« Printemps 1940, ça douille à l'arsenal de Rennes » : différence entre les versions

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Dans la sixième lettre, le mardi 9 avril, la permission attendue est toujours la trame de la narration, mais des satisfactions émergent : ''Ce midi, je mange avec Yves, chez Me. Monnerais, une tête de veau avec Joseph et sa soeur. Tout le monde pense à moi : on ne me délaisse pas. Quand on est seule, ça fait bien plaisir. Dimanche, j'avais mon costume de laine ; il fait envie à tout le monde, surtout le prix ... mais c'est toujours Rosalie que ça dérange ; si elle avait encore quelque chose dessus, mais comme elle n'a rien que la peine d'aller les chercher. La mere Hinet en aurait bien pris aussi.'' Anna prend encore la peine de marquer une certaine complicité gourmande en ajoutant dans la marge en travers : ''Je te dirais si la tête de veau était bonne'' - à lui qui avait relaté une petite escapade dans un café de Metz où lui et ses copains ont été bien nourris : ''ça change un peut avec la gamèle''. La ''tête de veau'' n'est effectivement pas tombée dans l'oreille d'un sourd et est encore évoquée dans la réponse du 11 avril ''à sa petite femme cherie et à cher petit Yves'', avant un retour dramatique à la guerre, disant que les permissionnaires seraient rappelés ; que les ''marins doivent en voir des dures par labas...'' ; bref : ''Pour nous, c'est la guerre qui commence ; je ne sais quand ce sera la fin''.
Dans la sixième lettre, le mardi 9 avril, la permission attendue est toujours la trame de la narration, mais des satisfactions émergent : ''Ce midi, je mange avec Yves, chez Me. Monnerais, une tête de veau avec Joseph et sa soeur. Tout le monde pense à moi : on ne me délaisse pas. Quand on est seule, ça fait bien plaisir. Dimanche, j'avais mon costume de laine ; il fait envie à tout le monde, surtout le prix ... mais c'est toujours Rosalie que ça dérange ; si elle avait encore quelque chose dessus, mais comme elle n'a rien que la peine d'aller les chercher. La mere Hinet en aurait bien pris aussi.'' Anna prend encore la peine de marquer une certaine complicité gourmande en ajoutant dans la marge en travers : ''Je te dirais si la tête de veau était bonne'' - à lui qui avait relaté une petite escapade dans un café de Metz où lui et ses copains ont été bien nourris : ''ça change un peut avec la gamèle''. La ''tête de veau'' n'est effectivement pas tombée dans l'oreille d'un sourd et est encore évoquée dans la réponse du 11 avril ''à sa petite femme cherie et à cher petit Yves'', avant un retour dramatique à la guerre, disant que les permissionnaires seraient rappelés ; que les ''marins doivent en voir des dures par labas...'' ; bref : ''Pour nous, c'est la guerre qui commence ; je ne sais quand ce sera la fin''.
Le jeudi 11 avril toujours, la septième lettre, à "Mon tout petit René cheri", ouvre une nouvelle parenthèse sur son travail entre deux évocations de la guerre : ''Quel bagarre vers la Norvège, mon Dieu, c'est epouvantable...'' et ''Maurice Lemoine est parti à Oran ; ça va chauffer aussi pour eux aussi''.<br />''Tu n'as pas besoin d'avoir peur, ce n'est pas moi qui fera monter le travail. Je suis assez maline comme lui quoi qu'il y est pas mal, mais quand il y a 2 equipes comme ça on ne s'est à quoi s'en tenir : une met temps de temps, l'autre ne fait pas pareil ; je m'en suis dejà apercu car on m'avait dit un prix et après on m'a diminué. Me. Colleaux est venu ce matin, je n'étais pas levé, chercher son sac où j'avais rapporté des pissenlits...''. Il ne semble pas que la nourriture manque puisqu'elle dit : ''Je vais etre obligé de marcher quand il fera beau ou alors je ne pourrais plus me bouger. Je n'ai pas beaucoup d'exercice, toujours assise''. L'ambiance de l'atelier n'est pas sinistre à en croire les deux blagues salaces que se permet ''son patron'' à son endroit, c'est le cas de le dire. Amusée des jeux de mots, elle n'en est elle-même pas choquée, mais précise bien à son lointain mari : ''Il en a de bonne : Mme. Boullez a encore pleurer ; après il regrette.'' Mon grand-père précise dans sa lettre du 18 que partie ou totalité de son régiment fait partie de la ''6eme division de Nord affricains''. Il a reçu une carte de la Norvège dessinée par son fils.
Anna écrit le samedi 13 au retour du [[marché des Lices]] : ''Il fait beau temps. Colleaux [en marge : 22 rue Saint-Michel] vient de venir m'apporter 1/2 livre de café, car eux, ils en trouvent facilement quoiqu'il est moins rare, mais il a pas mal augmenté comme tout''. Cette lettre met l'accent sur la piété de ma grand-mère, piété qui trouvera à se renforcer en seconde partie de vie en conséquence du deuil. Elle dit lui avoir envoyé une image de Lourdes et un coeur porte-bonheur, et termine avec un sincère regret : ''Tu n'as pas pu faire ton Paques probablement''.
L'avant dernière lettre, le lundi 15 avril, commence par une troisième évocation du conflit en Norvège : ''Oui je crois que les boches vont recevoir une dérouillée en Norvège ; ils en mérite bien les salauds avec tout le mal qui fond''. Suit une anecdote concernant l'arsenal : ''J'ai une compagne de travail. Sont mari est arrivé du Maroc ; elle ne l'avait pas vu depuis la mobilisation. De la faire, elle [a] manqué une journée sans prévenir. Pour la peine, elle va travailler une journée sans être payé. Il ne fait pas bon être en retard ou manqué. C'est sévère. Ils sont bien obligés, car il y en a qui exagère au café au dessous, je ne sais ce qui s'est passé cette nuit : ça poussait des cris la dedans. Je ne sais quelle vie elles mènent ces femmes la.''. Cette observation est la seule qui rappelle que le ménage demeurait dans l'immeuble au-dessus du café (où est né Yves mon père, il y a 90 ans, le 7 janvier 1931) ; et rien ne dit qu'elle y servait la clientèle.
'''Mon petit homme d'amour''' - La lettre du mercredi 17 avril 1940 (6 h 1/2), la dernière conservée, ne se distingue pas des précédentes. La Norvège, l'attente languissante, les allers-et-venues des uns et des autres, plus ou moins heureux, introduisent une petite évocation de l'arsenal : ''Ici, en face, il arrive tout plein de civiles, ceux qui ont repassé probablement ; certains boite[nt]. Gustave [Hinet] et le petit Legoff vont bien risqué de passé à la casserole. On demande à vieillir de ce temps là. Je pense bien à toi mon cheri dans ces jours si critiques.</br>Le boulot ça va bien. Leroux a dit [à] Mr. Boullez dimanche que sa femme et moi l'on etait ses 2 meilleures ouvrieres de notre equipe. On n'est surement pas les plus mauvaises : on se règle toute seule ; c'est une routine à prendre si on faisait toujours les memes poinçons ; mais je ne sais [pourquoi] on change souvent de modèle...<ref>On construit 700 maisons du coté de Cleunay. Je ne sais ce que c'est que tout ça.</ref> J'irais demain en sortant à 3 h 1/2 à l'oculiste... [pour Yves]''</br>Ta petite tourneuse te dit à bientôt mon tout petit et à demain bonsoir et bonne nuit''.
La dernière lettre reçue de mon grand-père date du 11 juin, donc près de deux mois plus tard.


== Notes et références ==
== Notes et références ==
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