Cinéma documentaire à Rennes : des prémices

De WikiRennes
Aller à la navigationAller à la recherche

Un peu d’histoire - sinon de préhistoire!: nous sommes en l’an 1991. Rennes est, déjà, une ville sous-équipée en écrans de cinéma. Les cinéphiles se régalent dans une petite salle située, presque en faubourg, dans la rue Saint-Hélier à l’embouchure de la rue de Vern, où ils découvrent des films comme Toute une nuit de Chantal Akerman, Dans la ville blanche d’Alain Tanner, ou l’éprouvant Salo ou les 120 journées de sodome de Pasolini… se remettant de leurs émotions dans le rade situé en face, tenu par Gaby (aujourd’hui monsieur Radio Rennes).

Une semaine Chris Marker

Sur l’écran noir de leurs nuits blanches, tout cela aurait pu suffire à leur bonheur… mais une certaine absence taraudait quelques jeunes téméraires : pourquoi si peu de cinéma documentaire sur les grands écrans ? Dans ces années-là le genre est moribond. Dans le creux de la vague (nouvelle ou pas). Il s’en remettra. Mais ces pieds nickelés du doc (donnons, pour la postérité, leurs noms: Raymond Paulet, Christophe Passemard, Yvon Begoug) ont faim de ce cinéma documentaire qu’ils parent de toutes les vertus. Ils ont bien essayé de défendre le genre: à la Maison de la culture de Rennes, profitant de leur condition d’étudiants en sociologie, ils participent à une semaine de cinéma ethno-sociologique (ah cette projection mémorable d’un film sur des rites dogons, en VO dans la langue d’un pays nordique, sous-titré en allemand!). Bref, il avait fallu passer la vitesse supérieure. Chose faite en mars 1990 (du 12 au 15) avec une semaine consacrée à l’immense et rare Chris Marker, dont Henri Michaux a dit «il faudrait raser la Sorbonne et mettre Chris Marker à la place». A défaut, il est momentanément installé sur un campus rennais. Cela se déroule à l’UHB (Université de Haute Bretagne, précédente dénomination de Rennes 2). Une quinzaine de ses films sont projetés en 16 mm dans l’amphi Feuillerat, parmi lesquels La jetée (un film d’amour sur le souvenir, et un film de souvenirs sur l’amour), les somptueux Dimanche à Pékin et Sans soleil, Le fond de l’air est rouge sur les années 68… Cette semaine est très suivie. Ils ont bien essayé de faire venir cet adorateur de la chouette (son animal fétiche) mais un petit problème d’organisation leur fait rater un rendez-vous avec Chris Marker qui leur envoie ce courrier cinglant en date du 5 février 1990:


« Salut les petits.

Je vous rappelle que mon silence, comme vous dites, venait essentiellement de ce que, vous ayant réservé un après-midi à Paris et ayant téléphoné pour vous le confirmer au numéro que vous m’aviez donné, je m’étais proprement fait jeter par une dame, visiblement destinée au divan du Docteur Lacan. Comme ma directrice de production m’avait dit que vous étiez au courant de l’incident, et que je n’avais pas eu de nouvelles depuis, j’avais mis le tout sur le compte des délires contemporains, et j’avoue en effet n’y avoir plus guère songé. Entre temps il s’est passé tout de même quelques petites choses, et je m’étonne un peu que vous persistiez dans vos archéologies : la coupure de temps que nous éprouvons en ce moment donne un coup de vieux définitif à tout ce qui s’est passé avant, et le peu d’enthousiasme que je ressentais pour les rétrospectives se double maintenant du sentiment que les choses, mots ou images – disons de l’Avant-Mur pour simplifier grossièrement, peuvent bien sûr être toujours l’objet d’examens et d’analyses, mas que les instruments de ces examens et analyses, eux, ont besoin d’être repensés dans la problématique de l’Après-Mur. Autrement dit, si j’étais vous, je mettrai au rencart tous mes plans de l’année en cours et me consacrerais à une révision générale de mon intellect (…). Pour les films, je crains (façon de parler) qu’en effet les vieux n’existent que sur de vieilles copies non passables. Le seul récent, AK, a été racheté à Silberman par la Caisse des Dépôts et Consignations, ce qui est étrange: il doit être déposé et consigné dans une caisse. Bref, tout çà me paraît bien compliqué, et d’une futilité presque offensante pour l’époque. Ne comptez donc pas sur ma visite. Mais je vous envoie quand même mes vœux pour l’année du cheval.

Chris. »

— Chris Marker • licence

Les lumières du réel

Pas refroidis le moins du monde, enchantés et enhardis par le succès de cette semaine , Raymond Paulet et Christophe Passemard initient une manifestation intitulée Les lumières du réel, qui se déroulera du 8 au 16 avril 1991. Un soixantaine de films couvrant un siècle de cinéma documentaire sont alors présentés: Jean Vigo, Dziga Vertov, Jean Painlevé, Georges Franju, Alain Resnais, Jacques Demy, Agnès Varda, Joris Ivens, Jean Rouch, Denis Gheerbrant, Raymond Depardon... pour n'en citer que quelques uns ! Et ce n’est pas parce qu’il s’agit de cinéma documentaire que cela doit être rébarbatif: les compères concoctent donc des séances sur la péniche spectacle, un dimanche à la campagne au cinéma de Guichen avec les films de Georges Rouquier, une nuit du court-métrage à la Maison du Champs de Mars, une exposition est proposée au forum de la FNAC… et bien évidemment des rencontres et débats avec quelques grands noms du genre qui ont fait le déplacement : Jean Rouch, Marceline Loridan, André S. Labarthe, Yolande Zauberman, des historiens comme Jean-Pierre Berthomé et Jean-Pierre Jeancolas… Une découverte et une révélation: le cinéaste arménien Artavazd Pelechian. L’homme, au physique de bucheron, timide et bourru, est venu d’Arménie avec des bobines de films sous le bras. Serge Avédikian, compatriote acteur et réalisateur installé en France, le chaperonne. Cinq de ses films sont présentés au Triangle. Un an après, le journalLe Monde évoque la découverte en France d’un cinéaste majeur, lors de la présentation des mêmes films au Jeu de paume à Paris!

Tout cela réalisé avec trois francs, six sous, et beaucoup, beaucoup, de passion.