« Par les rues de Rennes le jour de l'an » : différence entre les versions

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Sans regarder sa montre, mon père devait supputer le temps écoulé et, le moment recherché survenu lors d’un blanc dans la conversation, disait quelque chose comme, « Eh bien, tante, ce n’est pas tout ça, le temps passe si vite et nous souhaitons encore faire quelques visites ». Le plus pénible était d’embrasser encore chacune de ces tantes dont certaines, à les approcher ainsi, révélaient des ombres de moustache qui, effectivement, piquaient un tantinet. Une fois sortis, tout en trottant vers la prochaine visite, nous y allions de nos commentaires désabusés sur la tante et la qualité des gâteries offertes à notre gourmandise pourtant peu en éveil car nous nous souvenions des piètres prestations des années précédentes.  
Sans regarder sa montre, mon père devait supputer le temps écoulé et, le moment recherché survenu lors d’un blanc dans la conversation, disait quelque chose comme, « Eh bien, tante, ce n’est pas tout ça, le temps passe si vite et nous souhaitons encore faire quelques visites ». Le plus pénible était d’embrasser encore chacune de ces tantes dont certaines, à les approcher ainsi, révélaient des ombres de moustache qui, effectivement, piquaient un tantinet. Une fois sortis, tout en trottant vers la prochaine visite, nous y allions de nos commentaires désabusés sur la tante et la qualité des gâteries offertes à notre gourmandise pourtant peu en éveil car nous nous souvenions des piètres prestations des années précédentes.  


Les deux visites au cours desquelles j’éprouvais de l’émotion étaient celles au sud de la Vilaine. Nous prenions l’ascenseur pour atteindre l’étage de la tante, dans l’immeuble en U de la [[rue Poullain-Duparc]]. Sur la commode l’aviateur à casquette, son fils tué en mai 1940, nous regardait dans sa photo et ce regard du grand jeune homme mort pour la France me troublait.*  La tante était alerte d’esprit et de conversation et questionnait avec intérêt les « petites personnes », ainsi qu’elle nous appelait. Ce n’était pas ici un comportement convenu comme nous le ressentions ailleurs.
Les deux visites au cours desquelles j’éprouvais de l’émotion étaient celles au sud de la Vilaine. Nous prenions l’ascenseur pour atteindre l’étage de la tante, dans l’immeuble en U de la [[rue Poullain Duparc]]. Sur la commode l’aviateur à casquette, son fils tué en mai 1940, nous regardait dans sa photo et ce regard du grand jeune homme mort pour la France me troublait.*  La tante était alerte d’esprit et de conversation et questionnait avec intérêt les « petites personnes », ainsi qu’elle nous appelait. Ce n’était pas ici un comportement convenu comme nous le ressentions ailleurs.


Quant à la visite à la sœur de mon père, Mère Anne de Jésus en religion, elle nécessitait de monter la [[rue Saint-Hélier]] et de passer le pont au dessus des voies ferrées, près de [[l’Économique]]. Malheureusement les rambardes empêchaient la vue des trains. La sœur tourière disait avec un bon sourire qu’elle allait la chercher. Après quelques minutes d’attente et de conversation à voix feutrée dans le petit parloir, car nous devions ressentir comme une sainteté des lieux, nous entendions enfin des glissements de pas, le rideau blanc s’ouvrait et, derrière sa grille, elle apparaissait sous son voile noir, le front pris jusqu’aux sourcils par un serre-tête blanc. Elle commençait par dire  joyeusement «  Deo gratias ! » avec un grand sourire puis enchaînait avec des questions à chacun. Venait le moment où elle disait que, puisque nous étions bien sages, nous avions droit à un petit souvenir qu’elle allait chercher dans les profondeurs de « notre poche », tout étant communautaire ici. C’était invariablement quelque image sainte dont nous faisions peu de cas, sauf si l’une avait de jolies couleurs ou du doré. Elle nous recommandait ensuite de prier le Petit Jésus pour la paix, le Saint-Père ou les pères missionnaires qui instruisent et évangélisent les petits Africains. Après [[1944]], la vilaine grille détruite par les bombardements n’ayant pas été rétablie, nous pouvions l’embrasser.
Quant à la visite à la sœur de mon père, Mère Anne de Jésus en religion, elle nécessitait de monter la [[rue Saint-Hélier]] et de passer le pont au dessus des voies ferrées, près de [[l’Économique]]. Malheureusement les rambardes empêchaient la vue des trains. La sœur tourière disait avec un bon sourire qu’elle allait la chercher. Après quelques minutes d’attente et de conversation à voix feutrée dans le petit parloir, car nous devions ressentir comme une sainteté des lieux, nous entendions enfin des glissements de pas, le rideau blanc s’ouvrait et, derrière sa grille, elle apparaissait sous son voile noir, le front pris jusqu’aux sourcils par un serre-tête blanc. Elle commençait par dire  joyeusement «  Deo gratias ! » avec un grand sourire puis enchaînait avec des questions à chacun. Venait le moment où elle disait que, puisque nous étions bien sages, nous avions droit à un petit souvenir qu’elle allait chercher dans les profondeurs de « notre poche », tout étant communautaire ici. C’était invariablement quelque image sainte dont nous faisions peu de cas, sauf si l’une avait de jolies couleurs ou du doré. Elle nous recommandait ensuite de prier le Petit Jésus pour la paix, le Saint-Père ou les pères missionnaires qui instruisent et évangélisent les petits Africains. Après [[1944]], la vilaine grille détruite par les bombardements n’ayant pas été rétablie, nous pouvions l’embrasser.
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La tournée touchait à sa fin et nous étions contents de voir le bout de l’avenue Janvier et de cette corvée  incontournable.  La pensée taraudante des toilettes nous faisait garder bonne allure. La côte de la rue Gambetta en vue signifiait la fin du périple. Au début des années cinquante, il y eut quelques entorses à ce rite et, surtout, le temps écourta la liste des visites jusqu’à la réduire à une ou deux qu’on ne fit d’ailleurs plus obligatoirement le jour de l’an.
La tournée touchait à sa fin et nous étions contents de voir le bout de l’avenue Janvier et de cette corvée  incontournable.  La pensée taraudante des toilettes nous faisait garder bonne allure. La côte de la rue Gambetta en vue signifiait la fin du périple. Au début des années cinquante, il y eut quelques entorses à ce rite et, surtout, le temps écourta la liste des visites jusqu’à la réduire à une ou deux qu’on ne fit d’ailleurs plus obligatoirement le jour de l’an.


[[Utilisateur:Stephanus|Stephanus]]
Etienne Maignen
 


<references/>
===lien externe===
* ''Un Rennais, le sergent-chef pilote Hervé Bougault, mort pour la France à 23 ans, le 17 mai 1940, aux commandes d'un bombardier LéO 451 abattu près de Floyon (Nord) par un Messerschmitt''.
* ''Un Rennais, le sergent-chef pilote Hervé Bougault, mort pour la France à 23 ans, le 17 mai 1940, aux commandes d'un bombardier LéO 451 abattu près de Floyon (Nord) par un Messerschmitt''.
http://www.31eme-escadre.fr/equipages_dans_la_tourmente/Bougault.html
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