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Juin-juillet 1940, pour certains avec l'occupant la lueur d'une Bretagne indépendante
Les indépendantistes bretons, Olivier Mordrel, dit Olier Mordrel , et le Rennais François Debauvais qui, en 1939, avaient choisi l'exil à Berlin, avaient publié, en janvier 1940 une lettre affirmant qu'un vrai Breton ne doit pas mourir pour la France et monté un simulacre de gouvernement breton à Berlin. Devant le Tribunal militaire siégeant à Rennes, François Debauvais, canonnier, et le lieutenant de réserve Olivier Mordrel, prévenus d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et à l'intégrité du territoire, de maintien ou de recrutement d'un groupement dissous, de provocation de militaires à la désertion et de trahison avaient été condamnés à la peine de mort et la dégradation militaire par contumace. Un autre indépendantiste, Célestin Laîné , déjà cassé de son grade de lieutenant d'artillerie le 22 juin 1938 pour dégradation de monument public, avait été condamné à 4 ans de prison le 23 février 1940 par le tribunal militaire de Rennes.
Les séparatistes de retour
Le 18 juin 1940, les troupes allemandes à Rennes, ville traumatisée[1] par le bombardement de la veille[2], vont amener dans leur sillage, le 22, jour de la signature de l'armistice, Debauvais qui arrive cependant 4 jours trop tard pour mettre la main sur le quotidien L'Ouest-Eclair et faire flotter le drapeau Gwenn ha Du sur l'hôtel de Ville. Cependant la crainte de menées séparatistes est bien réelle chez les responsables, au point que le préfet d'Ille-et-Vilaine, Désiré Joigny, craignait dans la nuit du 29 au 30[3] une attaque d'autonomistes avec l'aide de 150 prisonniers bretons arrivant à Rennes, recrutés au Stalag IX B Bad Orb où étaient rassemblés les Bretons, élargis d'Allemagne car ils étaient censés avoir été volontaires pour libérer la Bretagne.
Un traitement spécial pour la Bretagne ?
Déjà, les 25 et 28 juin, ont paru à Brest, les deux premiers numéros, en allemand et en français, d'un Journal officiel du Gouverneur de Bretagne (Verordnungsblatt des Befehlshabers der Bretagne), le terme "gouverneur" ayant été retenu par les Allemands pour traduire Befehlshaber", alors que, dans le même temps, sort sur le territoire national un journal signé du "gouverneur militaire en France". Le préfet Jouany envoie un émissaire officieux, le docteur René Patay, faire un "Tro Breiz" pour mettre en garde les autorités civiles et religieuses contre les indépendantistes. Bien plus, le n° 4, en date du 4 juillet, indique qu'à dater du 1er, c'est le général commandant Weyer qui assume les fonctions de gouverneur de la Bretagne (et une Bretagne à 5 départements, Loire-Inférieure incluse). L'autorité allemande avait organisé à Brest un gouvernement militaire qui avait sous sa juridiction une grande partie de la Bretagne, mais laissait en dehors presque toute l'Ille-et-Vilaine et toute la Loire-Inférieure. Cette circonscription, limitée en effet à l'ouest et au nord par les côtes, mordait au sud dans l'arrondissement de Saint-Nazaire jusqu'à Donges et Pontchâteau et s'étendait à l'est de Redon à la Rance en passant par Saint-Méen-le-Grand. Désormais, le gouvernement - et il est alors bien précisé "militaire" - de Bretagne est transféré à Rennes le 1er juillet et englobe avec le Morbihan, les Côtes-du-Nord et le Finistère, la totalité de l'Ille-et-Vilaine et la Loire-Inférieure[4].
C'était bien la première fois depuis 1790 qu'était établie - par l'ennemi ! - une administration commune aux cinq départements qui recouvrent l'ancienne province.
Des velléités indépendantistes
La veille, le 3 juillet, s'était réuni, au château des Rohan, à Pontivy, le Comité national breton, installé par les Allemands à Rennes, 20 rue Waldeck Rousseau, créé par Debauvais, Guieysse, Laîné et Mordrel qui, malgré les consignes de leurs conseillers allemands publient un manifeste en 18 points visant à doter la Bretagne d'un état national. À Pontivy des habitants huent les indépendantistes. Le 7 juillet, Mgr Duparc, de sa chaire de Quimper, mettra vigoureusement en garde clergé et fidèles contre "une campagne des séparatistes bretons qu'organisent en ce moment des hommes déjà condamnés par les tribunaux français" et d'invoquer quatre siècles d'histoire nationale commune avec la France.
Le préfet d'Ille-et-Vilaine Jouany, sans consigne gouvernementale, se sentant investi d'une responsabilité régionale, prend l'initiative d'aller en compagnie du docteur Patay, le 6 ou le 7, à Saint-Pol-de-Léon rencontrer M. Budes de Guébriant, président de l'office central agricole de Landerneau, pour solliciter sa candidature au poste de gouverneur civil de la Bretagne, en vue de couper l'herbe sous le pied d'une éventuelle candidature autonomiste mais celui-ci réserve sa réponse. Le préfet envoie, une semaine plus tard une délégation composée de M. de Quenetain, M. de la Bourdonnais et M. Bahon-Rault chercher la réponse de M. de Guébriant. Elle est négative[5]. Le 11 juillet, le maréchal Pétain vient d'annoncer que des gouverneurs seront placés à la tête de grandes provinces françaises et il convient donc d'attendre.
Le dimanche 14, L'Heure Bretonne[6], hebdomadaire indépendantiste, dont le calicot ornera la rue d'Estrées, devancé de deux jours par le journall'Ouest-Eclair, sort son premier numéro avec le titre :
"La Bretagne existe désormais officiellement"
réparant le dédain dont la Bretagne fut pendant 150 ans l'objet de la part de l'administration française, les autorités allemandes ont reconnu officiellement notre pays
1° en créant un poste de gouverneur de la Bretagne
2° en groupant les 5 départements sous son autorité.
Le général gouverneur Weyer s'est installé à la préfecture de Rennes''
Et ce texte, à l'allure de communiqué officiel, est repris par une agence de presse allemande, le Deutsches Nachrichten Büro, Der Sieg titre "La Bretagne proclame son indépendance", ainsi que le New-York Times, et la B.B.C. annonce une fois "La Bretagne en état de sécession". Le 26 juillet, le Berliner Lokal Anzeiger titre : "La Bretagne veut devenir un état indépendant".
Et le même jour, arrive de Berlin dans une voiture allemande conduite par un sergent, l'épouse de Debauvais, Anna Youenou, accompagnée de son fils, qui retrouve son mari au siège du Comité natinal breton, le C.N.B., installé dans une maison réquisitionnée, 20 rue Waldeck Rousseau.
Des espoirs qui font long feu
Las, pour les indépendantistes, la tentation allemande d'une Bretagne indépendante et la tentative des séparatistes vont faire long feu. En effet, Ingrand, chef des services de la délégation du gouvernement de Vichy à Paris, relatant son entretien avec le général Streccius au sujet du problème breton, rapporte que le Führer aurait ordonné aux autorités d'occupation la plus stricte réserve à l'égard des autonomistes: il n'y a pas un gouverneur en Bretagne mais un général commandant les troupes. Hitler aurait été irrité par un passage de la déclaration du 3 juillet des indépendantistes : "Dans la guerre qui se poursuit contre l'hégémonie anglaise, le peuple breton tient à affirmer qu'il est, de tout cœur, contre le vieil ennemi des Celtes", alors que le chancelier du Reich espérait encore une paix avec la Grande-Bretagne. Dès le début de juillet, Himmler avait prévenu Heidrich qu'il n'était pas dans les intentions du Reich d'encourager quelque tentative d'autonomie que ce fût, expliquant que "Pour l'instant nous n'avons aucun intérêt à affaiblir la France de Pétain et à développer en Bretagne tout au plus une identité qui, plus tard, avec les Irlandais et les Gallois en Angleterre pourrait conduire à une nouvelle constellation du pouvoir." [7]
En septembre, Ingrand vient à Rennes, puis le général SS Werner Best qui, comme beaucoup d'Allemands de l'Abwehr, s'était fait l'idée d'une ethnie bretonne indépendante sous la protection militaire et politique du Reich, constate le peu d'impact du séparatisme dans la population bretonne, constat confirmé par une mission allemande qui parcourt la Bretagne à l'automne, alors même que le P.N.B. a fait libérer quelque 500 prisonniers de guerre bretons.
Même si les autorités allemandes continuèrent à favoriser la propagande et les activités des groupements autonomistes et séparatistes, modérant ainsi l'influence du gouvernement français en Bretagne[8], il n'en est pas moins vrai que la proposition de collaboration du maréchal Pétain, à Montoire, le 24 octobre, "dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles", enterra les perspectives d'une Bretagne indépendante sous l'égide de la croix gammée.
En mai 1941, la commission des provinces du conseil national envisagera bien un découpage reconstituant l'assise de la Bretagne historique mais il y aura une suite différente. Apparaîtra, le 30 juin 1941, une région de Rennes, avec un préfet régional, mais la Loire-Inférieure dépendra d'une région d'Angers et la promesse du maréchal Pétain de reconstituer la Bretagne en province à cinq départements, avec Rennes comme capitale, ne sera pas tenue[9][10].
Références
- ↑ 18 juin 1940 : les troupes allemandes à Rennes, ville traumatisée
- ↑ bombardement du 17 juin 1940
- ↑ Mémoires d'un Français moyen, de René Patay - 1974
- ↑ Ouest-Eclair du 12 juillet 1940
- ↑ Mémoire d'un Français moyen, par René Patay - 1974
- ↑ L'Heure bretonne
- ↑ Les promesses de la Bretagne. Thèse de l'Université de Bretagne occidentale. Sébastien Carney - Nov. 2014
- ↑ Archives secrètes de Bretagne 1940-44, par Henri Fréville. Ed. Ouest-France - 1985
- ↑ La Bretagne reconstituée, une promesse non tenue
- ↑ De 1940 à 1941, réapparition d'une Bretagne provisoirement incomplète, un provisoire destiné à durer, par Etienne Maignen. Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine. t. CXIV- 2010