« Printemps 1940, ça douille à l'arsenal de Rennes » : différence entre les versions

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Forte de cette origine, elle trouva sans aucune peine, probablement, un emploi de serveuse au café Hinet au 69 du [[boulevard de la Tour d'Auvergne]] ; famille avec laquelle elle conserva très longtemps de forts liens. Ce salaire complétait celui de René, menuisier-ébéniste chez Thébault, le ''Roi du meuble'' (selon ma mère), [[rue de Brest]]. Il ne restait que quelques pas à faire pour que, sous l'effet des circonstances, Anna Baril s'embauche comme ouvrière à l'arsenal qu'elle connaissait déjà si bien au contact des clients qu'elle servait.
Forte de cette origine, elle trouva sans aucune peine, probablement, un emploi de serveuse au café Hinet au 69 du [[boulevard de la Tour d'Auvergne]] ; famille avec laquelle elle conserva très longtemps de forts liens. Ce salaire complétait celui de René, menuisier-ébéniste chez Thébault, le ''Roi du meuble'' (selon ma mère), [[rue de Brest]]. Il ne restait que quelques pas à faire pour que, sous l'effet des circonstances, Anna Baril s'embauche comme ouvrière à l'arsenal qu'elle connaissait déjà si bien au contact des clients qu'elle servait.
== Octobre 1939, l'arsenal recrute ==
Le 4 octobre [[1939]], il est question pour la première fois de l'arsenal. René Tigier, alors à Poitiers, ne paraît pas pétri de patriotisme quand il écrit : ''Tu me dis que tu vas entrer à l'arsenal. Madame Hinet va sant doute être bien ennuyé car elle aurait préféré que tu soit à sa disposition. Tu auras beaucoup plus de mal et peut être pas grande aventage et pourvut que cela ne t'empêche pas de recevoir l'allocation.'' D'un tempérament débonnaire, aucune de ses lettres ne donnera le moindre indice d'un quelconque militarisme<ref>''La garde a été vite prise, on a tous rester coucher dans une remise sur un bon tât de foin''. Lettre du 14 octobre 1939, Saint Loup sur Thouet.</ref>, tandis que leur fils demeure au centre de leurs échanges. La lettre suivante, outre un reproche assez sec pour lui avoir envoyé un colis, poursuit dans la même veine : ''Tu te demandes si tu dois reprendre Yves [qui a dû être mis en sûreté probablement, dans la famille]. Tu aurais peut être mieu fait de rester à faire comme tu faisais, surtout s'il faut que tu travaille la nuit et le dimanche. Tu ne pourras jamais y attendre ; tu tomberas malade et c'est tout ce que tu gagneras, et surtout le jour que tu ne pourras pas dormir avec le barouffe qui y a dans la maison''.
Pourtant, ma grand-mère ne change pas d'idée, et elle reçoit une lettre du 11 octobre : ''Tu me dis que tu es rentré à l'arsenal. A tu un bon poste car il y en a qui sont dure. Tu me diras se que tu fais, et surtout il faut que tu manges bien le matin avant de partir et porter un bout de pain avec toi que tu mangeras dans la matinée. Est tu à l'arsenal ou à la Courouze ; si tu étais à l'arsenal se serait beaucoup plus près. Madame Hinet doit etre bien ennuyer que tu es parti''.
Le 14, mon grand-père réitère ses propos réticents et conseils quant à l'emploi à l'arsenal. Il ne se plaint pas à nouveau du colis dont il a déjà été question, et dit avoir reçu des ''reliques de Sainte Thérèse'' de la part des ''Collorec'' [lien de parenté confus]. Ma grand-mère n'est pas loquace sur son emploi, selon ce qu'il dit dans la lettre du 17. Il est plein de sollicitude à nouveau le 22 : ''Je ne cesse de penser à toi, car je sais que tu a beaucoup plus de mal que moi'' ; surtout ce jour, où il est allé à la messe et voir ''jouer au ballon''.
Il est arrivé dans les Ardennes en ce début novembre. Les allocations, l'arsenal et l'application scolaire d'Yves, voire sa santé, reviennent à plusieurs reprises ensuite : ''Il doit y avoir beaucoup de monde à travailler à l'arsenal... Tout ceux qui sont mobilisables ; on va leur retenir sur leur salaire ; ils ont encore bien de la veine d'être là... Tu me dis qu'ils y en a beaucoup qui lessent leurs travail ; s'en doute qu'ils trouvent que cela est trop dure, et surtout pour celle qui sont loing ; et c'est peut être mal sain ce cuivre. Il faut bien te laver les mains... Tu aurais encore mieu fait de rester à faire ton petit bouleau... Je vois, ma pauvre petite femme que tu es bien fatiguer et que tu as l'air de perdre courage... Si vous ne faite que 8 h vous gagneré moin, mais vous aurez moin de mal... '' Le 14 novembre, il se défend des rumeurs d'une fin prochaine : ''Je n'y crois pas car ce sera une guerre longue. Tout est prévu pour cela.'' ajoutant le 22 (Saint-Fergeux) : ''si j'ai du courage et que je prends gout à la vie, c'est pour toi ma petite Anna, car plus je suis long plus je t'aime, car on se doute bien que l'on est içi pour des années. On n'a pas fini dans voir...''.
La question des allocations revient encore dans deux lettres de la mi-décembre : ''Tu me dis que tu a reçu pour l'impô sur le salaire. Il ne faut pas payer, j'irais m'arrengé avec eu quand je serais en perme. Je leur dirais d'envoyer la note à Baladier ; peut-être qu'il la payra comme je suis mobiliser je ne dois pas payer...'' - ''Tu me dis qu'il t'on renvoyer pour que tu paies l'impôt sur le salaire. Tu peux te rensayller et attendre que je suis venu en perme. J'ai vu sur des journeaux que le salaire d'une femme ne pouvait pas empêcher de toucher l'allocation militaire.''. Il est maintenant content de l'emploi de sa femme : ''Je vois que tu te débrouille bien et que tu vas changer de travaille. Ce sera peut-être moins dure et surtout que tu auras tes nuits. Ce sera moin fatiguant et tes repas mieu réglé.'' - ''... tu dois commencer à t'y faire à ton nouveau métier. Sur ce que je vois, il veulent vous diminuer, il s'y prennent sur tout.''
Vient enfin son tour pour une permission du 29 décembre au 12 janvier, comme pour beaucoup d'autres. Le courrier reprend avec une lettre du 6 février, étant rentré au pays pour une convalescence de grippe du 24 janvier au 5 février.


== L'arsenal au printemps 1940 ==
== L'arsenal au printemps 1940 ==
La première évocation de l'arsenal, dès la première lettre, celle du ''mardi soir'' 6 février 1940, conservée par la réponse du 9, est un peu trop allusive : ''Moi hier, j'ai tiré un peu dure à travailler ; j'avais dormi de 3 h à 4 h 1/2 aussi j'ai trouvé mon lit bon à 7 heures hier soir - et toi tu devais être aussi bien fatigué - moi j'ai repris mon petit boulot, chacun fait le sien. Maintenant, il y a eu des histoires : Leroux m'a dit que je ne serais payé que trois jours ; c'est malheureux à une journée près.'' Le mot fatigue est une des allusions au voyage de retour au front<ref>Saint-Fergeux, petite commune du département des Ardennes. Il neige en ce mois de février : neige toujours au sol, début avril.</ref> après une permission, une autre étant que mon grand-père a oublié sa ''cravate caquis''... Mais, la fatigue pouvait avoir d'autres motifs, notoirement plus doux que les tressautements incessants des wagons de permissionnaires, la séparation s'avérant bien pénible : ''Mon pauvre petit, je n'en suis pas encore revenu ; que c'est tout de meme dure de ce séparer ; il faut y passer pour savoir. Fait attention à ta toux et met toi des ricolo - moi je tousse aussi un peu, j'ai mis un cataplasme.''
La première évocation de l'arsenal par ma grand-mère elle-même, dès la première lettre, celle du ''mardi soir'' 6 février 1940, conservée par la réponse du 9, est un peu trop allusive : ''Moi hier, j'ai tiré un peu dure à travailler ; j'avais dormi de 3 h à 4 h 1/2 aussi j'ai trouvé mon lit bon à 7 heures hier soir - et toi tu devais être aussi bien fatigué - moi j'ai repris mon petit boulot, chacun fait le sien. Maintenant, il y a eu des histoires : Leroux m'a dit que je ne serais payé que trois jours ; c'est malheureux à une journée près.'' Le mot fatigue est une des allusions au voyage de retour au front<ref>Saint-Fergeux, petite commune du département des Ardennes. Il neige en ce mois de février : neige toujours au sol, début avril.</ref> après une permission, une autre étant que mon grand-père a oublié sa ''cravate caquis''... Mais, la fatigue pouvait avoir d'autres motifs, notoirement plus doux que les tressautements incessants des wagons de permissionnaires, la séparation s'avérant bien pénible : ''Mon pauvre petit, je n'en suis pas encore revenu ; que c'est tout de meme dure de ce séparer ; il faut y passer pour savoir. Fait attention à ta toux et met toi des ricolo - moi je tousse aussi un peu, j'ai mis un cataplasme.''


La réponse du 9 montre chez le réserviste mobilisé une certaine aigreur à l'égard de Bretons ou de Rennais : ''Je suis bien content que cela débale par chez nous ; ils en ont profitter assez - cela leur fera un peu voir et les derniers parti ne seront peut être pas mieu que les dernier'' [sic]. Il doit s'agir d'un écho au propos de sa femme : ''M. La---gne a reçu sa feuille de route pour partir ; il va au Mans ; ça va peut etre deguerpir par la, il commence à etre temps''.
La réponse du 9 montre chez le réserviste mobilisé une certaine aigreur à l'égard de Bretons ou de Rennais : ''Je suis bien content que cela débale par chez nous ; ils en ont profitter assez - cela leur fera un peu voir et les derniers parti ne seront peut être pas mieu que les dernier'' [sic]. Il doit s'agir d'un écho au propos de sa femme : ''M. La---gne a reçu sa feuille de route pour partir ; il va au Mans ; ça va peut etre deguerpir par la, il commence à etre temps''.
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'''Mon petit homme d'amour''' - La lettre du mercredi 17 avril 1940 (6 h 1/2), la dernière conservée, ne se distingue pas des précédentes. La Norvège, l'attente languissante, les allers-et-venues des uns et des autres, plus ou moins heureux, introduisent une petite évocation de l'arsenal : ''Ici, en face, il arrive tout plein de civiles, ceux qui ont repassé probablement ; certains boite[nt]. Gustave [Hinet] et le petit Legoff vont bien risqué de passé à la casserole. On demande à vieillir de ce temps là. Je pense bien à toi mon cheri dans ces jours si critiques.</br>Le boulot ça va bien. Leroux a dit [à] Mr. Boullez dimanche que sa femme et moi l'on etait ses 2 meilleures ouvrieres de notre equipe. On n'est surement pas les plus mauvaises : on se règle toute seule ; c'est une routine à prendre si on faisait toujours les memes poinçons ; mais je ne sais [pourquoi] on change souvent de modèle...<ref>On construit 700 maisons du coté de Cleunay. Je ne sais ce que c'est que tout ça.</ref> J'irais demain en sortant à 3 h 1/2 à l'oculiste... ''[pour Yves]</br>''Ta petite tourneuse te dit à bientôt mon tout petit et à demain bonsoir et bonne nuit''.
'''Mon petit homme d'amour''' - La lettre du mercredi 17 avril 1940 (6 h 1/2), la dernière conservée, ne se distingue pas des précédentes. La Norvège, l'attente languissante, les allers-et-venues des uns et des autres, plus ou moins heureux, introduisent une petite évocation de l'arsenal : ''Ici, en face, il arrive tout plein de civiles, ceux qui ont repassé probablement ; certains boite[nt]. Gustave [Hinet] et le petit Legoff vont bien risqué de passé à la casserole. On demande à vieillir de ce temps là. Je pense bien à toi mon cheri dans ces jours si critiques.</br>Le boulot ça va bien. Leroux a dit [à] Mr. Boullez dimanche que sa femme et moi l'on etait ses 2 meilleures ouvrieres de notre equipe. On n'est surement pas les plus mauvaises : on se règle toute seule ; c'est une routine à prendre si on faisait toujours les memes poinçons ; mais je ne sais [pourquoi] on change souvent de modèle...<ref>On construit 700 maisons du coté de Cleunay. Je ne sais ce que c'est que tout ça.</ref> J'irais demain en sortant à 3 h 1/2 à l'oculiste... ''[pour Yves]</br>''Ta petite tourneuse te dit à bientôt mon tout petit et à demain bonsoir et bonne nuit''.


La dernière lettre reçue de mon grand-père date du 11 juin, donc près de deux mois plus tard.
La dernière lettre reçue de mon grand-père date du 11 juin, donc près de deux mois plus tard. Le 27 mai, s'il avait indiqué que sa batterie avait subi ''les premières pertes'', un calme relatif semblait être revenu les jours suivants, s'inquiétant encore pour l'arrière : ''Pourvu qu'il ne vous bombarde pas, les parisiens ne doivent pas rire.''


== Notes et références ==
== Notes et références ==
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