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Version du 19 août 2017 à 10:48


La chaîne des forçats en route

Le vendredi 29 juillet 1836, voici plus de deux heures qu’une foule compacte se presse à Rennes, des rues du faubourg de Paris, par la rue Louis Philippe (actuelle rue Victor Hugo) jusqu’au Mail, pour assister à l’arrivée de la chaîne qu’on annonce enfin car elle a passé Cesson. C’est un spectacle à ne pas manquer qui se produit une ou deux fois par an. Une nouvelle accroît la curiosité : on va voir l’horrible François, le complice de Lacénaire, l’homme le plus dangereux du convoi, objet d’une surveillance spéciale.

Sortie des forçats du bagne de Brest le matin pour aller au travail. (de Wikimedia Commons)

Enfin, vers 15 heures, l’attente de tous ces Rennais et Rennaises des classes bourgeoises et populaires prend fin car ils entendent des chants qui approchent. Ce sont ceux de deux cents hommes qui, ferrés au cou à la prison de Bicêtre à Paris, lieu de départ des chaînes vers Toulon, Rochefort et Brest, poursuivent leur long trajet. Ils sont passés par Dreux, Alençon, Laval, Vitré, Châteaubourg et sont en route depuis une douzaine de jours, avec des ajouts de forçats au passage des principales villes pour rejoindre à Brest 3500 bagnards. Attachés par un collier de fer et liés deux par deux, groupés en cordons de 24 ou 26 hommes, ils ont fait le trajet à pied, certains en charrette, accompagnés d’un officier de santé et escortés par une vingtaine de gardes, les « argousins » ou garde-chiourmes, recrutés par un entrepreneur privé chargé par l’administration du ministère de toute l’organisation, de la logistique et de la surveillance des prisonniers. Quelques gendarmes accompagnent. L'entrepreneur est passible d'une amende ou retenue de 3 000 francs pour chaque homme de la chaîne qui parviendrait à s'évader, somme énorme qui représente cinq salaires annuels d'ouvrier payé de l'ordre de 50 francs par mois. C'est ce qui explique les précautions sévères auxquelles on a recours pour entraver les mouvements des forçats dans leur trajet au bagne. Les évasions sont donc rares[1]. Le voyage du convoi a été longuement organisé par des échanges entre l’administration du ministère de l’Intérieur, les services préfectoraux et les mairies. C'est, avec les charrettes transportant des vivres, fournies sur recrutement local, une vraie caravane. Six ans plus tôt, le poète Hippolyte Raynal interrogeait : "Ne se demanderait-on pas pourquoi la cupidité fait chaque jour perfectionner, inventer des voitures de toutes les formes, de toutes les dimensions, pour transport de marchandises, et pourquoi l'humanité n'inspire rien de semblable quand il s'agit d hommes accablés sous le double fardeau du fer et des souffrances?"[2].

Voici que passent les forçats, dégueunillés, la barbe longue, et on leur trouve en général des figures sinistres. De plus, le comportement étrange de ces misérables "déchets sociaux" avec leurs chants de colère et d’espoir, souvent ironiques, est perçu comme traduisant une insensibilité qui explique leurs penchants aux méfaits et aux crimes, et démontrant un mépris scandaleux envers les honnêtes citoyens qui respectent les lois et dont les regards réprobateurs se repaissent de ces rebuts de la société. "Ce qui froisse le cœur dans ce douloureux spectacle, ce n'est point la misère des condamnés, c'est leur indifférence, leur apathie, leur gaîté même, au milieu des fers dont ils sont accablés, dans l'état de dégradation où ils se trouvent plongés." [3]

Ainsi, cette année, chantent-ils :

"Oh ! Si jamais je reviens des galères - Je veux en revenir millionnaire - Je veux en revenir millionnaire !"

ou :

"Amours qui faisiez nos délices/ […] femmes qui flattiez nos caprices/Adieu séduisantes beautés"[4]

La présence de femmes et jeunes filles spectatrices excite certains forçats qui lancent des quolibets salaces. Les invectives, les blasphèmes criés entre les chants les démarquent encore plus du bon peuple. Le convoi a d’ailleurs une valeur symbolique et, en quelque sorte pédagogique, car il met en scène les conséquences redoutables du crime érigées par la société[5].

Les forçats traversent ainsi toute la ville de Rennes car ils vont être logés au Manège de l’école d’équitation, tenu par un sieur Duchesne, près du Mail [6]. Son épouse et d’autres dames charitables ont récupéré de vieux chapeaux de feutre et en ont découpé les fonds, les cercles de feutres restants pourront ainsi protéger les cous et les épaules des forçats meurtris par les lourdes chaînes.

Pendant toute la journée du samedi il y a foule autour du manège pour contempler les forçats. Le dimanche, à 15 heures, la chaîne est reconstituée et les bagnards sortent du manège pour prendre la route de Brest avec comme prochaine étape, Montauban, mais beaucoup de Rennais, attardés à déjeuner, arrivent, fort désappointés, trop tard pour assister au défilé.

Les condamnés, remontant le faubourg de Brest, ne chantaient plus comme à leur arrivée en ville mais injuriaient et apostrophaient grossièrement les badauds qui les accompagnaient sur les côtés en sortie de la ville[7] [8].

Les Rennais n'auront plus l'occasion de revoir passer la chaîne : 1836 est la dernière année de ce système pénitentiaire car le mode de transport sera désormais le fourgon cellulaire.

Réferences

  1. Gazette des Tribunaux, 27 mai 1831
  2. Gazette des tribunaux, 16 octobre 1830
  3. Gazette des Tribunaux, 27 mai 1831
  4. Les femmes et la chaîne des forçats : l’impossible absence par Sylvain Rappaport. Revue d'histoire moderne et contemporaine.N° 55/4 - 2008
  5. Sylvain Rappaport,la Chaîne des forçats, 1782-1836, Paris, Aubier, 2006
  6. rue du Manège
  7. Adolphe ORAIN, Le passage de la chaîne des forçats à Rennes en 1836 , Revue de Bretagne, année 1909, p.81-82.
  8. Allée Adolphe Orain