« La mort mystérieuse de l'amiral de Villeneuve » : différence entre les versions

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[[File:Amiraldevilleneuve.jpg|150px|right|thumb|Vice-Amiral Pierre Charles de Villeneuve (de Wikimedia Commons. Roneuve)]]   
[[File:Amiraldevilleneuve.jpg|150px|right|thumb|Vice-Amiral Pierre Charles de Villeneuve (de Wikimedia Commons. Roneuve)]]   
Le 17 avril [[1806]], le vice-amiral {{w|Pierre Charles Silvestre de Villeneuve }}, 43 ans, venant de Morlaix, fait halte à Rennes. Il est descendu à l'''hôtel de la Patrie''<ref>L'Ouest-Eclair du 24 octobre 1905, page 1</ref> géré par M. Ledéan, dont il ne sort guère, plongé dans une profonde mélancolie due à sa situation. Il a écrit le 9 avril au duc Decrès, ministre de la marine, pour se soumettre à la justice de l'empereur connaître les dispositions du chef de l'État à son égard et l'informer, qu'avant de poursuivre sa route, il attendait une réponse. Il aurait lu dans ''le Moniteur'' qu'il encourait le ressentiment de l'empereur. Sur la ''place aux Arbres'',<ref>[[Place de la Mairie]]</ref> de jeunes Rennais se détournaient vers ces deux étrangers, un homme à la mine distinguée et triste et un noir, un domestique probablement, qui se promenaient en silence.
Le 17 avril [[1806]], le vice-amiral {{w|Pierre Charles Silvestre de Villeneuve }}, 43 ans, venant de Morlaix, fait halte à Rennes. Il est descendu ''rue aux Foulons'' à l'''hôtel de la Patrie''<ref>L'Ouest-Eclair du 24 octobre 1905, page 1</ref> géré par M. Ledéan, où il a pris une chambre sur cour dont il ne sort guère, plongé dans une profonde mélancolie due à sa situation. Il a écrit le 9 avril au duc Decrès, ministre de la marine, pour se soumettre à la justice de l'empereur, connaître les dispositions du chef de l'État à son égard et l'informer, qu'avant de poursuivre sa route, il attendait une réponse. Il aurait lu dans ''le Moniteur'' qu'il encourait le ressentiment de l'empereur. Sur la ''place aux Arbres'',<ref>[[Place de la Mairie]]</ref> de jeunes Rennais se détournaient vers ces deux étrangers, un homme à la mine distinguée et triste et un noir, un domestique probablement, qui se promenaient en silence.


De fait le 4 septembre 1805, l'empereur avait écrit de La Malmaison au vice-amiral Decrès :
De fait le 14 août 1805 du camp de Boulogne l'empereur avait écrit au vice-amiral Decrès : ''Villeneuve est un de ces hommes qui ont plutôt besoin d'éperon que de bride''  et le 22 août il écrivit au vice-amiral Villeneuve :
''J'espère que vous êtes à Brest. Partez, ne perdez pas un moment, et, avec mes escadres réunies, entrez dans la Manche. L'Angleterre est à nous. Nous sommes tous prêts, tout est embarqué. Paraissez vingt-quatre heures, et tout est terminé.''
 
L'espoir de l'empereur ne sera pas réalisé et le 4 septembre 1805, il écrit de La Malmaison au vice-amiral Decrès :
''L’amiral Villeneuve vient de combler la mesure; il donne, à son départ de Vigo, l’ordre au capitaine Allemand d’aller à Brest, et vous écrit que son intention est d’aller à Cadix. Cela est certainement une trahison. […] Cela n’a plus de nom. Faites-moi un rapport sur toute l’expédition. Villeneuve est un misérable qu’il faut chasser ignominieusement. Sans combinaisons, sans courage, sans intérêt général, il sacrifierait tout pourvu qu’il sauve sa peau''.
''L’amiral Villeneuve vient de combler la mesure; il donne, à son départ de Vigo, l’ordre au capitaine Allemand d’aller à Brest, et vous écrit que son intention est d’aller à Cadix. Cela est certainement une trahison. […] Cela n’a plus de nom. Faites-moi un rapport sur toute l’expédition. Villeneuve est un misérable qu’il faut chasser ignominieusement. Sans combinaisons, sans courage, sans intérêt général, il sacrifierait tout pourvu qu’il sauve sa peau''.


=== Responsable du désastre de Trafalgar===
=== Responsable du désastre de Trafalgar===
Lors de la bataille du cap Finisterre (ou bataille des Quinze-Vingt),au large de la Galice (Espagne), le 22 juillet 1805, la flotte franco-espagnole que Villeneuve commandait n'avait pu atteindre la Manche, la flotte britannique de l'amiral Robert Calder, pourtant inférieure en nombre et très éprouvée par la canonnade, l'en ayant empêché. Puis la flotte de Villeneuve avait été défaite à la {{w|bataille de Trafalgar}} le 22 octobre : assailli par des ordres de Napoléon qui, voyant l'affaire manquée, avait renoncé à ses projets de débarquement en Angleterre, Villeneuve ayant appris que l'amiral Rosily était à Madrid pour venir le remplacer. Comprenant qu’il va être relevé de son commandement, Villeneuve se décide à sortir de Cadix le 19 octobre. Deux jours plus tard, la flotte combinée attaquée sur son arrière garde au cap Trafalgar, vire pour faire face aux deux colonnes anglaises de l'escadre de l'amiral Nelson, supérieurement entraînée et commandée. Mal alignée, tirant trop bas et trop loin, la flotte franco-espagnole subit le choc. Les dispositions de combat de Villeneuve furent particulièrement mauvaises : ligne de file étirée sur douze kilomètres, mélange de bâtiments français et espagnols, inorganisation du commandement. Malgré quelques belles actions et la conduite héroïque de certains, l'ampleur du désastre fut immense et les pertes, tant humaines que matérielles, élevées. Les 18 vaisseaux français et 15 vaisseaux espagnols avaient été écrasés par les 27 vaisseaux de Nelson et Villeneuve avait alors été fait prisonnier. Il était resté six mois en Angleterre, libéré sur parole mais confiné à Bishop's Waltham, dans le Hampshire, entre Winchester et Portsmouth puis à Reading. Libéré, le vice-amiral aurait à aller à Paris pour rendre compte à l'Empereur, démarche pénible car il savait bien que celui-ci en avait beaucoup après lui, la lecture du ''Moniteur'' l'en informait. Il n'avait pas exécuté ses ordres: d'abord entraîner l'escadre anglaise loin de ses bases vers les Antilles et revenir vers la France pour permettre aux troupes impériales de débarquer en Angleterre à partir de Boulogne ; puis, cet ordre n'ayant pas été exécuté, de remonter la flotte vers Rochefort et Brest alors que le vice-amiral se laissa enfermer à Cadix pendant plusieurs semaines, les équipages s'y morfondant, frappés de maladies.
Le plan de l'empereur qui ne convenait guère au prudent Villeneuve consistait, pour l'escadre de Méditerranée, à passer en Atlantique, y récupérer la flotte espagnole (l'Espagne est alors alliée de la France), s'y concentrer avec ostentation aux Antilles pour y attirer les Britanniques et, retraversant l'Atlantique, rejoindre à Rochefort et Brest l'escadre de l'Atlantique après quoi l'ensemble entrerait dans la Manche et s'y tiendrait le temps pour l'armée du Camp de Boulogne de la traverser et de débarquer au Royaume-Uni. Mais, s'il passe facilement le détroit de Gibraltar, Villeneuve n'ose attaquer la flotte de l'amiral Horatio Nelson à la Martinique.


Lors de la bataille du cap Finisterre (ou bataille des Quinze-Vingt),au large de la Galice (Espagne), le 22 juillet 1805, la flotte franco-espagnole que Villeneuve commandait n'avait pu atteindre la Manche, la flotte britannique de l'amiral Robert Calder, pourtant inférieure en nombre et très éprouvée par la canonnade, l'en ayant empêché. Puis la flotte de Villeneuve, repliée sur Cadix, avait été défaite à la {{w|bataille de Trafalgar}} le 22 octobre : assailli par des ordres de Napoléon qui, voyant l'affaire manquée, avait renoncé à ses projets de débarquement en Angleterre, Villeneuve ayant appris que l'amiral Rosily était à Madrid pour venir le remplacer. Comprenant qu’il va être relevé de son commandement, Villeneuve se décide à sortir de Cadix le 19 octobre. Deux jours plus tard, la flotte combinée attaquée sur son arrière garde au cap Trafalgar, vire pour faire face aux deux colonnes anglaises de l'escadre de l'amiral Nelson, supérieurement entraînée et commandée. Mal alignée, tirant trop bas et trop loin, la flotte franco-espagnole subit le choc. Les dispositions de combat de Villeneuve furent particulièrement mauvaises : ligne de file étirée sur douze kilomètres, mélange de bâtiments français et espagnols, inorganisation du commandement. Malgré quelques belles actions et la conduite héroïque de certains, l'ampleur du désastre fut immense et les pertes, tant humaines que matérielles, élevées. Les 18 vaisseaux français et 15 vaisseaux espagnols avaient été écrasés par les 27 vaisseaux de Nelson et Villeneuve avait alors été fait prisonnier. Il était resté six mois en Angleterre, libéré sur parole mais confiné à Bishop's Waltham, dans le Hampshire, entre Winchester et Portsmouth puis à Reading. Libéré, le vice-amiral aurait à aller à Paris pour rendre compte à l'Empereur, démarche pénible car il savait bien que celui-ci en avait beaucoup après lui, la lecture du ''Moniteur'' l'en informait. Il n'avait pas exécuté ses ordres: d'abord entraîner l'escadre anglaise loin de ses bases vers les Antilles et revenir vers la France pour permettre aux troupes impériales de débarquer en Angleterre à partir de Boulogne ; puis, cet ordre n'ayant pas été exécuté, de remonter la flotte vers Rochefort et Brest alors que le vice-amiral se laissa enfermer à Cadix pendant plusieurs semaines, les équipages s'y morfondant, frappés de maladies.
[[Fichier:Acte_de_d%C3%A9c%C3%A8s_de_l%27amiral_de_Villeneuve.png|left|500px|thumb|Acte de décès du vice-amiral Villeneuve, dressé le 23 avril 1806. État civil de Rennes]]
===Mort à l'hôtel de la Patrie ===
===Mort à l'hôtel de la Patrie ===


Le 21 avril dans la soirée, son valet noir, Jean-Baptiste Bacquè, lui remit une lettre épaisse scellée de cire rouge, lettre dont la lecture le troubla puis il demanda du papier et écrit une lettre à sa femme. Le 22 avril, vers dix-sept heures, en rentrant à l’hôtel, le domestique au retour d'une sortie en ville frappe à la porte de la chambre; pas de réponse. Peut-être l’amiral est-il sorti ? Bacqué revient un peu plus tard, frappe de nouveau; toujours pas de réponse.
Le 21 avril dans la soirée, son valet noir, Jean-Baptiste Bacquè, lui remit une lettre épaisse scellée de cire rouge, lettre dont la lecture le troubla puis il demanda du papier et écrit une lettre à sa femme. Le 22 avril, vers dix-sept heures, en rentrant à l’hôtel, le domestique au retour d'une sortie en ville frappe à la porte de la chambre; pas de réponse. Peut-être l’amiral est-il sorti ? Bacqué revient un peu plus tard, frappe de nouveau; toujours pas de réponse.
La nuit venue, le domestique s’inquiète de ce silence car personne n’a vu sortir l’amiral. Il décide de prévenir l’hôtelier et tous deux montent à l’étage, à la lumière d’une chandelle. Ils frappent encore une fois en vain. Examinant de près la serrure, ils observent que la clé était sur la porte, à l’intérieur. L’amiral s’est donc enfermé et, peut-être, a-t-il été pris de malaise, ce qui explique sans doute son silence. Néanmoins ils n’osent enfoncer la porte et alertent la police qui dépêche deux commissaires, Alexandre Bacon et Noël-Vincent Bart, qui arrivent accompagnés d’un serrurier. Faute d'obtenir de réponse, les policiers font forcer la serrure.
La nuit venue, le domestique s’inquiète de ce silence car personne n’a vu sortir l’amiral. Il décide de prévenir l’hôtelier et tous deux montent à l’étage, à la lumière d’une chandelle. Ils frappent encore une fois en vain. Examinant de près la serrure, ils observent que la clé était sur la porte, à l’intérieur. L’amiral s’est donc enfermé et, peut-être, a-t-il été pris de malaise, ce qui explique sans doute son silence. Néanmoins ils n’osent enfoncer la porte et alertent la police qui dépêche deux commissaires, Alexandre Bacon et Noël-Vincent Bert, qui arrivent accompagnés d’un serrurier. Faute d'obtenir de réponse, les policiers font forcer la serrure.


La chambre est vide, le lit n’a pas été défait. Sur la table, des papiers, ainsi que deux portefeuilles de maroquin rouge disposés en évidence.
La chambre est vide, le lit n’a pas été défait. Sur la table, des papiers, ainsi que deux portefeuilles de maroquin rouge disposés en évidence.
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===ou assassinat ?===
===ou assassinat ?===
Mais le rapport de police fait état de six coups de couteau. Deux policiers les ont constatés. Il est difficile d'admettre qu'une personne voulant se suicider se donne six coups de couteau dans la poitrine, sauf à admettre que le couteau étant un couteau de table, la lame pénétrait difficilement en profondeur et l'amiral, ayant fort mal repéré l'emplacement du cœur malgré son livre, se serait obstiné. L’un des enquêteurs, François Martin, magistrat de sûreté pour l’arrondissement de Rennes, prescrivit logiquement l’ouverture d’une enquête : ''ayant été instruit que cette mort est le résultat de plusieurs coups de couteau : que, dans pareille circonstance, il est nécessaire d’épuiser toutes les preuves pour connaître parfaitement les causes ou les auteurs d’un pareil événement, nous avons rendu plainte d’office contre tous auteurs, fauteurs ou complices de ce meurtre''. Martin n'est pas Fouché et la thèse du suicide prévaudra.


Les obsèques de première classe eurent lieu à l'[[église Saint-Germain]] et la ville de Rennes lui fit des funérailles pompeuses : un somptueux catafalque reçut le cercueil escorté par la troupe en armes et par les corps constitués au son d'une musique funèbre et suivi d'une grande foule. On peut donc s'étonner qu'on n'ait jamais su où il fut inhumé : au [[cimetière du nord]] ou dans un des petits cimetières paroissiaux qui existaient encore ? Fait étonnant étant donné la défaite de Trafalgar, le nom ''Villeneuve'' est gravé sur la 13e colonne du pilier est de l'{{w|Arc de triomphe de l'Étoile|Arc de Triomphe}}.
La rumeur publique, alimentée par les ennemis de "l'Usurpateur", se fixe sur l'assassinat. Il est vrai que l'{{w| Affaire du duc d'Enghien}} exécuté deux ans avant dans les fossés de Vincennes, est un précédent sanglant, fâcheux pour la thèse du suicide, incitant à pencher pour celle de l'assassinat.
D'ailleurs  le rapport de police fait état de six coups de couteau. Deux policiers rennais les ont constatés. Il est difficile d'admettre qu'une personne voulant se suicider se donne six coups de couteau dans la poitrine, sauf à admettre que le couteau étant un couteau de table, la lame pénétrait difficilement en profondeur et l'amiral, ayant fort mal repéré l'emplacement du cœur malgré son livre, se serait obstiné. L’un des enquêteurs, François Martin, magistrat de sûreté pour l’arrondissement de Rennes, prescrivit logiquement l’ouverture d’une enquête : ''ayant été instruit que cette mort est le résultat de plusieurs coups de couteau : que, dans pareille circonstance, il est nécessaire d’épuiser toutes les preuves pour connaître parfaitement les causes ou les auteurs d’un pareil événement, nous avons rendu plainte d’office contre tous auteurs, fauteurs ou complices de ce meurtre''. Martin n'est pas Fouché et la thèse du suicide prévaudra.
 
Les obsèques de première classe eurent lieu à l'[[église Saint-Germain]] et la ville de Rennes lui fit des funérailles pompeuses : un somptueux catafalque reçut le cercueil escorté par la troupe en armes et par les corps constitués au son d'une musique funèbre et suivi d'une grande foule. On peut donc s'étonner qu'on n'ait jamais su où il fut inhumé : au [[cimetière du nord]] ou dans un des petits cimetières paroissiaux qui existaient encore ? Marteville écrit que "le corps fut inhumé dans le cimetière commun". <ref> ''Rennes Moderne'' t.III, p. 313 A. Marteville. Deniel et Verdier, libraires,Rennes  </ref>  Fait étonnant étant donné la défaite de Trafalgar, le nom ''Villeneuve'' est gravé sur la 13e colonne du pilier est de l'{{w|Arc de triomphe de l'Étoile|Arc de Triomphe}}.


== Références ==
== Références ==
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