Deux voix de Londres à la libération de Rennes

De WikiRennes
Aller à la navigationAller à la recherche


Deux voix de Londres

Il ne s’agit pas de Britanniques mais de deux Français : Pierre Maillaud, homme de la Creuse, journaliste à l’agence Havas qui est reçu par le général de Gaulle dès le 19 juin 1940, et Yves Morvan, ce géant Breton de 1,92 m, correspondant qui rejoint l’agence Havas à Londres. Tous deux, âgés alors de 31 ans, vont être des voix de la France Libre sur l’antenne de la BBC, écoutées par les Français dans l’émission « Les Français parlent aux Français ». Ils ne sont connus que sous leurs pseudonymes pris à partir d’août: le premier est Pierre Bourdan, le second est Jean Marin. Celui-ci quitte l’émission en décembre 1943 pour la Marine, où il a le grade de lieutenant de vaisseau dansla 23e flotille de vedettes lance-torpilles des FNFL alors que Bourdan restera à la BBC jusqu’en juillet 1944.

Jean Marin, à l'époque de la libération

Dès le 21 juin 1944, Jean Marin [1] est en France, affecté à la MMLA (Mission militaire de liaison administrative) qui a pour mission de mettre en place, en contact étroit avec la Résistance, les institutions nouvelles de la France libérée telles que les avait définies le Gouvernement provisoire de la République alors que Pierre Bourdan obtient une accréditation de correspondant de guerre auprès de la 2e DB du général Leclerc qui débarque le 1er août alors qu’il a pu toucher le sol de France la veille au soir.

Bourdan et Marin devant des soldats de la 2e DB le 1er août 1944 [2]

Retrouvailles des deux voix et descente vers Rennes

La 2e DB ne devenant opérationnelle que le 8 août, Pierre Bourdan va en profiter pour suivre une idée fixe : descendre vers la Bretagne et entrer le premier dans la première grande ville qui sera libérée : Rennes. Et ce matin du 1er août, il va retrouver son collègue de l’émission « Les Français parlent aux Français », Jean Marin. Celui-ci accompagne la 4e division blindée du général Wood [3] qui, après avoir conquis Avranches à grand peine, par le pont de Pontaubault non détruit a percé et va s’engouffrer en Bretagne. Le 1er août de bonne heure, Jean Marin, à bord d’un véhicule amphibie que les Américains appellent un duck, a remonté quelque 80 km du Cotentin [4] de Granville jusqu’à Saint-Martin-de-Vareville, nommée Utah Beach lors du débarquement des Alliés le 6 juin. Une photo de la revue Accord (n° 9, p.-) et un film [5], le montrent saluant des soldats de la 2e DB massés à l’entrée d’un transport de troupe dont ils vont bientôt débarquer. Et à côté de lui se tient sur le duck, un homme en treillis, qui parait petit à côté du grand Jean Marin. Il y a tout lieu d’y voir Pierre Bourdan (1,68 m) qui, de façon impromptue ou organisée, a retrouvé sur place son collègue de l’émission « Les Français parlent aux Français » pour aller au devant des gars de la 2e DB.

Tentatives d’entrer dans Rennes

Ensemble ils vont descendre jusqu’à Saint-Aubin d’Aubigné où Jean Marin, repéré est applaudi autant, voire plus que les Américains; une photo l’y montre haranguant les villageois. Le premier numéro du journal Ouest-France relate l’accueil chaleureux qui lui est fait.

Tel n’est pas le cas de Pierre Bourdan qui n’est pas repéré et qui poursuit son but : entrer dans Rennes. Aussi est-il dans le convoi du fer de lance de la 4e division blindée de Wood qui poursuit sa descente sans arrêt jusqu’à Betton. Parlant couramment anglais il va se faire interprète du colonel Bruce C. Clarke qui, à bord d’une jeep, descend vers les abords de la ville à la tête de chars Sherman des 35e et 37e bataillons et de semi-chenillés du 10e bataillon d’infanterie blindée. Malgré les recommandations réitérées d’éviter la batterie de DCA allemande installée à droite en arrière de la route qui lui sont données par un jeune homme, le colonel va avoir un entretien avec le chef de la batterie mixte de DCA allemande forte de 6 canons de 88 mm et de 2 canons de 20 mm et le combat qui s’ensuivra après le refus allemand de se rendre, sera un échec sanglant pour le fer de lance américain, qui se repliera. [6]

Pierre Bourdan, à Londres

Le 2 août, avec les correspondants Rabache et Gosset, Bourdan, têtu , essaie, sur le même trajet, d’entrer dans Rennes et les trois sont faits prisonniers, laissant la 302 Peugeot qui les transportait au bord de la route. Ils seront dirigés à pied sous escorte à travers Rennes jusqu’au camp de la Marne, route de Redon , et embarqués, à l’aube du 3 août, dans un train emportant des résistants et résistantes et des prisonniers alliés vers l’est. Ils réussiront à s’évader de ce train dit « de Langeais » Quant à Jean Marin, après une tentative avortée d’avancer vers Rennes, le 2 au soir, au cours de laquelle il verra la voiture abandonnée, il entrera dans Rennes, parmi les premiers, au matin du 4 août, jour de la libération de Rennes, par la rue de Fougères et, acclamé par les Rennais , poursuivra sa mission de prise en charge des imprimeries et de la radio.

Omerta sur un fiasco

L’entrevue et le combat de Maison-Blanche sont escamotés par la presse alliée, à l’exception de propos du colonel américain, parus le 4 août dans le New-York Times relatant sa peur, immobilisé, avec les occupants de la jeep, dans un fossé sous le feu ennemi . Ce combat sera qualifié de fiasco par les commandants des compagnies de chars, et il sera passé définitivement sous silence par la presse des alliés, par les témoins passant par Maison-Blanche le 4 août, et ce silence a persisté au cours des décennies. Seul, Jean Chasle, le jeune homme interlocuteur du colonel Clarke par le truchement de Pierre Bourdan, commencera à en parler dans les années 80.

Pierre Bourdan retrouvera son ami Jean Marin lors de la libération de Paris et relatera ses aventures en France dans son Carnet de Retour avec la division Leclerc, paru début 1945. Il y invente des retrouvailles à Granville avec Jean Marin le 1er août avec lequel il aurait passé cette journée, haranguant les Granvillais, tous deux juchés sur le toit d’une voiture ! [7] Cette invention en fait un témoin « en creux » de la désastreuse entrevue du colonel Clark avec le chef de la batterie allemande. C'est le fait d'une autocensure et probablement aussi de la censure américaine. Jean Marin, dans son livre précité passera sous silence le rôle d’interprète de Bourdan le 1er août, se bornant à citer la voiture abandonnée qu’il a vue le 2 août en bordure de route à Maison-Blanche.

Références

  1. rue Jean Marin
  2. Brochure La deuxième division blindée entre dans la bataille, p. 12
  3. Square Général John S. Wood
  4. Petit bois pour un grand feu, mémoires, p 390. Jean Marin. Fayard - 1994
  5. https://www.dday-overlord com/mediatheque/video/utah-beach/leclerc
  6. Le combat du 1er août 1944 à Maison Blanche
  7. Carnet de Retour avec la division Leclerc, p. 46, Pierre Bourdan. Éditions Pierre Trémois, Paris- 1er trimestre 1945