Le combat du 1er août 1944 à Maison Blanche

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Juin et juillet 1944

Dès le 6 juin, l'annonce du débarquement des alliés en Normandie a des effets immédiats à Rennes. Les bombardements des 9 et 12 juin 1944 déclenchent un affolement qui s'avérera prématuré de près de deux mois, chez les Allemands : des troupes commencent à quitter Rennes. Les soldats prennent partout les bicyclettes. Des officiers partent en auto, en camions, emportant leurs valises. Les "souris grises" ont été embarquées en camions . "Ils partent ! Personne n'en croit ses yeux." Les routes sont barrées par les Allemands, ce qui a empêché l'arrivée du ravitaillement. La ville est sans lait."[1] et il y eut le 18 juin 1944 : un dimanche ensoleillé et des bombes.

Dans la matinée du 7 juillet, l'armée allemande s'était livrée à des tirs d'artillerie à diverse entrées de Rennes : notamment au nord de Saint-Grégoire vers Montgermont (route de Saint-Malo), de la route de Fougères en direction de Liffré, vers Thorigné, au sud du Rheu et au nord-ouest de Pacé (route de Saint-Brieuc), de Chantepie à Cesson (route de Paris). La population avait été avertie la veille que l'accès à ces terrains serait interdit et qu'il y avait danger de mort à y pénétrer[2].

Les troupes allemandes à Rennes le 1er août

Les troupes allemandes avaient commencé à quitter la ville dans les derniers jours de juillet: "au cours de la nuit du 30 au 31, les officiers de la Feldkommandantur sont partis précipitamment, emportant leurs bagages. Des convois traversent la ville mais, dans les voitures, il n'y a plus que des colis, ni armes, ni munitions"[3]. Les Allemands accentuent leur replis le Ier et le 2 août.[4]

À Rennes, le 1er août, stationnent des restes de la 91e division aérienne (91 LLD), des troupes de l'air à l'aérodrome de Saint-Jacques (nombre inconnu), 2 éléments de protection du bataillon 390 du camp Maria (NB : à Fouillard) (80 soldats), Kommandantur départementale (76 soldats), gendarmerie militaire (110 soldats), groupe de combat du génie (80 soldats), unité d'alerte (service d'intendance 150 soldats), camp de prisonniers (60 soldats), 5 batteries mixte de DCA de l'unité 451 comportant 800 soldats avec 36 canons de 20 mm, 2 de 37 mm, 26 canons de 88 mm. ET, en fin de journée, arrivent de Le Mans 1000 soldats du bataillon de marche "Mann" et 900 du bataillon "Losgar". [5] Le colonel Eugen Koenig dispose donc de ces deux bataillons s'ajoutant aux restes de la 91e division aéroportée amenés par le général Fahrmbacher "pour défendre Rennes, une ville commerciale de 80000 h. [...] considérée par certains comme la ville la plus laide du pays" (!). Cette appréciation américaine a sa source dans un guide britannique de 1895 et fut reprise ensuite dans divers guides de langue anglaise : dans son North-Western France Augustus J.-C. Hare qualifiait Rennes de "ville la plus morne de même qu'elle est presque la plus laide du pays"[6]

Major General John Shirley Wood, commandant de la 4th Armored Division; (de Wikimedia Commons)

1er août, coup sévère à Maison-Blanche

Un des canons Flak 18 de 88 mm de la batterie allemande devant la ferme de la Chesnaie
Maison-Blanche ne figure pas sur la carte

Le 1er août, c'est par la route d'Antrain que des éléments de la 4e DB américaine du Major General John S. Wood (4th Armored Division), sous les ordres du général George Patton , descendent d’Avranches, [7] mais "la longue descente sur Rennes ne fut pas une promenade dominicale dans un parc". Bien que la résistance allemande se fut évanouie au sud d’Avranches, il n’y avait aucune certitude quant à ce que rencontrerait la 4e blindée à mesure de l’approche du prochain objectif d’importance. Le 10e bataillon d’infanterie blindé (AIB) aurait bientôt un échantillon de ce que les Allemands lui réservaient à Rennes". Ce jour-là, un membre de la compagnie A, sans égal pour son audace et sa réussite mena une mission de reconnaissance bien particulière. Le soldat de première classe du 10 e bataillon d’infanterie blindé, Wilfred Pelletier, était d’ascendance française comme son nom l'indiquait et parlait français couramment. Il fut volontaire pour se mettre en civil et paraître un civil français pour faire une mission de reconnaissance approfondie des positions ennemies. Il se promena dans la campagne et fut bientôt chez les Allemands sans avoir été interpellé. De fait, il resta avec les troupes allemandes ce soir-là et demanda à l’une de leurs sentinelles de le réveiller à 7 heures du matin. Et l’Allemand s’exécuta ! Pelletier revint avec une moisson de renseignements sur les positions ennemies et leur dépôt de stocks. L'objectif premier était de "contrôler la hauteur entre Saint-Laurent et Lesboria"("Lesboria", déformation phonétique de Le Poirier, ferme à l'ouest de la route (à l'emplacement de l'actuelle rue du Poirier Nivet).»[8]

À 5,5 kilomètres de la place de la Mairie de Rennes...

Les chars et les autochenilles s’arrêtent avant Maison-Blanche, sur la commune de )-Grégoire]], à 5,5 km de la place de la Mairie de Rennes à vol d'oiseau. Est installée plus au sud , depuis le 9 mars 1943, près de la ferme de la Chesnaie à droite de la route vers Rennes, la 2e batterie de DCA (Flak Abt.2/441) avec 6 canons de 88 m/m, 2 canons quadri-tubes de 20 m/m, une centaine de fantassins disposant aussi de mitrailleuses et lance-roquettes anti-char. Les Américains savent l'existence d'une batterie allemande quelque part dans le secteur.

Le secteur en 1950 (de GéoBretagne 1950)

[9]]]

Croquis du combat du 1er août. chars du 35e bataillon (2e et 3e compagnies) et semi-chenillés du 10e bataillon d'infanterie blindée devant la batterie de canons de 88 mm [10]
Le site du combat actuellement


Des conseils qui font long feu

Bruce C. Clarke, colonel commandant le groupe de combat A de la 4e division blindée, qui rencontra le chef de la batterie allemande

[11] Jean Chasle, 23 ans, qui habite la ferme de la Chesnaie où cantonnent les Allemands, est au lieu-dit Roulefort, 1,5 km au bord de la route en direction de Betton, occupé à nettoyer un talus à la faucille, quand il voit arriver une drôle de voiture avec des soldats et, derrière, des chars marqués d’une étoile blanche. Ce sont les Américains que l’on croyait à Avranches. L’un d’eux lui dit être Pierre Bourdan - et il connaît cette voix française de l'émission Les Français parlent aux Français - qui lui demande où est la batterie allemande. Chasle explique qu’elle est près de chez lui, au nord de la ferme Les Fontenelles, dans des cuves bétonnées et cachée aux vues par des haies, aussi tente-t-il, deux fois, de les dissuader (" Ils vous tireraient comme des lapins") et il leur conseille d’entrer dans Rennes ("comme dans du beurre") par la route qui, au passage à niveau, mène à gauche à la route Fougères-Rennes. La garnison allemande n'est pas redoutable. Mais l’officier américain qui commande dit que les chars ne sont pas faits pour les combats de rue et exige qu’il les conduise à la batterie. Chasle pédale donc sur son vélo, suivi de la jeep et des chars, l'un deux ayant cassé les barrières du passage à niveau fermées alors que les trains ne circulent plus, et les mène jusqu’à la cour de la Chesnaie, les chars restant en arrière en file sur la route. Chasle va rejoindre son père qui quitte les lieux avec la famille. L’officier américain de la jeep a un entretien avec le capitaine Schmitt, commandant la batterie de DCA [12] [13]

Au milieu des pommiers, un char frappé par un tir de canon allemand de 88 mm

Les Allemands font mouche : de lourdes pertes

Semi chenillé de 1944

A 15 heures le secteur est atteint par des tirs de la batterie de Flak de Chantepie, les chars avancent et sont en butte aux tirs allemands. Le commandant du bataillon, le lieutenant-colonel Kirkpatrick et l’officier commandant le bataillon de chars 37, le capitaine Tiegs, sont atteints en terrain dégagé pendant le tir de barrage et un obus éclata au-dessus de leurs têtes, blessant sérieusement les deux officiers. Le major Arthur L. West, qui se tenait près de Kirkpatrick lorsqu’il fut touché par l’obus, prit le commandement du 10e bataillon d’infanterie blindée et le Ier lieutenant Leach reçut le commandement de la compagnie du 37e bataillon de chars.

La division blindée perdit 11 chars sur 25 et 3 semi-chenillés touchés par la batterie de DCA œuvrant à tir tendu.[14]. Les troupes américaines se retirent de plusieurs kilomètres sous couvert d'un rideau de fumée et des P.47 Thunderbolts (le chiffre de 30 est cité) pilonneront les positions de DCA allemande.

L'église de Saint-Laurent après le combat (photo musée de Bretagne)

Le combat de Maison Blanche : un "fiasco"

La preuve du fiasco est dans des entretiens du 20 octobre 1944 où s'exprimèrent des commandants d'unités. Les capitaines Vincent J. Boller, commandant la Cie B du 35e bataillon de chars et Crosby P. Miller, qui commandait la Cie C, en présence des capitaines Kenneth E. Grice, alors chef de la 1re section de la Cie C, Joseph F. Brady, alors commandant de la Cie D, et Joseph S. Ridley commandant la Cie de commandement, furent amenés à s’expliquer sur l’action en général. Ils le firent « avec la jovialité d’hommes qui ont ressenti qu’ils avaient échappé à des destins écrits par cette putain de dame la chance. Dans un sens le temps écoulé avait libéré leur expression puisque les conséquences immédiates du fiasco avaient été déterminées. Cependant il y avait encore la crainte de « monter sur les pieds de quelqu’un » et le capitaine Boller en particulier éluda en partie des questions qui auraient pu prouver une responsabilité dans la défaite… » [15]

On comparera avec le récit donné par le lieutenant Jimmie Leach, erroné et "arrangé" quant à sa chute, un exemple parmi les nombreuses relations américaines du combat, toutes irréelles.

« ... Puis, à Ducey, je fus rattaché au 10 e bataillon d’infanterie blindé, ils étaient bien équipés et on poussa sur Rennes. Ils me mirent un chalumeau au cul pour me bouger et ceux du 53e il fallait aussi leur bouger le cul. En arrivant sur Rennes, il y avait deux buttes par ici sur le côté (NDRL : la présence de buttes n'est pas avérée) et des baraquements au pied de ces buttes. On appelle ça « exploitation et poursuite » : vous foncez dans l’ennemi à l’occasion mais vous n’êtes pas censé engager le combat avec l’ennemi latéral, on tire dessus mais on continue de rouler. Donc on passait à côté et je tire sur ces soldats qui sortaient des baraques et courraient vers ces buttes. Eh bien, ces buttes étaient des emplacements de canons de 88 mm antiaériens, des vrais, tous les deux. Alors je leur tire dessus et je fonce parce qu’on était en tête et qu’on devait foncer et j’étais chef de section, Tiegs capitaine, et nous voilà dans les haies de Rennes, notre colonne en arrière sur la route et voilà ces canons de 88 mm qui tirent sur la colonne le long de la route : pchi, pchi [...] Je me souviens de ce chef de section de mortiers du 10 e qui grimpa sur un arbre pour diriger les tirs de mortier et alors qu’il était en haut sur l’arbre les Allemands descendirent l’arbre sous lui et il tomba par terre. On s’est foutu de lui pendant longtemps. Finalement la 35 e blindée l’emporta et les neutralisa." Jimmie Leach [16].

Les Allemands avaient bien tenté ensuite de paralyser l'effort américain par des frappes aériennes mais ne réussirent qu'à perdre trois appareils irremplaçables.[17] Wood attend des renforts en hommes, vivres, carburant et munitions. Le général Wood amorça, le 3, avec une partie de ses troupes des groupes de combat A et B, parties de Saint-Aubin d'Aubigné, un large débordement de Rennes par l'ouest, par Melesse, Montfort, Talensac, Lohéac, Maure, et Bain-de-Bretagne sera atteint le 3 août en début d'après-midi.[18] La ville de Rennes reçoit pendant trois jours par intermittence des obus, probablement pour tenter de convaincre l'ennemi de la quitter.[19] La libération de Rennes se sera effective que le 4 août. Questionné par Yves Milon en octobre 1945, sur ces tirs d'obus, le général Patton aurait répondu avec son humour : "Avant d'entrer chez quelqu'un, on frappe toujours." *

Les jours suivants, les Rennais iront nombreux à Saint-Laurent et Maison-Blanche voir les vestiges des combats.

Références

  1. Les Heureuses douloureuses de Rennes, par V. Ladam. Imp. Les Nouvelles
  2. L'Ouest-Eclair du 6 juillet 1944
  3. Les Heures douloureuses de Rennes, par V. Ladam. imp. Les Nouvelles
  4. Notes d'un vieux rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes
  5. Die Geschichte der 91. Luftlande-Division: Rekonstruktion eines grossberbandes der Deutschen Wehrmacht Helge Sven Naurothn Boris Steinberg
  6. Rennes dans les guides de voyage du XIXe siècle, par Étienne Maignen. Bulletin et mémoires de la Sté archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine. t. CXII -2008
  7. 1er-4 août 1944, l'étrange libération de Rennes, Etienne Maignen. éditions Yellow Concept - 2017 octobre
  8. Patton's Vanguard, the United States Army Fourth Armored Division, par Don M. Fox, éd. Macfarland - 2003
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  10. {{CP}
  11. 1er - 4 août 1944 :l'étrange libération de Rennes, Étienne Maignen. éditions Yellow Concept - 2017
  12. Entretien d'Étienne Maignen avec Me Jean Chasle, le 21 mars 2013
  13. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013
  14. Herbert R. Bachant, un libérateur mort devant Rennes
  15. Collection d'entretiens d'officiers de la 4e division blindée américaine, déclassés par la National Archives and Records Administration (NARA) en novembre 1987
  16. James Herbert "Jimmie" Leach, lieutenant d'infanterie blindée, de Breakout (traduction Étienne Maignen)
  17. Operation Cobra. CSI Fort Leavenworth, Kansas
  18. Premier août 1944, coup de frein à la Libération de Rennes, une incroyable rencontre, Etienne Maignen. Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine (SAHIV), p. 287 à 312 - 2016
  19. notes d'un vieux rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes