La quête d'un local convenable pour enseigner la chirurgie et disséquer à Rennes


Aux 18e et 19e siècles les chirurgiens rennais ne cessèrent de rechercher un local adéquat pour l’École de Chirurgie afin d’y enseigner et disséquer dans des conditions acceptables.

1738, une école de chirurgie

En 1738, sous l'instigation de François De la Rue, « chirurgien royal aux rapports », les États de Bretagne créèrent à Rennes - et donc bien avant d'autres villes plus importantes - une Ecole royale de chirurgie confirmée par lettres patentes de 1748. De la Rue y devint « démonstrateur royal d'anatomie, d'ostéologie et des principes ». Le chirurgien-major ou son aide devait procéder à l'examen de tous les malades demandant leur admission, il avisait ses collègues et l'économe des opérations qu'il allait pratiquer, il avait la responsabilité de tous les soins donnés aux malades dans l'établissement, soins qui consistaient surtout en pansements, bandages, saignées, plus rarement amputations ou opérations de la taille. Les élèves étaient placés sous son autorité et lui devaient obéissance. Cette première mesure allait faire de l'Hôtel-Dieu de Rennes un hôpital d'enseignement ; entre 1756 et 1780, il accueillit une vingtaine d'élèves par an[1].

D’une prison au 18e siècle…

 
À disposition des chirurgiens... sauf si elle doit servir de prison
 
La tour-prison Le Bât affectée à l'École de Chirurgie.[2]

Mais la galère des chirurgiens de Rennes commence au 18e siècle : les cours sont donnés dans un local de l’hôpital Saint-Yves et les cours de dissection dans des tours des remparts : tour de Toussaints, tour Le Bât ou même au Rue du Champ Dolent. En 1723 est louée aux chirurgiens la vieille tour Belon, située près du mur des Carmes, très dégradée, non réparée, pour « y établir une chambre de délibération pour y tenir leurs assemblées, y examiner les aspirans et jeunes chirurgiens et y faire dresser un théâtre anatomique pour y faire les démonstrations publiques d’anatomie… ».

L’École de Chirurgie, obtient des États de Bretagne l’utilisation de l’étage supérieur de la Tour Le Bât, désaffectée et de petite surface, hexagonale avec 7 mètres de diamètre, située à une centaine de mètres au nord-est du palais du Parlement de Bretagne près de l'actuelle rue des Fossés. À l’occasion, on y loge encore des prisonniers dans la partie basse. On y accédait après une montée de 146 marches et "le démonstrateur arrivé n'est, de longtemps, en état de parler." De plus, elle est susceptible de servir de prison occasionnellement. Aussi, dès 1740, la Communauté des chirurgiens fait part de ses projets d’amélioration du bâtiment avec construction d’un amphithéâtre mais cette demande est rejetée. Un autre projet visait un appartement du couvent des Minimes mais il fit long feu car les Minimes n’avaient pas compris par la dénomination "École publique de Chirurgie" qu’on apporterait des cadavres aux mauvaises odeurs dans ce lieu proche de leur sacristie. Les chirurgiens restent donc dans la tour Le Bât délabrée… parfois occupée par des troupes de passage !

En 1775 on retire aux chirurgiens l’usage de la tour et ceux-ci alertent sans succès les Officiers municipaux de Rennes. En mars 1776, ils peuvent s’installer dans le Couvent des Cordeliers mais ne peuvent y traiter des femmes. Le collège des chirurgiens fait donc diverses suggestions d’occupation, notamment un pavillon de l’ancien collège des Jésuites, sur un terrain près du Mail, rue Saint-Thomas. Un accord intervient pour un terrain au port de Viarmes, près de l’abbaye Saint-Georges de Rennes mais, malgré l’octroi des matériaux de construction par la Ville, les crédits manquent pour la construction d’un amphithéâtre à l’instar de ceux de villes comme Rouen, Caen, Orléans et Nantes. Le ministre se plaint de manquer de ressources et écrit que c’est aux États de faire quelques efforts. En 1790, la Révolution ayant supprimé le collège des Jésuites, on propose d’y installer une École de Médecine dans trois grandes salles et un amphithéâtre proche d’un bras du fleuve, emplacement favorable pour « laver commodément les cadavres destinés aux dissections anatomiques, et le jardin lui-même ouvre ses terres à volonté, pour y enfouir à telle profondeur que l’on voudra les ossements et chairs qui ont servi à cet usage, sans avoir l’air d’un cimetière puisqu’il forme un boulingrin dont on rétablit le gazon lorsqu’on a enterré très profondément les débris des corps ». À nouveau le projet échoue car l’École spéciale de Médecine est remplacée, le 3 Brumaire an V par une École Centrale.

...À la tour sud de la cathédrale Saint-Pierre au 19e siècle !

En 1800 le préfet affecte à la Société d’instruction médicale une partie des bâtiments des anciennes Écoles de Droit, flanqués contre la partie nord de l'Eglise Toussaints, puis un local de l’ancien couvent de Saint-Yves mais que les dames hospitalières réoccupent peu à peu.

Faute d’emplacement le préfet Mounier, sur proposition du maire, assigne à l’École de Médecine les tours de de l’ancienne cathédrale en ruine et abandonnée, et en 1826 l’École installe la salle d’anatomie à l’ossuaire de l’ancien cimetière de l'eglise Saint-Etienne, peu à peu aménagé en salles d'anatomie mais qui devient trop petit. La tour sud de la cathédrale Saint-Pierre est choisie pour y loger l’amphithéâtre. Le professeur d’anatomie Pairier, après visite avec l’architecte de la ville, M. Binet, choisit deux chambres de 38,50 m2, l’une au 1er étage, destinée aux travaux de dissection, l’autre au 2ème étage, éclairées par deux grandes baies non vitrées. Les cadavres devaient être montés par l’escalier à vis de la tour, d’une largeur de 70 cm jusqu’à la salle du 1er étage, trop petite pour accueillir parfois jusqu’à 70 élèves.

 
La tour de la cathédrale à droite, Photo Penaut de 1889, quand les 1er et 2e étages y étaient encore occupés par l'École de Chirurgie.[3]

Le professeur Duval, ne pouvant continuer ses cours dans ces conditions, lui qui avait créé à ses frais une salle de dissection privée dans la rue de Berlin (actuelle rue Edith Cavell), essuya un refus du maire à l’installation d’une nouvelle salle de dissection au bas de la tour sud de la cathédrale. L’inspecteur général de l’Université, Geoffroy Saint-Hilaire, dans un rapport de mars 1849, constate que « la salle de dissection est beaucoup trop petite, aérée seulement d’un côté et telle qu’il serait prudent de n’y jamais réunir plus de quinze élèves autour de trois tables et de trois sujets ». Or on y réunit trois ou quatre fois plus d’élèves autour de tables portant 8 à 10 cadavres ![4]

En 1852, la construction du Palais universitaire (actuel musée des Beaux-Arts) permet de réunir tous les centres d’enseignement supérieur, y compris celui de la médecine, le local de dissection excepté, qui reste au cimetière de Saint-Étienne.

 
L'École de Médecine et de Pharmacie, côté rue Dupont des Loges

Et enfin, boulevard Laënnec

En 1871, la Ville de Rennes concède enfin à l'Ecole de Médecine et de Pharmacie un vaste terrain entre le boulevard Laënnec et la rue Dupont des Loges. Par délibération du Conseil municipal du 7 septembre 1894, le maire de Rennes, Edgar Le Bastard, fait adopter la prise en charge des frais de construction des instituts d’anatomie et de chimie et l'achat des matériels scientifiques nécessaires.

En 1911, c’est enfin l’inauguration officielle par le président Poincaré à Rennes, épilogue de la longue quête des chirurgiens rennais[5].

références

  1. Histoire des hôpitaux de Rennes, professeur J-C. Sournia. BIU Santé
  2. Extrait du plan dans Le Vieux Rennes, de P. Banéat
  3. Le Vieux Rennes de P. Banéat
  4. Conférence-promenade de "Rennes, ville en sciences" par Jos Pennec - nov. 2010
  5. Le local de la Communauté des Chirurgiens de Rennes et de l'École de Chirurgie, par le Dr Paul Hardoüin, professeur honoraire à l'École de Médecine de Rennes. Bulletin et mémoires de la Société archéologique du Département d'Ille-et-Vilaine. t. LXVII - 1944