. Lorsqu'ils n'ont pas de charbon, ils remplissent leurs écuelles du beurre et de la graisse que des personnes charitables leur fournissent pour manger avec leur pain, ils font des mèches avec des lambeaux de leurs chemises et confectionnent ainsi une lampe qu ils allument au briquet commune

Parfois c'est la révolte, mûrie depuis de longs jours, qui éclate au moment où le geôlier vient faire sa ronde; on le bouscule, on le meurtrit plus ou moins et, avant que la maréchaussée n'arrive, les détenus ont déjà escaladé les murs.

Les prisonniers avaient, on le voit, plus d'une corde à leur arc; mais point n'était besoin de toutes ces violences pour qui savait gagner ou du moins pouvait payer la confiance d'un peu scrupuleux gardien.

Nous ne ferons pas, en cette courte étude, le récit des effractions et des évasions qui se succédèrent aux prisons do Rennes : un volume n'y suffirait pas.

Références

Dans les prisons de Rennes L. Delourmel. Bulletin et mémoires de la société archéologique d'Ille-et-Vilaine, décembre 1897, tome XXVII. Full text of "Bulletin et mémoires .." archive.org

La Bretagne au XVIII^ siècle. — Les Prisons, par Ant. Dnpuy, publié dans les Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et Vilaine, tome XVI, première partie.