« Alfred Dreyfus à Rennes » : différence entre les versions

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[[Fichier:Dreyfusiana.png|300px|left|thumb|Un exemple de presse antidreyfusarde exacerbée : ''La Croix'', 1er.09 1899]]
[[Fichier:Dreyfusiana.png|300px|left|thumb|Un exemple de presse antidreyfusarde exacerbée : ''La Croix'', 1er.09 1899]]


Le choix de la ville réputée calme est cependant étonnant mais à Paris l'on a dû oublier les [[manifestations contre les intellectuels dreyfusards en janvier 1898]] qui y avaient eu lieu. Un luxe de précautions est pris pour acheminer Dreyfus à Rennes. Les relations de la [[ découverte de Rennes en 1899]] par les journalistes  seront sévères quant aux attraits de la ville. Le procès en révision s'ouvre dans la salle des fêtes du lycée de garçons, l'actuel [[Lycée Émile Zola]] à Rennes le 7 août [[1899]]. Le 3, l'autorité militaire  avait tardivement abandonné le choix du grenier à blé de la Manutention, constatant qu'il était impossible de loger 600 personnes dans ce "long boyau sans air",  alors que la salle des fêtes du lycée était un "local spacieux, bien éclairé et bien aéré. La façade donnant [[rue Toullier]] ayant un certain nombre de grandes croisées et, de l'autre côté, plusieurs portes s'ouvrant sur une des cours intérieures du lycée." <ref> ''Ouest-Eclair'' du 4 août 1899</ref> De plus la [[prison militaire]] était à côté. Les Rennais s'avèrent très majoritairement antidreyfusards. Un seul des journaux locaux, ''L'Avenir'', soutient la cause. Le capitaine Dreyfus,  défendu par Me [[Fernand Labori]] et Me Charles Demange <ref>[[rue Charles Demange]]</ref> sera condamné, le samedi 9 septembre, par cinq voix contre 2,  à dix ans avec circonstances atténuantes, avant d'être gracié dix jours plus tard, par le président Loubet. La grâce n'efface pas la culpabilité jugée.
Le 7 août 1899 s'ouvre le procès en révision du capitaine Dreyfus dans la salle des fêtes du lycée de Rennes, transformée en tribunal militaire. Toute la ville est en effervescence, les journalistes affluent en nombre pour couvrir l'événement et le climat est très tendu entre "pro" et "anti" dreyfusards. Le choix de la ville réputée calme est cependant étonnant mais à Paris l'on a dû oublier les [[manifestations contre les intellectuels dreyfusards en janvier 1898]] qui y avaient eu lieu. Un luxe de précautions est pris pour acheminer Dreyfus à Rennes. Les relations de la [[ découverte de Rennes en 1899]] par les journalistes  seront sévères quant aux attraits de la ville. Le procès en révision s'ouvre dans la salle des fêtes du lycée de garçons, l'actuel [[Lycée Émile Zola]] à Rennes le 7 août [[1899]]. Le 3, l'autorité militaire  avait tardivement abandonné le choix du grenier à blé de la Manutention, constatant qu'il était impossible de loger 600 personnes dans ce "long boyau sans air",  alors que la salle des fêtes du lycée était un "local spacieux, bien éclairé et bien aéré. La façade donnant [[rue Toullier]] ayant un certain nombre de grandes croisées et, de l'autre côté, plusieurs portes s'ouvrant sur une des cours intérieures du lycée." <ref> ''Ouest-Eclair'' du 4 août 1899</ref> De plus la [[prison militaire]] était à côté. Les Rennais s'avèrent très majoritairement antidreyfusards. Un seul des journaux locaux, ''L'Avenir'', soutient la cause. Le capitaine Dreyfus,  défendu par Me [[Fernand Labori]] et Me Charles Demange <ref>[[rue Charles Demange]]</ref> sera condamné, le samedi 9 septembre, par cinq voix contre 2,  à dix ans avec circonstances atténuantes, avant d'être gracié dix jours plus tard, par le président Loubet. La grâce n'efface pas la culpabilité jugée.
Mais le jugement de Rennes ne sera cassé qu'en 1906 avec la réhabilitation. <ref> ''Rennes et Dreyfus en 1899. Une ville, un procès '', par [[Colette Cosnier]] et André Hélard.  Horay - 1999</ref>
Mais le jugement de Rennes ne sera cassé qu'en 1906 avec la réhabilitation par un arrêt de la Cour de Cassation, sans renvoi à une cour d'appel. <ref> ''Rennes et Dreyfus en 1899. Une ville, un procès '', par [[Colette Cosnier]] et André Hélard.  Horay - 1999</ref>
[[Fichier:Troupes_devant_Toussaints.png|400px|right|thumb|Les troupes devant l'église Toussaints, le 9 septembre, jour du verdict]]
[[Fichier:Troupes_devant_Toussaints.png|400px|right|thumb|Les troupes devant l'église Toussaints, le 9 septembre, jour du verdict]]


====La presse rennaise  majoritairement antidreyfusarde====
====La presse rennaise  majoritairement antidreyfusarde====
Tous les journaux locaux sont antidreyfusards, tel le nouveau [[Ouest-Eclair]] qui, dans son édition du 24 août, consacre sa Une à défaire les preuves de la culpabilité de l’officier Esterhazy, accusé par les dreyfusards d’avoir écrit le bordereau attestant la responsabilité de l’Armée dans les qualifications d’espionnage : « Esterhazy n’a jamais été appelé à copier le bordereau », conclut le journaliste Paul Thomas, faisant ainsi porter la responsabilité sur Dreyfus. La position du ''Journal de Rennes'' est  viscéralement antidreyfusard parce que « la cause de Dreyfus s’est identifiée avec la haine du catholicisme.» ''Le Patriote Breton'', qui s’intitule « journal catholique indépendant », admire Brager de la Villemoysan, élu au Conseil général d’Ille-et-Vilaine comme « catholique indépendant » et qui est un des principaux animateurs du Groupe Antisémite- Nationaliste Rennais, fondé en décembre 1898. Ce journal  use  de la calomnie, de l’attaque personnelle contre Victor Basch ou les rares commerçants juifs rennais, cesse en février 1900.  ''Le Petit Rennais''  affiche le plus souvent un antidreyfusisme modéré mais il est contre  les républicains dreyfusards et la section rennaise de la Ligue des Droits de l’Homme. <ref>https://books.openedition.org/pur/16249?lang=fr  Le paysage de la presse rennaise en 1899. André Hélard </ref>    Seul l'''Avenir de Rennes'', dont la directrice est Mme [[Antoinette Caillot]], s'affiche dreyfusard, aussi le général commandant la place lui demanda t-il, le 3 août, de ne plus faire le service du journal au cercle militaire. Interrogée par  Mme Jeanne Brémontiers, Mme Caillot s'en étonne, indiquant qu'elle estime normal, qu'après le suicide du colonel Henry, ait lieu  ce procès en révision, qu'elle ne prend pas parti dans son journal et que l'on n'y trouve pas de propos antimilitaristes. <ref> ''Ouest-Eclair''. 14.08.1899</ref>
Tous les journaux locaux sont antidreyfusards, tel le nouveau [[Ouest-Eclair]] qui, dans son édition du 24 août, consacre sa Une à défaire les preuves de la culpabilité de l’officier Esterhazy, accusé par les dreyfusards d’avoir écrit le bordereau attestant la responsabilité de l’Armée dans les qualifications d’espionnage : « Esterhazy n’a jamais été appelé à copier le bordereau », conclut le journaliste Paul Thomas, faisant ainsi porter la responsabilité sur Dreyfus. La position du ''Journal de Rennes'' est  viscéralement antidreyfusard parce que « la cause de Dreyfus s’est identifiée avec la haine du catholicisme.» ''Le Patriote Breton'', qui s’intitule « journal catholique indépendant », admire Brager de la Villemoysan, élu au Conseil général d’Ille-et-Vilaine comme « catholique indépendant » et qui est un des principaux animateurs du Groupe Antisémite- Nationaliste Rennais, fondé en décembre 1898. Ce journal  use  de la calomnie, de l’attaque personnelle contre Victor Basch ou les rares commerçants juifs rennais, cesse en février 1900.  ''Le Petit Rennais''  affiche le plus souvent un antidreyfusisme modéré mais il est contre  les républicains dreyfusards et la section rennaise de la Ligue des Droits de l’Homme. <ref>https://books.openedition.org/pur/16249?lang=fr  Le paysage de la presse rennaise en 1899. André Hélard </ref>    Seul l'''Avenir de Rennes'', dont la directrice est Mme [[Antoinette Caillot]], s'affiche dreyfusard, aussi le général commandant la place lui demanda t-il, le 3 août, de ne plus faire le service du journal au cercle militaire. Interrogée par  Mme Jeanne Brémontier, Mme Caillot s'en étonne, indiquant qu'elle estime normal, qu'après le suicide du colonel Henry, ait lieu  ce procès en révision, qu'elle ne prend pas parti dans son journal et que l'on n'y trouve pas de propos antimilitaristes. <ref> ''Ouest-Eclair''. 14.08.1899</ref>


Un siècle plus tard, il fut question de transférer les cendres d'Alfred Dreyfus au Panthéon, mais le président Jacques Chirac refusera, considérant - avec d'autres (dont Robert Badinter), que Dreyfus était d'abord une « victime ».
Un siècle plus tard, il fut question de transférer les cendres d'Alfred Dreyfus au Panthéon, mais le président Jacques Chirac refusera, considérant - avec d'autres (dont Robert Badinter), que Dreyfus était d'abord une « victime ».
En juillet 2025, le président Macron  décida que  le 12 juillet, jour de réhabilitation du capitaine par la Justice en 1906, serait une journée de commémoration nationale pour la victoire de la justice et de la vérité contre la haine et l'antisémitisme.


Une rue de Rennes rappelle son souvenir : la [[rue Capitaine  Alfred Dreyfus]]. Le musée de Bretagne de Rennes comporte une importante présentation de l'affaire Dreyfus mais qui ne porte guère sur le procès de Rennes.
Une rue de Rennes rappelle son souvenir : la [[rue Capitaine  Alfred Dreyfus]]. Le musée de Bretagne de Rennes comporte une importante présentation de l'affaire Dreyfus mais qui ne porte guère sur le procès de Rennes.


=== Le rôle de Rachel Sassoon Beer ===
[[Fichier:Rachel Sassoon Beer (1858 – 1927).jpg|vignette|Rachel Sassoon Beer (1858 – 1927)]]
[[Fichier:Bund Shanghai.jpg|vignette|La '''Sassoon House''' se situe dans le quartier historique du Bund de Shanghaï]]
[[Fichier:Château de Port-Breton (Dinard).jpg|vignette|'''Château de Port-Breton''' (Dinard) construit en 1923 pour une membre de la famille Sassoon : Lady Mozelle Sassoon (1872–1964) issue d'une vieille famille juive de Bagdad, connue sous le nom de « Rothschild de l'Orient ».]]
En tant que première femme en Grande-Bretagne à diriger deux journaux, The Sunday Times et The Observer<ref>https://pressgazette.co.uk/news/osberver-and-sunday-times-pay-for-grave-memorial-to-fleet-streets-first-female-editor-rachel-beer/</ref>, Sassoon Beer a joué un rôle clé dans le reportage sur la tristement célèbre affaire Dreyfus, qui s'est déroulée entre 1894 et 1906<ref>https://www.timesofisrael.com/long-overlooked-great-women-of-the-sassoon-dynasty-get-their-due-in-new-exhibit/</ref>.
'''Rachel Sassoon Beer''' (7 avril 1858 - 29 avril 1927) est une journaliste britannique d'origine indienne, devenue célèbre en tant que propriétaire et rédactrice en chef de The Observer et du Sunday Times, faisant d'elle la première femme à diriger un journal britannique<ref>https://www.theguardian.com/gnmeducationcentre/2018/mar/02/rachel-beer-editor-of-the-observer-archive</ref>. Elle joue un rôle décisif dans la défense du capitaine Dreyfus<ref>http://www.jewishideasdaily.com/1115/features/the-first-lady-of-fleet-street/</ref>.
Un hommage lui est rendu en anglais dans les colonnes du Guardian : "''Rachel Beer, editor of the Observer 1891-1901. The first female editor of a national newspaper in Britain was from an Iraqi-Jewish family, born in Bombay and got her biggest scoop as part of the notorious Dreyfus affair.''"<ref>https://www.theguardian.com/gnmeducationcentre/2018/mar/02/rachel-beer-editor-of-the-observer-archive</ref>
== Origines de la First Lady de Fleet Street, hub de l'industrie journalistique britannique ==
La '''Fleet Street''' est une rue de Londres devenue célèbre pour son activité d'imprimerie et d'édition à partir du XVIe siècle et, au XXe siècle, la plupart des journaux nationaux britanniques y étaient publiés. Une grande partie de l'industrie a déménagé dans les années 1980 après que News International a installé des locaux de production moins chers à Wapping, mais certains anciens bâtiments de journaux sont classés et ont été préservés. Le terme Fleet Street reste une métonymie pour la presse nationale britannique, et les pubs de la rue, autrefois fréquentés par les journalistes, restent populaires.
Les '''Beer''' étaient une famille de banquiers du ghetto de Francfort. Au Royaume-Uni, ils étaient financiers et possédaient des journaux.
Les '''Sassoon''' ont vécu et émigré en Chine, en Angleterre, en France et dans d'autres pays. Les Sassoon étaient une vieille famille juive de Bagdad, connue sous le nom de « Rothschild de l'Orient ». Leur immense richesse, d’abord acquise en tant que négociants et commerçants d’opium, puis en tant que mécènes et collectionneurs d’art, s’étendait de Bagdad à Bombay, aujourd’hui Mumbai, jusqu’aux royal corridors de Grande-Bretagne<ref>https://www.theguardian.com/media/2020/jun/28/legacy-restored-for-rachel-beer-fleet-streets-forgotten-feminist-pioneer?CMP=share_btn_fb</ref>.
Le château de Port-Breton est le dernier château du bord de mer de la station balnéaire de Dinard sur la côte d’Émeraude. Il fut construit en 1923 pour une memmbre de la famille Sassoon : Lady Mozelle Sassoon (1872–1964).
== Affaire Dreyfus ==
Pendant qu'elle était rédactrice en chef, The Observer a obtenu l'une de ses plus grandes exclusivités. Une note manuscrite déchirée, appelée tout au long de l'affaire le bordereau, a été trouvée par une gouvernante française dans une poubelle de l'ambassade d'Allemagne à Paris. Le bordereau décrivait un secret militaire français mineur et avait manifestement été écrit par un espion de l'armée française. Le capitaine juif de l'armée française Alfred Dreyfus a été reconnu coupable du crime sans preuve fiable et emprisonné sur l'île du Diable. Le véritable coupable, le major comte Esterhazy, a été déclaré non coupable lors du procès, mais il a été déclaré inapte au service et s'est enfui à Londres.
Rachel Sassoon Beer savait qu'Esterhazy était à Londres parce que la correspondante parisienne de The Observer avait établi un contact avec lui ; elle l'a interviewé deux fois et il a avoué être le coupable : J'ai écrit le bordereau. Elle publia les interviews en septembre 1898,rapportant ses aveux et écrivant une chronique accusant l'armée française d'antisémitisme et demandant un nouveau procès pour l'innocent Dreyfus.


Malgré ces preuves, Dreyfus fut à nouveau reconnu coupable lors d'un procès ultérieur, mais à la suite d'un tollé public, il fut gracié et assigné à résidence en 1899, et finalement innocenté le 12 juillet 1906, sa commission militaire étant rétablie et promu au grade de major.
Malgré ces preuves, Dreyfus fut à nouveau reconnu coupable lors d'un procès ultérieur, mais à la suite d'un tollé public, il fut gracié et assigné à résidence en 1899, et finalement innocenté le 12 juillet 1906, sa commission militaire étant rétablie et promu au grade de major.