Un Rennais, agent actif de la Gestapo, Guy Vissault

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Un engagement du côté allemand pour une Bretagne indépendante

Ouest-Eclair du 11 août 1939

Issu de familles bretonnes aux traditions monarchistes et séparatistes, Guy Vissault, dit « de Coëtlogon », est né à Angers le 12 mars 1921. À 15 ans, l'adolescent, cheveux blonds ondulés et yeux bleus, milite à l’Action française. À l’été 1938 il passe deux mois en Irlande où il fréquente des membres d’une organisation celtique proche du nazisme. Il est élève de l'École des hautes études en sciences sociales à Paris. Au contact de Marcel Guieysse Wikipedia-logo-v2.svg, un des dirigeant du mouvement autonomiste breton, il adhère au Parti national breton. En fait, il se voyait dans la lignée de certains hobereaux bretons qui, de tout temps, s’étaient levés contre les rois et l’État français. Fin 1938, Guy Vissault obtient, avec l’aide du docteur Hans Otto Wagner, philologue et historien des minorités, une bourse d’études à l'école d'espionnage nazi de Cologne, où il va être formaté et va, selon André Debar chargé, à la libération, de démasquer les agents allemands en Bretagne, devenir le prototype de ces Bretons totalement manipulés par les services de sécurité allemands[1]. Il fit connaissance d'étudiants allemands de la Société celtique de Berlin, qui était, en réalité, une section de l'armée allemande, chargée de missions d'espionnage et de sabotage. Il rentre en France en juin 1939, dans la nuit du 8 au 9 août 1939, et participe, sur la plage des Sables-Blancs près de Locquirec, au débarquement du thonier Gwalarnn, échoué à une dizaine de mètres du rivage, de caisses et barriques d'armes et de tracts appelant à ne pas mourir pour Dantzig, fournies par l'Allemagne qu’il était allé avec Laîné négocier à Berlin en juillet. Elles sont amenées dans plusieurs voitures vers une villa louée par Jacques de Quelen à Perros-Guirec[2]. Une caisse de tracts tombée en mer est découverte sur le rivage de Jersey et la police française est informée. Vissault est alors poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’État et obtient un non lieu en février 1940 après six mois d’internement à Nantes, puis il essuie un refus à son engagement dans l’armée française[3]. Dès lors, il s’engage totalement aux côtés des Nazis contre la France pour une Bretagne indépendante. En décembre 1940, recruté par Hans Otto Wagner, comme informateur par le Sipo-SD à Rennes, avenue Jules Ferry il suit des cours de sabotage avec 9 camarades à l'école de la rue des Longchamps à Paris. Le dimanche 11 octobre 1941, lors d’une manifestation à Rennes pour le jubilé du marquis Régis de L'Estourbeillon Wikipedia-logo-v2.svg, le vieux président de l’Union régionaliste bretonne, une bousculade dans laquelle il se distingue eut lieu et Vissault eut un œil blessé par des éclats de verre de ses lunettes[4]. En août 1942 il est à la section VI du SD de Bickler où il s'occupe de liaisons avec l'Irlande. Son épouse, Germaine Le Coz, décède âgée de 25 ans en décembre 1942 à leur domicile 3, rue Saint-Guillaume à Rennes; elle avait un cancer dont Guy connaissait l'existence en l'épousant.

Guy Vissault.jpg

Au service des Nazis, à fond contre les Résistants

En juin 1943, Vissault, comme Schwaller[5], adhère au Cercle d'études national socialiste [6] fondé par Raymond Du Perron de Maurin Wikipedia-logo-v2.svg[7]. Agent de l’avocat alsacien Standartenführer Herman Bickler Wikipedia-logo-v2.svg, ami des nationalistes bretons, qui l’a accueilli ainsi que le Locminois Patrick Guérin - qui avait détruit le 18 juin 1939 la statue de Bécassine au musée Grévin à Paris ! - Vissault entre, fin 1943, à l’école SS de Taverny où l'on fait des stages de contre-guérilla, de sabotage et de technique d'interrogatoire, et en sort avec le grade de sous-lieutenant Waffen SS. Parfois sous le pseudo d’Alain Godvil, il parcourt la Bretagne à la recherche de volontaires qu’il trouve surtout à Rennes et Saint-Malo pour son équipe, connue sous le nom de « groupe Vissault de Coëtlogon », une Selbstschutzpolizei, totalement indépendante du Bezen Perrot. Il est composé d'un groupe de liaison radio confié à Patrick Guérin et un groupe d'action directe conduit par Guy Vissault qui coiffe les deux. Ils seront moins d’une dizaine, probablement sept, dont quelques-uns furent envoyés en Allemagne suivre un entraînement au sabotage[8]. Promu SS-Obersturmführer (lieutenant), Vissault est contrôlé par le Hauptsturmführer Hermann Wenzel du SIPO-SD à Rennes, dentiste dans le civil. Il participe aux interrogatoires mais n'aurait pas personnellement torturé. Un de ses agents, Roger Le Neveu, infiltrera à Rennes le réseau Pat O Leary et le réseau de résistance Bordeaux-Loupiac spécialisé dans l'évasion des aviateurs alliés tombés en territoire occupé, dont plusieurs membres furent arrêtés, tels Rémy Roure, atrocement torturé, mais qui ne parla pas, dont le chef du réseau, Jean-Claude Camors [9], blessé au Café de l'Époque, 16 rue du Pré-Botté, le 11 octobre 1943 à Rennes et qui mourra, exsangue.

Feuille d'entrée de Joseph Le Ruyet au SD

Un autre agent, Joseph Le Ruyet, jouant le résistant, parlant breton, s'attirait la confiance des paysans ou des commerçants susceptibles de ravitailler les maquis et réussit à en infiltrer, provoquant l'arrestation en novembre 1943 de plusieurs résistants (Jean L'Hours, Le Doaré et Flaud) dans la région de Châteaulin, et à Saint-Brieuc-des-Iffs, le 28 novembre 1943, où furent découverts un parachutiste américain et un stock de trois tonnes d’armes (Jean Nobilet) et un de cinq tonnes à Saint-Aubin du Cormier, 16 personnes ayant été appréhendées lors de ces deux prises et déportées. Tout au long du premier semestre de 1944 ils vont débusquer et liquider les résistants : le 7 février, des feldgendarmes, épaulés de membres du Bezen Perrot (dont Ange Péresse, originaire de Bubry) et du groupe de Guy Vissault de Coëtlogon (dont Joseph Le Ruyet, originaire de Bubry) arrêtent 17 résistants à Baud, Bubry, Camors et Quistinic dans le Morbihan, 2 résistants quimpérois (Monges et Mingant) au café de Paris, rue Châteaurenault à Rennes, qui seront déportés, à Hédé la famille Morel. Le 20 avril à Rennes, un coup de filet à l’hôtel du Cheval d’Or[10] entraîna la capture de 19 membres du réseau, déportés, dont neuf ne reviendront pas et 300 000F sont dérobés. Durant les premiers mois de 1944, Vissault se rend plusieurs fois en Normandie pour se prêter au jeu piégeant du Dr Josef Götz, maître du jeu-radio (Funkspiel) contre les membres de la French Section du S.O.E (Special Operations Executive) qui croient être en relation avec des agents fiables et des résistants qui, en fait, ont été retournés et émettent les informations avec lesquelles l'ennemi est intoxiqué.

Roger Le Neveu

Vissault, impitoyable avec les résistants, l'est aussi avec l'un des siens, Roger Le Neveu, qui a participé à l'arrestation de Jean-Pierre Camors, soupçonné de renseigner Pulmer, chef de la Gestapo à Rennes, sur ses compagnons. Le Neveu, considéré comme mouchard, est exécuté, début juillet 1944, dans un chemin creux de Saint-Jacques-de-la-Lande.

2 août 1944, les Américains sont aux portes de Rennes[11]. Vissault donne l'ordre à ses agents de se replier sur Paris. Huit personnes furent fusillées à Rennes pour faits de collaboration après avoir été condamnées à mort par la cour de justice de Rennes : outre Joseph Le Ruyet (de Bubry), membre du groupe Vissault, ce sont Pierre Bernier (de Pénestin), Hervé Botros (de Lanmeur), Fernand-André Geoffroy (de Pommerit-Jaudy), Claude Geslin (de Rennes),[12] Léon Jasson (de Baud), Corentin Kergoat (de Châteaulin), commandant Thomas (de Rennes) ; André Geoffroy (de Lannion), condamné à mort, vit sa peine commuée, auxquels est ajouté Raymond Du Perron de Maurin fusillé le 5 novembre 1946.

Une peine de mort assumée par l'exalté

Vissault est arrêté par des FFI, le 21 août 1944, à Sens (Yonne) où il se cachait et s'étant déclaré agent de l'Intelligence Service, il est remis aux Américains puis à un agent britannique et transféré avec Patrick Guérin à Londres où il est longuement interrogé. Les services MI 5 (service militaire britannique du contre-espionnage) et G 2 (service de renseignement militaire de l'Irlande) coopérèrent étroitement dans leurs recherches sur les activités de Vissault en Irlande. Vissault admirait Sir Roger Casement, apôtre de l'indépendance irlandaise. Il termina comme supplétif de la Gestapo. Il est fusillé le 24 avril 1945 à Rennes. Ils conclurent que : "Déployant plus de courage que de bon sens de Coëtlogon avait aidé les efforts allemands pour créer des groupes arrière après l'opération Overlord. Il en ressortit qu'il était allé en Irlande, encore adolescent, en 1938. Le dessein de cette visite n'était pas l'espionnage mais l'exploration des racines celtiques communes et de la culture"[13]. Le 24 octobre il est rendu aux Français, transféré à la prison du Cherche-Midi puis à Fresnes et il est interrogé sans relâche. Selon le témoignage du père Petit, l'aumônier de la prison, il passe les premiers mois de 1945 comme un moine dans sa cellule.

Lors de son procès devant la 10ème section de la cour de justice de la Seine, le 5 avril 1945, il dit avec fougue: « Ce que j'ai fait, je suis prêt à le recommencer dans les mêmes conditions, car on peut être pro-allemand et demeurer toujours un bon Français. Je me suis battu pour ma Bretagne, pour l'Occident et contre le bolchevisme. Je considère que la France est actuellement occupée par les Anglo-Américains comme vous dites qu'elle l'était par les Allemands. Je lutterai toujours contre le gouvernement de Gaulle, qui est un usurpateur, contre les Anglais, les Américains et les Russes." Guy Vissault fut condamné à mort et s'exclama :"C'est un hommage. Dieu me donne la grâce de mourir pour mon pays ! Quelle joie de pouvoir offrir sa vie pour un idéal. Je plains ceux qui meurent pour rien ! […] j'ai choisi la cause de la Bretagne, parce qu'elle est belle, parce qu'elle est combattue, méprisée… Pour la sauver, je donne ma vie !" et il refusa de se pourvoir en cassation et le recours en grâce, déclarant : «  Soldat breton, je ne demande pas grâce à un chef d’État français ! » Ses avocats, Mes Chochon et Mercier, eurent du mal à le calmer. Il fut exécuté, fusillé le 24 avril au fort de Montrouge et son corps mis dans la fosse commune du quartier des condamnés, au cimetière de Thiais. Il sera réinhumé avec l'inscription Doue Ha Breiz[14].

Références

  1. Entretien de Philippe Aziz avec Debar. Le Livre noir de la trahison, p. 200; Éditions Ramsay - 1984
  2. Les forces politiques en Bretagne: Notables, élus et militants (1914-1946). Christian Bougeard - Collections « Histoire » PUR – 2011
  3. La Gestapo et les Français. Dominique Lormier. Pygmalion - 2013
  4. La Bretagne dans la Guerre t.3 Hervé de Boterf. Éditions France-Empire – 1971
  5. Émile Schwaller, à la LVF puis milicien criminel
  6. À Rennes, Du Perron de Maurin, chasseur de Juifs puis milicien
  7. Les Nationalistes bretons sous l'occupation,p. 76-77. Kristian Hamon. Yoran Embanner
  8. The SS Hunter Battalions. The Hidden History of the Nazi Resistance Movement 1944-45. Perry Biddiscomb . The History Press - 2006
  9. rue Jean-Claude Camors
  10. Square Anne-Marie Tanguy
  11. Le combat du 1er août 1944 à Maison Blanche
  12. Claude Geslin, l'exemple du dévoiement à l'ennemi
  13. Spying on Ireland. British Intelligence and Irish Neutrality p. 262. Eunan O' Halpin. Oxford University Press
  14. Le Livre noir de la trahison. Histoires de la Gestapo en France. pp. 229-31 Philippe Aziz Éditions Ramsay - 1984