Les prisonniers coloniaux à Rennes

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Prisonniers de guerre coloniaux[1].
Les prisonniers coloniaux sont ramenés en France (Ouest-Eclair 20 septembre 1940)


Rennes fut un élément majeur du dispositif des frontstalag. 12 000 prisonniers « indigènes » y auraient séjourné pendant la guerre. Le régime nazi ayant supprimé l'internement des soldats coloniaux en Allemagne par mesure raciste, on prétexta de la rigueur du climat allemand pour les ramener en France dans des "Frontstalag". Ils seront environ 6000 présents à la fois sur Rennes. Les Frontstalags 133 et 127, dirigés par le Kriegsgefangenen-Bezirk IX de Rennes, se répartissaient en plusieurs casernes ou camps de la ville : le camp du Parc des Sports de la route de Lorient,avec 800 prisonniers, le camp de la Marne sur la route de Redon, d'une capacité de 1 700 prisonniers qui servit après-guerre à interner des prisonniers allemands, le camp de Guines (boulevard de Guines), le camp Margueritte en bordure de la caserne éponyme ( 18 baraques pour une capacité de 2 000 prisonniers, annexe de la prison Jacques-Cartier), le Lazaret (à l’école primaire supérieure).

Prisonniers coloniaux à Rennes gardés par une sentinelle souriante mais leur vie n'était pas rose.

[[Fichier:Prisonniers_coloniaux_à_Rennes219.jpg|]. En 1943, les prisonniers s du camp de la Marne et du camp des sports se plaignent d'être volés par les gradés français d'encadrement qui prennent même les colis de la Croix-Rouge dont ils vendent une partie en ville.[2]

Un aumônier catholique martiniquais assurait le service religieux pour tous les camps. Au début, les prisonniers mouraient de faim et les A.D.N (assistantes du devoir national) obtint l'autorisation de pénétrer dans les corps de garde et d'apporter, en plus des denrées collectées sur le marché et chez les commerçants, sabots, chaussettes, chemises, chandails et cela dura jusqu'à la libération. [1] Mme Jan-Jouault, assistante du Devoir national,[3] profita aussi de son rôle d’assistante sociale bénévole au Devoir national pour organiser les évasions de prisonniers coloniaux et bénéficia de complicités dans la police. Elle avait ses entrées au camp de la Marne et y ravitaillait les détenus de nourriture collectée sur les marchés et dans la campagne environnante. Aux internés décidés à s’enfuir, elle remettait cartes d’identité, costumes. Elle confectionna d’abord elle-même les fausses cartes. En général, les prisonniers s’évadaient en revenant de leur travail. Les prisonniers, mis au courant des activités de Mme Jan, venaient à son domicile, avenue Louis Barthou. Elle les y cachait, les nourrissait et leur fournissait le nécessaire à leur évasion ; toujours vêtue de son costume d’assistante, elle les conduisait au train, à la barbe des occupants, et ne les quittait que lorsque le convoi démarrait. Elle les faisait passer pour des prisonniers réformés qui devaient rejoindre l’hôpital Villemin à Paris. Les évadés se rendaient alors dans la capitale dans un centre d’accueil clandestin. À leur arrivée, on changeait leur carte d’identité et leurs vêtements, qui étaient renvoyés à Mme Jan.[3]

Mme Jan-Jouault

Des groupes de 10 ou plus de ces prisonniers de guerre ont ainsi été vus en ville accompagnés d'un soldat allemand. Ils sont autorisés à acheter du pain ou tout ce qu'ils peuvent exiger dans les magasins alors que le gardien reste à l'extérieur. Il est ainsi possible de s'entretenir avec eux. [4]

Cérémonie religieuse au camp de la Marne(Ouest-Eclair du 7 mars 1944

Étonnant est un article du journal sous le titre : "Une émouvante cérémonie à la Chapelle du Grand Séminaire" Six soldats noirs reçoivent le baptême. Il s'agit en fait de blessés ou malades soignés à l'hôpital complémentaire du Grand Séminaire qui sont baptisés avant de regagner leur pays natal. L'article donne leurs prénoms chrétiens accolés à leurs patronymes, cite les Rennaises et Rennais marraines et parrains, les noms des sœurs Servantes des Pauvres et des infirmières "dont le zèle est infatigable et le dévouement maternel envers ces grands enfants noirs", manifestant ainsi "notre solidarité avec les soldats noirs venus au service de la France".[4] Des rennaises se prennent d'amitié avec ces soldats prisonniers d'origine africaine et en deviennent marraines de guerre, telle, Lucienne Masson, 20 ans. [5]

Les prisonniers "coloniaux" de l'hôpital militaire Jean Macé (Frontstalag 221 w) bénéficieront d'un concert de jazz.[6]

Obsèques d'un prisonnier "indigène", bien loin de chez lui (Ouest-Eclair, 11 août 1943)
Le jazz pour les prisonniers coloniaux ( Ouest-Eclair 29 .12. 1943)
"Swing in Rennes#2" de alter1fo.com

Plusieurs centaines de prisonniers coloniaux furent employés au Pi-Park de la route de Lorient. Les prisonniers étaient conduits par petits groupes, sur différents lieux de travail où ils pouvaient séjourner : fermes de Betton, au Boël, à la carrière de Bruz. Le 30 décembre 1942, un groupe de ces prisonniers refusa d’obéir aux Allemands qui leur demandaient d’enterrer "comme des chiens" les 25 résistants fusillés à La Maltière.[5] L'Escorte d'honneur accompagnait les obsèques des prisonniers décédés jusqu'à leur tombe. À partir de janvier 1943, répondant à la demande des Allemands, le gouvernement français accepta que les prisonniers coloniaux soient gardés par des officiers et sous-officiers français à la place des sentinelles allemandes récupérées pour le front de l'est.


Une photo de la libération de Rennes montre un groupe de prisonniers coloniaux, fraîchement libérés, défilant fièrement devant l’Hôtel-de-ville, applaudis par des Rennais. Mais ces hommes connaissent leurs droits : ils ont un salaire et une solde de prisonnier de guerre à récupérer. Au moment de rembarquer au pays, à Morlaix, ils réclament leur argent. N'en ayant reçu qu'une partie le reste étant promis à l’arrivée au pays, et il y eut des blessés lors de l'intervention des gendarmes. Des protestataires furent remis derrière des barbelés, près de Loudéac, puis à Guingamp pour quelques mois, gardés par des gendarmes et des FFI ![6]

Prisonniers depuis juin 1940 et libérés le 4 août 1944, des soldats coloniaux défilent fièrement place de la Mairie [7]
Des soldats coloniaux libérés, mais qui auront des désillusions. (film de la 166th. SIG Photo Co)
Jazz par les prisonniers coloniaux. Ouest-Eclair 14.01.1944

À Dakar une révolte se termina, le 1er décembre 1944, au camp de démobilisation de Thiaroye par des tirs à la mitrailleuse sur les « mutins ». Il y eut officiellement 35 morts .[8] En fait, les recherches d'Armelle Mabon amènent à retenir que la fusillade organisée causa vraisemblablement plus de 300 victimes. [9]

Témoignage

Il y a un prisonnier noir dans la cabane !

Au printemps 1943, « la petite Louise », dont le mari est prisonnier en Allemagne, et qui vit seule avec sa fille de cinq ans, bénéficiant d’un jardin municipal ouvrier, arrive à bicyclette chez mes parents, affolée, et annonce : « Il y a un prisonnier noir évadé dans ma baraque de jardin ! Les gosses du quartier l’ont vu à travers les fentes de la cabane et chantent ça en chœur dans la rue ». Mon père, devant le cercle familial, affiche, comme à son habitude, une grande sûreté et déclare « prendre les choses en mains ». Vu l’époque, des vêtements de l’époux de la petite Louise font l’affaire malgré la grande taille du tirailleur soudanais et il faut le déplacer d’urgence après la publicité dispensée par les gamins du quartier. Le frère de ma grand-mère accepte et le transfert se fait nuitamment dans ce quartier périphérique sans éclairage public. La petite Louise joua l’étonnement quand des policiers vinrent lui demander si elle avait entendu parler d’un noir dans sa baraque. Le problème des faux papiers – un certificat de démobilisation et une carte d’identité civile - fut difficilement résolu par le canal d’un professeur de mathématiques habitant le quartier mais muté à Saint-Nazaire, trempant dans la Résistance, et qui revenait à Rennes en fin de semaine. C’est dirigé par lui sur M. Lemoine, le greffier de la Cour d’appel, [10] que mon père obtint les faux papiers pour celui qu’on appelait entre nous, faute de connaître son identité, Amadou et sur l’existence duquel, j’avais, garçon de neuf ans, juré de garder le secret. Il put ainsi quitter Rennes et nous n’entendîmes plus parler de lui[11].

Gilbert Guillou

Références

  1. Photo Ra Boe/wikipedia; licence CC
  2. Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légendes et réalités1939-1945. Julien Fargettas. Taillandier
  3. Passage Céline Jan Jouault
  4. http://lejourdesjustes.free.fr/rps1879319440128.html
  5. Les tirailleurs "sénégalais". , Jacques Chérel, Armelle Mabon. Socoété archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine, bulletin et mémoires, p. 323-325 t. CXXIV - 2020
  6. L'hôpital pour prisonniers Jean Macé au temps de la libération
  7. http://3945-hv.forumactif.com/t3893-les-africains-dans-la-resistance-francaise-durant-la-seconde guerre
  8. Massacre de Thiaroye Wikipedia-logo-v2.svg
  9. Le massacre de Thiaroye, un mensonge d'État. p.348-354. Armelle Mabon Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine t. CXXIV - 2020
  10. Boulevard Pierre Lemoine
  11. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013

3 Le double jeu de Mme Jan, assistante du Devoir national, par Gilbert Lebrun, Le Rennais, supplément au n°215 de juin 1994

4↑ L'Ouest-Éclair du Ier septembre 1941

5↑ Butte des Fusillés de la Maltière.

6↑ http://www.placepublique-rennes.com/2010/09/prisonniers-indigenes-a-rennes-mais-ou-sont-les-historiens/