« Quartier 9 : du passé ouvrier ne faisons pas table rase » : différence entre les versions

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Ce texte est le résultat de cinq ou six séances de travail aux Archives Municipales et de quelques recherches d’information dans d’autres documents et dans mon entourage. Il ne donnera donc pas plus qu’il ne peut. Comme je l’ai précisé, cet écrit peut être empreint de subjectivité. Certains voudrons peut être y réagir, pour préciser, rectifier, protester ? … et c’est tant mieux.
Ce texte est le résultat de cinq ou six séances de travail aux Archives Municipales et de quelques recherches d’information dans d’autres documents et dans mon entourage. Il ne donnera donc pas plus qu’il ne peut. Comme je l’ai précisé, cet écrit peut être empreint de subjectivité. Certains voudrons peut être y réagir, pour préciser, rectifier, protester ? … et c’est tant mieux.


Je commence par un souvenir personnel. Il s’agit du nombre très important de bicyclettes se croisant au carrefour rue Claude Bernard-boulevard Voltaire il y a cinquante ans. Je sais qu’en évoquant cela certains de mes amis sourient et me disent que j’ai du vivre en Chine. Pourtant les automobiles n'étaient pas encore très répandues et dans le quartier les transports publics qui débutaient seulement n’offraient ni la rapidité ni la diversité actuelles. C’est cela qui m’a conduit à m’intéresser au passé industriel du quartier 9. Où allaient et d’où sortaient tous ces cyclistes et ces piétons aux premières heures du matin et en fin d’après-midi ? Quand on se promène aujourd’hui dans le quartier, il est difficile d’imaginer qu’il y a trente ans et plus, c’était un tout autre environnement qui y prévalait.
Je commence par un souvenir personnel. Il s’agit du nombre très important de bicyclettes se croisant au carrefour [[rue Claude Bernard]]-[[boulevard Voltaire]] il y a cinquante ans. Je sais qu’en évoquant cela certains de mes amis sourient et me disent que j’ai du vivre en Chine. Pourtant les automobiles n'étaient pas encore très répandues et dans le quartier les transports publics qui débutaient seulement n’offraient ni la rapidité ni la diversité actuelles. C’est cela qui m’a conduit à m’intéresser au passé industriel du quartier 9. Où allaient et d’où sortaient tous ces cyclistes et ces piétons aux premières heures du matin et en fin d’après-midi ? Quand on se promène aujourd’hui dans le quartier, il est difficile d’imaginer qu’il y a trente ans et plus, c’était un tout autre environnement qui y prévalait.
Je propose un cheminement anachronique situant différents lieux de travail plus ou moins importants indépendamment de l’époque en croisant mes propres souvenirs et ce que les Archives Municipales m’ont fait découvrir.
Je propose un cheminement anachronique situant différents lieux de travail plus ou moins importants indépendamment de l’époque en croisant mes propres souvenirs et ce que les Archives Municipales m’ont fait découvrir.


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Elle est aussi bien loin l’époque de 1926, quand le maire intervenait pour exiger la baisse du prix du gaz pour les abonnés du fait d’une perte de capacité calorifique, alors qu’à d’autres moments le conseil municipal votait des subsides pour les enfants des grévistes.
Elle est aussi bien loin l’époque de 1926, quand le maire intervenait pour exiger la baisse du prix du gaz pour les abonnés du fait d’une perte de capacité calorifique, alors qu’à d’autres moments le conseil municipal votait des subsides pour les enfants des grévistes.
Le développement de la consommation du gaz a nécessité la construction d’une nouvelle usine boulevard Voltaire. La première parcelle Voltaire est achetée en 1880 et l’usine entre en service en 1884, nous y reviendrons. Cependant le site de la Motte-Piquet n’avait pas fini son évolution industrielle. En 1902, une petite centrale électrique fut installée dans un des bâtiments de l’ancienne usine à gaz, mais en 1909 apparaissent les premières plaintes pour les mauvaises odeurs de l’usine. Rapidement, la montée en puissance de la production électrique demandant des générateurs de plus en plus puissants entraine le déménagement des installations à proximité de l’usine à gaz boulevard Voltaire. Sur ce site, la production électrique fut opérationnelle fin 1913. On relève que 1921 à 1929, l’effectif de l’entreprise est passé de 388 à 392 personnes. En 1985, un peu moins de 1 100 personnes dépendaient du centre E.D.F.-G.D.F. de Rennes. Pendant longtemps tout le personnel qui y travaillait avait le statut de salarié assimilé de l’État, du directeur à la femme de ménage. Ensuite la stratégie d’externalisation a commencé. D’abord le creusement des tranchées, puis l’entretien des locaux et ainsi de suite jusqu’au relevage des compteurs. La destruction du caractère étatique de l’entreprise était en route pour une concurrence libre et non faussée, selon les critères de l’Europe. On nous promettait une modération voire une baisse des prix, chacun sait ce qu’il en est aujourd’hui. Par contre les actionnaires privés sont revenus, ils ne s’en plaignent pas ! Je suis de plus en plus excédé par les courriers de GDF-Suez qui me proposent de prendre mon électricité chez eux. Le gaz et l’électricité chez le même fournisseur annoncent-ils, comme si ce n’est pas ce qui existait avant la casse !
Le développement de la consommation du gaz a nécessité la construction d’une nouvelle usine boulevard Voltaire. La première parcelle Voltaire est achetée en 1880 et l’usine entre en service en 1884, nous y reviendrons. Cependant le site de la Motte-Piquet n’avait pas fini son évolution industrielle. En 1902, une petite centrale électrique fut installée dans un des bâtiments de l’ancienne usine à gaz, mais en 1909 apparaissent les premières plaintes pour les mauvaises odeurs de l’usine. Rapidement, la montée en puissance de la production électrique demandant des générateurs de plus en plus puissants entraîne le déménagement des installations à proximité de l’usine à gaz boulevard Voltaire. Sur ce site, la production électrique fut opérationnelle fin 1913. On relève que de 1921 à 1929 l’effectif de l’entreprise est passé de 388 à 392 personnes. En 1985, un peu moins de 1 100 personnes dépendaient du centre E.D.F.-G.D.F. de Rennes. Pendant longtemps tout le personnel qui y travaillait avait le statut de salarié assimilé de l’État, du directeur à la femme de ménage. Ensuite la stratégie d’externalisation a commencé. D'abord le creusement des tranchées, puis l’entretien des locaux et ainsi de suite jusqu'au relevage des compteurs. La destruction du caractère étatique de l’entreprise était en route pour une concurrence libre et non faussée, selon les critères de l’Europe. On nous promettait une modération voire une baisse des prix, chacun sait ce qu’il en est aujourd'hui. Par contre les actionnaires privés sont revenus, ils ne s’en plaignent pas ! Je suis de plus en plus excédé par les courriers de GDF-Suez qui me proposent de prendre mon électricité chez eux. Le gaz et l’électricité chez le même fournisseur annoncent-ils, comme si ce n’est pas ce qui existait avant la casse !


De là je peux partir par la [[rue de la Santé]], en souvenir sans doute de l’Hôpital des Indigents qui s’y trouvait. Je passe devant l’agence Panhard et Levassor aux numéros 7 et 10, présente en 1928, puis en continuant vers les quais, j’y croise en 1925 une usine de forgeage et taillage de limes : l’atelier de forge et taillanderie Panhaleux. Plus loin, en 1904, se trouve une usine  de conserves alimentaires : Binda et compagnie. Mais, je retourne vers la rue de la Motte Piquet pour arriver [[place de la Rotonde]], sur ma droite j’aperçois à l’angle du [[boulevard Sébastopol]] et du [[quai de la Prévalaye]], au numéro 21, la belle façade des cycles Sparting dont la construction a été autorisée en 1941 pour l’implantation de machines destinées à l’usinage, au brasage et à la soudure. C'est là que j'ai acheté mon premier vélo d'adulte pour aller au collège [[rue d'Echange]]. Enfin d'adulte, on avait acheté en même temps des rehausse-pédales.
De là je peux partir par la [[rue de la Santé]], en souvenir sans doute de l’Hôpital des Indigents qui s’y trouvait. Je passe devant l’agence Panhard et Levassor aux numéros 7 et 10, présente en 1928, puis en continuant vers les quais, j’y croise en 1925 une usine de forgeage et taillage de limes : l’atelier de forge et taillanderie Panhaleux. Plus loin, en 1904, se trouve une usine  de conserves alimentaires : Binda et compagnie. Mais, je retourne vers la rue de la Motte Piquet pour arriver [[place de la Rotonde]], sur ma droite j’aperçois à l’angle du [[boulevard Sébastopol]] et du [[quai de la Prévalaye]], au numéro 21, la belle façade des cycles Sparting dont la construction a été autorisée en 1941 pour l’implantation de machines destinées à l’usinage, au brasage et à la soudure. C'est là que j'ai acheté mon premier vélo d'adulte pour aller au collège [[rue d'Echange]]. Enfin d'adulte, on avait acheté en même temps des rehausse-pédales.
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Revenu place de la Rotonde, sur ma gauche et en face, j’ai le souvenir d’un long et haut mur de schiste rouge arrivant par la rue de l’Arsenal, c’est de l’entreprise qu’ils protégeaient que vient son nom.
Revenu place de la Rotonde, sur ma gauche et en face, j’ai le souvenir d’un long et haut mur de schiste rouge arrivant par la rue de l’Arsenal, c’est de l’entreprise qu’ils protégeaient que vient son nom.
[[Image:Arsenal GH.jpg|250px|right|thumb|Vue d'une partie de l'Arsenal, 1974]]
[[Image:Arsenal GH.jpg|250px|right|thumb|Vue d'une partie de l'Arsenal, 1974]]
Il continue par la [[rue de Redon]] jusqu’à ce qui est aujourd’hui la Maison Héloïse. Le trottoir, la plupart du temps à l’ombre, me poussait à marcher sur celui d’en face plus accueillant. De l’autre côté de ce mur, l’Arsenal de Rennes. Il s’est installé là dans les bâtiments d’un hospice de santé en 1793 et il sera complètement reconstruit en 1844. Trop à l’étroit dans la ville, il se déploie aussi sur les terrains de la Courrouze qui commenceront à être achetés en 1856. La spécialité de l’arsenal de Rennes, qui lui vaudra son développement, est l’usinage des munitions et des douilles métalliques. La surface des terrains utilisés va  aller jusqu’à 78 hectares. Au plus fort de la première guerre mondiale ce seront jusqu’à 18 000 personnes qui y travailleront, la deuxième verra l’emploi de 10 500 personnes. Dès l’après-guerre  débutent les fabrications civiles comme le matériel agricole. C’est en 1968 que commence le début de la fin avec une réduction drastique des effectifs, suivie de la fin des activités sur le site d’origine de l’arsenal. A partir de 1970, il y a de moins en moins de personnes employées sur le site de la Courrouze et en 2009 un résidu d’activité ne génère plus que 45 postes. Les effectifs, longtemps imposants, expliquent la circulation qu'il pouvait y avoir dans le quartier où résidaient de nombreux ouvriers alors qu’une partie du personnel sortait par le bout de la rue Philippe Lebon. Les entrées et sorties du travail étaient rythmées par une sirène. Cela me rappelle aussi que vers midi, le premier mercredi de chaque mois, on entendait le concert des sirènes de l’arsenal, de l’usine à gaz et de bien d’autres usines de la ville qui faisaient l’exercice mensuel d’alerte. Je ne sais pas si cela a encore lieu à l’instant où j’écris ceci. Le bruit de la circulation, des avions qui décollent à Saint-Jacques et de la rocade couvrent peut-être ce hurlement qui rappelait aux vieux Rennais les alertes aux bombardements de la dernière guerre.
Il continue par la [[rue de Redon]] jusqu’à ce qui est aujourd’hui la Maison Héloïse. Le trottoir, la plupart du temps à l’ombre, me poussait à marcher sur celui d’en face plus accueillant. De l’autre côté de ce mur, l’Arsenal de Rennes. Il s’est installé là dans les bâtiments d’un hospice de santé en 1793 et il sera complètement reconstruit en 1844. Trop à l’étroit dans la ville, il se déploie aussi sur les terrains de la Courrouze qui commenceront à être achetés en 1856. La spécialité de l’arsenal de Rennes, qui lui vaudra son développement, est l’usinage des munitions et des douilles métalliques. La surface des terrains utilisés va  aller jusqu’à 78 hectares. Au plus fort de la première guerre mondiale ce seront jusqu'à 18 000 personnes qui y travailleront, la deuxième verra l’emploi de 10 500 personnes. Dès l’après-guerre  débutent les fabrications civiles comme le matériel agricole. C’est en 1968 que commence le début de la fin avec une réduction drastique des effectifs, suivie de la fin des activités sur le site d’origine de l’arsenal. A partir de 1970, il y a de moins en moins de personnes employées sur le site de la Courrouze et en 2009 un résidu d’activité ne génère plus que 45 postes. Les effectifs, longtemps imposants, expliquent la circulation qu'il pouvait y avoir dans le quartier où résidaient de nombreux ouvriers alors qu’une partie du personnel sortait par le bout de la rue Philippe Lebon. Les entrées et sorties du travail étaient rythmées par une sirène. Cela me rappelle aussi que vers midi, le premier mercredi de chaque mois, on entendait le concert des sirènes de l’arsenal, de l’usine à gaz et de bien d’autres usines de la ville qui faisaient l’exercice mensuel d’alerte. Je ne sais pas si cela a encore lieu à l’instant où j’écris ceci. Le bruit de la circulation, des avions qui décollent à Saint-Jacques et de la rocade couvrent peut-être ce hurlement qui rappelait aux vieux Rennais les alertes aux bombardements de la dernière guerre.
[[Image:5D1138 machine 1863.jpg|250px|right|thumb|Etablissement d'une machine à vapeur pour les ateliers du faubourg de Redon, 25 mars 1863]]
[[Image:5D1138 machine 1863.jpg|250px|right|thumb|Etablissement d'une machine à vapeur pour les ateliers du faubourg de Redon, 25 mars 1863]]


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== De Malakoff à la Vilaine ==
== De Malakoff à la Vilaine ==


Je reviens sur mes pas et termine la rue de Redon. Arrivé au Carrefour Redon-Voltaire-Claude Bernard-Malakoff, j’ai le choix entre trois directions. Juste à l’angle, à ma droite, je vois l’entrée des établissements Joncoux aux bâtiments vieillots et bas, ils sont spécialisés dans la tuyauterie galvanisée, la vente de gazinières et autres appareils de chauffage. Ils quitteront les lieux pour Saint Grégoire en 1957 et seront remplacés par un bâtiment des Télécoms. En face à l’angle gauche, de grands bâtiments de réparation de camions, c’est le garage Saurer-Hotchkiss et plus tard Mercedes-Benz. Une grosse horloge ronde suspendue au mur du bâtiment indiquait à chacun s'il allait être à l'heure ou en retard au travail ou à l'école. Je me décide à prendre à droite, aussitôt de l’autre côté j’aperçois la vinaigrerie Dessault. Je la retrouverai boulevard Voltaire car elle donne sur deux les deux voies. Je me souviens à ce propos d'un concours de lancer de cailloux dans la cour du 4 bvd Voltaire. La vinaigrerie avait des toitures avec de grandes verrières, ce que nous avions oublié. Les cailloux franchissaient les pans sud et retombaient de l'autre côté au nord. Quelques jours plus tard, l'arrivée de la police nous a bien mis dans l’embarras, d'autant plus que les policiers avaient demandé à une fillette de 6-7 ans le nom de ceux qui avaient lancé des cailloux. Elle avait donné le nom de tous les garçons de l'immeuble, une dizaine. Les coupables, dont j'étais, se sont dénoncés pour éviter les ennuis à ceux qui n'étaient pas présents ce jour-là. La directrice de la vinaigrerie qui nous faisait l'impression d'une femme très sévère avait par la suite retiré sa plainte. Je ne sais si ce règlement intérieur était aussi appliqué au site rennais, mais dans un règlement intérieur de la Vinaigrerie Dessaux de 1880 on trouve :
Je reviens sur mes pas et termine la rue de Redon. Arrivé au Carrefour Redon-Voltaire-Claude Bernard-Malakoff, j’ai le choix entre trois directions. Juste à l’angle, à ma droite, je vois l’entrée des établissements Joncoux aux bâtiments vieillots et bas, ils sont spécialisés dans la tuyauterie galvanisée, la vente de gazinières et autres appareils de chauffage. Ils quitteront les lieux pour Saint Grégoire en 1957 et seront remplacés par un bâtiment des Télécoms. En face à l’angle gauche, de grands bâtiments de réparation de camions, c’est le garage Saurer-Hotchkiss et plus tard Mercedes-Benz. Une grosse horloge ronde suspendue au mur du bâtiment indiquait à chacun s'il allait être à l'heure ou en retard au travail ou à l'école. Je me décide à prendre à droite, aussitôt de l’autre côté j’aperçois la vinaigrerie Dessault. Je la retrouverai boulevard Voltaire car elle donne sur deux les deux voies. Je me souviens à ce propos d'un concours de lancer de cailloux dans la cour du 4 bd Voltaire. La vinaigrerie avait des toitures avec de grandes verrières, ce que nous avions oublié. Les cailloux franchissaient les pans sud et retombaient de l'autre côté au nord. Quelques jours plus tard, l'arrivée de la police nous a bien mis dans l’embarras, d'autant plus que les policiers avaient demandé à une fillette de 6-7 ans le nom de ceux qui avaient lancé des cailloux. Elle avait donné le nom de tous les garçons de l'immeuble, une dizaine. Les coupables, dont j'étais, se sont dénoncés pour éviter les ennuis à ceux qui n'étaient pas présents ce jour-là. La directrice de la vinaigrerie qui nous faisait l'impression d'une femme très sévère avait par la suite retiré sa plainte. Je ne sais si ce règlement intérieur était aussi appliqué au site rennais, mais dans un règlement intérieur de la Vinaigrerie Dessaux de 1880 on trouve :


''1- Piété, propreté et ponctualité sont la force d’une bonne affaire 2- … Les employés de bureau n’auront plus à être présents que de sept heures du matin à six heures du soir, et ce, les jours de semaine seulement. 3- Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau y seront obligatoirement présents. 6- … Il est recommandé à chaque membre du personnel d’apporter chaque jour quatre livres de charbon durant la saison froide …'' et tout le reste à l’avenant qui se termine par ''Les propriétaires reconnaissent et acceptent la générosité des nouvelles lois du Travail mais attendent du personnel un accroissement considérable du rendement en compensation de ces conditions presque utopiques''.
''1- Piété, propreté et ponctualité sont la force d’une bonne affaire 2- … Les employés de bureau n’auront plus à être présents que de sept heures du matin à six heures du soir, et ce, les jours de semaine seulement. 3- Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau y seront obligatoirement présents. 6- … Il est recommandé à chaque membre du personnel d’apporter chaque jour quatre livres de charbon durant la saison froide …'' et tout le reste à l’avenant qui se termine par ''Les propriétaires reconnaissent et acceptent la générosité des nouvelles lois du Travail mais attendent du personnel un accroissement considérable du rendement en compensation de ces conditions presque utopiques''.
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Le samedi et le dimanche, jours de repos et le silence, on pouvait entendre les chiens de la fourrière pour animaux  située sans doute vers le mur du fond de l’abattoir. Depuis, après avoir été rasé, c’est un bâtiment des Telecom avec sa tour visible de loin qui a pris la place …  
Le samedi et le dimanche, jours de repos et le silence, on pouvait entendre les chiens de la fourrière pour animaux  située sans doute vers le mur du fond de l’abattoir. Depuis, après avoir été rasé, c’est un bâtiment des Telecom avec sa tour visible de loin qui a pris la place …  


Mais l’histoire s’accélère, après avoir été abandonné il y a quatre ans, le bâtiment des Télécom avec sa tour qui a pris la place de l'abattoir renaît avec un nouveau propriétaire pour une nouvelle destination … le siège de la BPO (La BPO a récemment annoncé que ces bâtiments étaient surdimensionnés par rapport à ses besoins. Elle construit son nouveau siège entre Rennes et Saint Grégoire, le long de la route de Saint Malo) peut-être ? Si je retourne en arrière, les archives me disent que cette zone a été l’emplacement de nombreuses entreprises. [[Rue Malagutti]] on relève qu’en 1925 s’y trouvait une usine de semelles de galoches. [[Rue Jean Guy]], c’est l’usine Ravilly [[Image:Facture entreprise Jean Guy 10Z39.jpg|250px|left|thumb|]]qui fabrique des conserves alimentaires, elle fonctionnera de 1919 jusqu’à 1930. Sur le quai de la Prévalaye en 1919, l’implantation de l’atelier de menuiserie Bossard est autorisée, la même année la Société des Fours à Chaux de Lormandière et de la Chaussairie [[Image:Facade de la Societe des Fours a chaux 799W43.jpg|350px|center|thumb|]]présente les beaux plans de la construction d’un bâtiment à l’angle du quai et de la rue Gabriel. Au numéro 19 du quai, en 1934, un garage est transformé en charcuterie et laboratoire. Au numéro 27 c’est la société des Anciens Établissements Lehon qui installe des hangars en 1948 et c’est l’industriel Georges Lambert qui installe un atelier-dépôt aux numéros 31 et 33 la même année. C’est au numéro 33 que se situent les chambres froides de Georges Graff. Un saut dans le temps, rue du sapeur Michel Jouan jusqu’à la fin des années soixante dix, on trouve les bureaux de l’entreprise Hovasse et son dépôt de sacs de ciment, de tuyaux de tous calibres et de parpaings. Rue Denis Papin on voit les entrées et sorties régulières d’un grand garage de stationnement pour les camions du journal Ouest France.
Mais l’histoire s’accélère, après avoir été abandonné il y a quatre ans, le bâtiment des Télécom avec sa tour qui a pris la place de l'abattoir renaît avec un nouveau propriétaire pour une nouvelle destination … le siège de la BPO (La BPO a récemment annoncé que ces bâtiments étaient surdimensionnés par rapport à ses besoins. Elle construit son nouveau siège entre Rennes et Saint-Grégoire, le long de la route de Saint Malo. Si je retourne en arrière, les archives me disent que cette zone a été l’emplacement de nombreuses entreprises. [[Rue Malagutti]] on relève qu’en 1925 s’y trouvait une usine de semelles de galoches. [[Rue Jean Guy]], c’est l’usine Ravilly [[Image:Facture entreprise Jean Guy 10Z39.jpg|250px|left|thumb|]]qui fabrique des conserves alimentaires, elle fonctionnera de 1919 jusqu’à 1930. Sur le quai de la Prévalaye en 1919, l’implantation de l’atelier de menuiserie Bossard est autorisée, la même année la Société des Fours à Chaux de Lormandière et de la Chaussairie [[Image:Facade de la Societe des Fours a chaux 799W43.jpg|350px|center|thumb|]]présente les beaux plans de la construction d’un bâtiment à l’angle du quai et de la rue Gabriel. Au numéro 19 du quai, en 1934, un garage est transformé en charcuterie et laboratoire. Au numéro 27 c’est la société des Anciens Établissements Lehon qui installe des hangars en 1948 et c’est l’industriel Georges Lambert qui installe un atelier-dépôt aux numéros 31 et 33 la même année. C’est au numéro 33 que se situent les chambres froides de Georges Graff. Un saut dans le temps, [[rue du sapeur Michel Jouan]] jusqu’à la fin des années soixante-dix, on trouve les bureaux de l’entreprise Hovasse et son dépôt de sacs de ciment, de tuyaux de tous calibres et de parpaings. Rue Denis Papin on voit les entrées et sorties régulières d’un grand garage de stationnement pour les camions du journal Ouest France.


== Vers le passage à niveau Claude Bernard ==
== Vers le passage à niveau Claude Bernard ==


Au carrefour Voltaire-Redon, j’aurais pu remonter sur ma gauche par la rue Claude Bernard jusqu’aux établissements Jean Prost, au n° 22. Tient ! Au coin de la rue Claude Bernard et de la [[rue Alexandre Duval]] les deux grands marronniers ont disparu. Le terrain de jeu pentu n'est plus là, il est resté longtemps un parking stabilisé qui va prochainement être construit. C'était sans doute au printemps que nous allions chercher des hannetons sous les arbres, une grosse boîte d'allumettes vide nous servait de prison. Plus tard un fil à la patte et nous avions des hélicoptères. Comment terminaient les malheureux insectes, je l'ai oublié.  Revenons à Prost. Tout en restant sur le Mail, la plus grande partie de l’établissement a émigré sur le site de l’ancien manoir Le Gravot. C’est en 1961 que les transports s’y installent. Le personnel du garage du Mail y arrive en 1962. Les voies de chemin de fer y accèdent. Par plusieurs étapes, on y trouve tout ce qui est nécessaire au fonctionnement de l’entreprise : citernes à gasoil et pompes, station de lavage, atelier de réparation, carrosserie, bureaux. Pendant et après la dernière guerre, l’entreprise a beaucoup transporté pour la société l’Économique. En 1972, l’entreprise Jean Prost qui compte près de 600 employés, devient le transporteur le plus important de Bretagne. Devenue « Prost Transport »,  il ne cesse de s’étendre, à toute la France d’abord, puis à la Belgique et aux Pays Bas. De 1972 à 1985, 800 nouveaux emplois sont créés. En 1992, l’entreprise compte 61 succursales, emploie 2085 personnes et exploite 1 410 véhicules. Le rachat par UPS qui avait d’autres intérêts a lieu en 1991. Les Américains débarquent physiquement, parmi eux, Tony Montano, un gars du New Jersey d'origine italienne. Il s’agissait surtout de racheter la compétence et le réseau … une autre histoire, d’autres valeurs, mais d’horribles camions et camionnettes marron font leur apparition. Aujourd’hui c’est place rase autour de la trémie Claude Bernard, difficile d’imaginer les entrées et sorties, surtout le soir et très tôt le matin, des innombrables poids lourds et semi-remorques sortant des entrepôts. Un peu plus loin, boulevard de Cleunay, un autre dépôt Prost a pris la place du garage Ricard. C'est là que stationnent les véhicules de transports exceptionnels comme le tracteur de 240 CV tous terrains 66 avec cabestan arrière ou le semi d’une longueur transportable de 18 à 25 mètres, boggie arrière orientable par servo-direction pneumatique. Tout près, c’est l’entreprise Rol Lister, boîte de travaux publics, encore des camions.
Au carrefour Voltaire-Redon, j’aurais pu remonter sur ma gauche par la rue Claude Bernard jusqu’aux établissements Jean Prost, au n° 22. Tient ! Au coin de la rue Claude Bernard et de la [[rue Alexandre Duval]] les deux grands marronniers ont disparu. Le terrain de jeu pentu n'est plus là, il est resté longtemps un parking stabilisé qui va prochainement être construit. C'était sans doute au printemps que nous allions chercher des hannetons sous les arbres, une grosse boîte d'allumettes vide nous servait de prison. Plus tard un fil à la patte et nous avions des hélicoptères. Comment terminaient les malheureux insectes, je l'ai oublié.  Revenons à Prost. Tout en restant sur le Mail, la plus grande partie de l’établissement a émigré sur le site de l’ancien manoir Le Gravot. C’est en 1961 que les transports s’y installent. Le personnel du garage du Mail y arrive en 1962. Les voies de chemin de fer y accèdent. Par plusieurs étapes, on y trouve tout ce qui est nécessaire au fonctionnement de l’entreprise : citernes à gasoil et pompes, station de lavage, atelier de réparation, carrosserie, bureaux. Pendant et après la dernière guerre, l’entreprise a beaucoup transporté pour la société l’Économique. En 1972, l’entreprise Jean Prost qui compte près de 600 employés, devient le transporteur le plus important de Bretagne. Devenue « Prost Transport »,  il ne cesse de s’étendre, à toute la France d’abord, puis à la Belgique et aux Pays Bas. De 1972 à 1985, 800 nouveaux emplois sont créés. En 1992, l’entreprise compte 61 succursales, emploie 2085 personnes et exploite 1 410 véhicules. Le rachat par UPS qui avait d’autres intérêts a lieu en 1991. Les Américains débarquent physiquement, parmi eux, Tony Montano, un gars du New Jersey d'origine italienne. Il s’agissait surtout de racheter la compétence et le réseau … une autre histoire, d’autres valeurs, mais d’horribles camions et camionnettes marron font leur apparition. Aujourd’hui c’est place rase autour de la trémie Claude Bernard, difficile d’imaginer les entrées et sorties, surtout le soir et très tôt le matin, des innombrables poids lourds et semi-remorques sortant des entrepôts. Un peu plus loin, boulevard de Cleunay, un autre dépôt Prost a pris la place du garage Ricard. C'est là que stationnent les véhicules de transports exceptionnels comme le tracteur de 240 CV tous terrains 66 avec cabestan arrière ou le semi d’une longueur transportable de 18 à 25 mètres, bogie arrière orientable par servo-direction pneumatique. Tout près, c’est l’entreprise Rol Lister, boîte de travaux publics, encore des camions.


== [[La Mabilais]] ==
== [[La Mabilais]] ==
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L’usine était cernée par des murs de schiste rouge, certes moins hauts que ceux de l’arsenal, mais comme lui, c’était un lieu fermé. Ces entreprises closes apparaissaient un peu mystérieuses à ceux qui n’y pénétraient pas. Pour moi, cela a été un peu différent, mon père y travaillant comme chef de quart de fabrication, c’était un lieu que je connaissais assez bien. L’usine fonctionnant en continu sept jours sur sept. Jeune, voire très jeune, n'habitant pas très loin, je lui rendais assez souvent visite. Le processus de fabrication du gaz n’avait alors pas trop de secrets pour moi. J’ai depuis un peu oublié les nombreuses explications paternelles, mais les termes de cracking, de délutage me reviennent à l’esprit. Je me rappelle aussi du bâtiment en tôle à plusieurs étages qui abritait les fours de fabrication et de la chaleur qui y régnait. Chaleur donc isolation … à l’amiante, mon père en a payé le prix fort. Un dernier souvenir, la guerre d’Algérie, pendant un temps des barbelés avaient été fixés au-dessus des murs, sans doute pour éviter l’infiltration de « terroristes », des fellagas comme il se disait. À chaque angle il y avait une sorte de guérite avec un soldat de faction. La guerre s’est terminée, les soldats sont partis, mais les barbelés sont restés longtemps, peut-être qu’ils subsistent encore le long de la Vilaine.
L’usine était cernée par des murs de schiste rouge, certes moins hauts que ceux de l’arsenal, mais comme lui, c’était un lieu fermé. Ces entreprises closes apparaissaient un peu mystérieuses à ceux qui n’y pénétraient pas. Pour moi, cela a été un peu différent, mon père y travaillant comme chef de quart de fabrication, c’était un lieu que je connaissais assez bien. L’usine fonctionnant en continu sept jours sur sept. Jeune, voire très jeune, n'habitant pas très loin, je lui rendais assez souvent visite. Le processus de fabrication du gaz n’avait alors pas trop de secrets pour moi. J’ai depuis un peu oublié les nombreuses explications paternelles, mais les termes de cracking, de délutage me reviennent à l’esprit. Je me rappelle aussi du bâtiment en tôle à plusieurs étages qui abritait les fours de fabrication et de la chaleur qui y régnait. Chaleur donc isolation … à l’amiante, mon père en a payé le prix fort. Un dernier souvenir, la guerre d’Algérie, pendant un temps des barbelés avaient été fixés au-dessus des murs, sans doute pour éviter l’infiltration de « terroristes », des fellagas comme il se disait. À chaque angle il y avait une sorte de guérite avec un soldat de faction. La guerre s’est terminée, les soldats sont partis, mais les barbelés sont restés longtemps, peut-être qu’ils subsistent encore le long de la Vilaine.
[[Image:HAMON Photo usine-gaz.jpg|250px|right|thumb|Ouvriers devant l'atelier de l'usine à gaz boulevard Voltaire, Hamon R., Duval L. Manoury P., Talon, Guivarc'h, Joubrel, Marchand. 1953]]
[[Image:HAMON Photo usine-gaz.jpg|250px|right|thumb|Ouvriers devant l'atelier de l'usine à gaz boulevard Voltaire, Hamon R., Duval L. Manoury P., Talon, Guivarc'h, Joubrel, Marchand. 1953]]
Ensuite le gaz de Lacq est arrivé par tuyaux, fini les trains traversant la rue. Les fours se sont arrêtés puis plusieurs bâtiments ont été abattus comme la haute cheminée. Aujourd’hui le gaz arrive directement des très lointains sites d’extraction par pipe-lines ou par tankers, les gazomètres devenus inutiles ont aussi disparu, seules subsistent les halles qui ont été bien rénovées. Par contre, toute la bande le long de la voie de chemin de fer n’est pas près d’être reconstruite … pollution des sols trop coûteuse à régler.
Ensuite le gaz de Lacq est arrivé par tuyaux, fini les trains traversant la rue. Les fours se sont arrêtés puis plusieurs bâtiments ont été abattus comme la haute cheminée. Aujourd’hui le gaz arrive directement des très lointains sites d’extraction par gazoducs ou par tankers, les gazomètres devenus inutiles ont aussi disparu, seules subsistent les halles qui ont été bien rénovées. Par contre, toute la bande le long de la voie de chemin de fer n’est pas près d’être reconstruite … pollution des sols trop coûteuse à régler.
[[Image:Usine - Gaz GH.jpg|250px|right|thumb|Usine à gaz et environs, 1949]]
[[Image:Usine - Gaz GH.jpg|250px|right|thumb|Usine à gaz et environs, 1949]]


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Pour terminer je sillonne quelques autres rues du quartier pour découvrir les Transports Lebreton rue de Guébriant maintenant relocalisés à La Haye des Cognets, les entrepôts de la biscuiterie Blin et la menuiserie Durand vers le boulevard de la Guérinais.
Pour terminer je sillonne quelques autres rues du quartier pour découvrir les Transports Lebreton rue de Guébriant maintenant relocalisés à La Haye des Cognets, les entrepôts de la biscuiterie Blin et la menuiserie Durand vers le boulevard de la Guérinais.
Je n’ai pas cité nombre d’artisans qui avaient pignon sur rue : carrossier, menuisier, couvreur, plombier, garage de réparation automobile à l’angle de la rue Philippe Lebon et du boulevard Voltaire qui eux aussi ont contribué à l’activité économique du quartier.
Je n’ai pas cité nombre d’artisans qui avaient pignon sur rue : carrossier, menuisier, couvreur, plombier, garage de réparation automobile à l’angle de la rue Philippe Lebon et du boulevard Voltaire qui eux aussi ont contribué à l’activité économique du quartier.
Mon périple est terminé et finalement ma mémoire ne m’a pas trop trahi. Il y avait bien des raisons pour que le quartier soit encombré de piétons et de cyclistes. Certainement étaient-ils moins polluants que les files de voitures qui patientent aujourd’hui boulevard Voltaire et au rond-point du Leclerc. Mais sans doute que les usines, elles, polluaient alors beaucoup plus qu’aujourd’hui.
Mon périple est terminé et finalement ma mémoire ne m’a pas trop trahi. Il y avait bien des raisons pour que le quartier soit encombré de piétons et de cyclistes. Certainement étaient-ils moins polluants que les files de voitures qui patientent aujourd’hui boulevard Voltaire et au rond-point du Leclerc. Mais sans doute que les usines, elles, polluaient alors beaucoup plus qu’aujourd’hui.


J’ai parlé dans mon titre du passé ouvrier dont le quartier a fait table rase pour insister sur le changement du quartier 9. Il est devenu plus lieu de résidence, lieu de passage par ses grands axes, lieu de commerce, de bureaux et d’artisanat. J’ai toutefois l’impression que ceux qui y travaillent sont devenus plus anonymes, plus transparents. Comment se distinguent ceux qui travaillent de ceux qui se promènent, de ceux qui vont faire des courses ? Cette présence physique ouvrière de masse, sans la sacraliser, créait le sentiment d’une force commune et d’un destin partagé dont j’ai un peu la nostalgie.
J’ai parlé dans mon titre du passé ouvrier dont le quartier a fait table rase pour insister sur le changement du quartier 9. Il est devenu plus lieu de résidence, lieu de passage par ses grands axes, lieu de commerce, de bureaux et d’artisanat. J’ai toutefois l’impression que ceux qui y travaillent sont devenus plus anonymes, plus transparents. Comment se distinguent ceux qui travaillent de ceux qui se promènent, de ceux qui vont faire des courses ? Cette présence physique ouvrière de masse, sans la sacraliser, créait le sentiment d’une force commune et d’un destin partagé dont j’ai un peu la nostalgie.
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