La Bretagne reconstituée, une promesse non tenue


1940 : UNE PROMESSE DU MARÉCHAL : LA RECONSTITUTION DES PROVINCES

Juin 1940, débâcle et armistice... Le 10 juillet, les parlementaires, réunis à Vichy, donnent tout pouvoir au maréchal Pétain à l'effet de promulguer une nouvelle constitution de l’État français et, dès le 11, il annonce que "des gouverneurs seront placés à la tête de grandes provinces françaises; ainsi l'administration sera concentrée et décentralisée". Il n'en faut pas plus pour qu'autonomistes bretons ou simples régionalistes se prennent à espérer en une Bretagne disparue officiellement et dépecée en cinq départements début 1790, alors même que des indépendantistes croient trouver quelque temps un soutien allemand à leurs visées, espoirs déçus dès septembre.

Juin 1941, la Chambre de commerce demande la réunification de la Bretagne avec Rennes comme capitale
Un projet de découpage mort-né
Le placet au maréchal en faveur de la Bretagne

Dès le 10 janvier 1941 la presse avait publié un placet au maréchal Pétain, signé de 40 personnalités bretonnes, dont beaucoup rennaises, demandant pour la Bretagne toute la part d'autonomie administrative compatible avec l'indivisibilité de la France et l'enseignement obligatoire de la langue et de l'histoire bretonnes dans les écoles primaires et secondaires de Bretagne. Parmi les signataires, on trouve 7 Rennais : Bahon-Rault, Barentin, de la Bourdonnaye, Château, Jaffrennou, Patay fils, Le Roy.

De mai à août 1941, une commission des provinces, constituée au sein du conseil national, va travailler au découpage. Associations, chambres de commerce, mairies militent en faveur d'une Bretagne à cinq départements. Le 16 mai, le maréchal assiste exceptionnellement à une réunion de la commission dont l'ordre du jour porte sur la Bretagne et il aurait exclu Nantes comme capitale au motif qu'elle pourrait être ainsi désignée aux bombardements anglais et "vivrait ce qui se produit à Londres actuellement".

Une promesse non tenue

LA CAPITALE DE LA BRETAGNE, RENNES OU NANTES ?

Les milieux nantais et rennais s'activent, avec force de vœux, pour que leur ville soit désignée capitale de la future province. Le 29 juin, la première page de l'Ouest-Eclair titre : "Une décision du Maréchal la Bretagne restaurée" et rapporte que le maire de Rennes, François Château, a reçu à Vichy du maréchal l'assurance suivante :

" Vous avez satisfaction, Monsieur le maire. J'ai personnellement assisté à la commission des provinces lorsqu'elle s'occupait particulièrement de la Bretagne, la province de Bretagne comprendra cinq départements et votre ville en sera la capitale."

Mais l'édition de Loire-Inférieure de l'Ouest-Eclair du lendemain Ier juillet rapporte qu'une délégation nantaise conduite par le maire, Gaëtan Rondeau, avait retenu que "les assurances données par le Maréchal à la délégation nantaise ont été, en ce qui concerne le choix de la capitale de la province, aussi favorables que celles qui ont été données pour Rennes à M. Chateau".

Pourquoi ces déclarations contradictoires à un jour d'intervalle ? Peut-être le maréchal considère t-il comme un projet à long terme cette reconstitution des provinces alors qu'il signe, le 30 juin même, un décret mettant en place des régions provisoires avec un préfet régional à Rennes ayant autorité sur la "région de Rennes" constituée des départements d'Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes-du-Nord et Finistère, et un autre à Angers ayant autorité sur "une région d'Angers", composée du Maine-et-Loire, de la Mayenne, de la Sarthe, de l'Indre-et-Loire pour sa partie occupée et... de la Loire-Inférieure. Nantes, simple chef-lieu départemental, sera quand même copieusement bombardé en 1943. Et, surtout, actualité beaucoup plus immédiate, le maréchal va rompre le lendemain les relations diplomatiques avec l'URSS que l'Allemagne a envahie le 22 juin.

Publication de la préfecture régionale - décembre 1942

En même temps que la photo du nouveau préfet régional, une explication est donnée :

"Il eut été plus logique de donner à la région ressortissant à la préfecture régionale de Rennes le même territoire qu'aura la future province, et la différence faite a donné lieu à des interprétations diverses qui sont à l'origine du malentendu. Mais ce régime des préfectures régionales n'est qu'un régime transitoire dont la création a été rendue nécessaire par les besoins actuels du ravitaillement. La loi du 19 avril 1941 qui a créé cette fonction du préfet régional stipule, en effet, expressément « que sont transférées aux préfets régionaux toutes les attributions relatives à la production, la répartition et la distribution des produits alimentaires et denrées, ainsi qu'à la fixation des prix ». Tandis que la décentralisation de la France en vingt provinces est une réorganisation profonde et politique, une réforme de structure qui ne pourra être rendue définitive que lorsque le Pays tout entier aura été doté d'une nouvelle Constitution"[1].

M. Dupard, préfet de Loire-Inférieure, tenant d'une Bretagne avec Nantes comme capitale économique et Rennes comme capitale administrative, remit à Vichy au gouvernement des vœux de la Ville de Nantes, de la Chambre de commerce et de la Chambre d'agriculture au sujet du rattachement à la préfecture régionale d'Angers[2]. Le 22 juillet la Chambre de commerce de Rennes réitéra son souhait d'une région à cinq départements.

Le 24 février 1942, l'Ouest-Eclair rapporte que le préfet régional Ripert a entendu à Vichy le maréchal lui rappeler sa "décision personnelle qu'il avait prise de reconstituer, dès que les circonstances le permettraient, la province de Bretagne dans ses limites historiques, en y rattachant la Loire-Inférieure, avec résidence alternative du gouverneur à Rennes et à Nantes". La constitution actuelle de la région de Rennes qui groupe seulement quatre départements n'est, à ses yeux, qu'une mesure provisoire ; mais elle ne modifie en rien son intention ferme de rétablir la province de Bretagne dans son intégralité.

Timbre Bretagne.jpg

Mais les provinces vont être le cadet des soucis du maréchal car l'année 1942 lui en procurera d'autres avec notamment l'occupation allemande de la zone sud, le sabordage de la flotte à Toulon, le retour de Laval aux affaires puis tant d'autres. La nouvelle constitution ne verra pas le jour. Pourtant le mirage d'une Bretagne reconstituée persistera, même dans une brochure sur la Bretagne de décembre 1942 présentant aux prisonniers bretons La Bretagne dans la France du Maréchal.

M. Dupard, le 4 août 1943, passant du poste de préfet de Loire-Inférieure à celui de préfet régional de Bretagne fera à nouveau le vœu pieux d'une Bretagne réunifiée. En 1943, dans une série de timbres émise sur les armes des provinces françaises, figure la Bretagne. Le découpage "provisoire" de Vichy va, à peu de choses près, perdurer jusqu'à nos jours, tant il est vrai que le provisoire souvent dure[3].





Source

  1. Ouest-Eclair du 3 juillet 1941
  2. Ouest-Eclair du 18 juillet 1941
  3. De 1940 à 1941, réapparition d'une Bretagne provisoirement incomplète, un provisoire destiné à durer" par Étienne Maignen, bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine, t. CXIV - 2010