« Journée des Bricoles » : différence entre les versions

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Le 16 août, le ministre Necker, rapportant la décision de son prédécesseur Brienne, avait rappelé les parlements. Les États généraux étaient convoqués pour le 1er mai 1789, afin d'examiner leurs remontrances et en débattre. Des réformes s'annonçaient, redoutables pour la noblesse et le clergé, bien timides pour les gens du tiers.
Le 16 août, le ministre Necker, rapportant la décision de son prédécesseur Brienne, avait rappelé les parlements. Les États généraux étaient convoqués pour le 1er mai 1789, afin d'examiner leurs remontrances et en débattre. Des réformes s'annonçaient, redoutables pour la noblesse et le clergé, bien timides pour les gens du tiers.


Depuis quelques temps des feuilles rennaises attisent l'opinion : la ''Sentinelle du Peuple'' de [[Volney]], imprimé [[rue Saint-Georges]], puis au [[château de Maurepas]], [[rue de Fougères]], hors la ville, montent le tiers état contre la noblesse et ses privilèges et le ''Hérault de la Nation'' vise à rallier les ruraux  à la bourgeoisie patriote rennaise. Alors même que Louis XVI a adopté, le 27 décembre, le doublement du tiers et le vote par tête pour les États généraux, lors des séances du 31 décembre 1788 et du 1er janvier 1789, noblesse (951 gentilshommes) et clergé (30 évêques et abbés) refusent d'obtempérer aux injonctions royales, veulent maintenir un vote séparé des trois ordres avec influence égale dans les délibérations et refusent de délibérer sur les réclamations des 47 députés du tiers; puis ils occupent la salle de délibérations des États que le tiers déserte, ses commissaires refusant d'ailleurs de signer à la commission intermédiaire les délibérations des États. Henri de Thiard, le commandant pour le roi, prend acte de cette situation de blocage qui n'est pas pour lui déplaire, dépêche un courrier à Versailles  pour informer le roi du refus des députés du tiers de délibérer sur aucune affaire et offre, à l'[[hôtel de Blossac]] un souper à 800 parlementaires et 120 dames<ref> ''Les derniers États de Bretagne'', par Léon Le Berre (Abalor). [[L'Ouest-Éclair]] du 19 avril 1939</ref>. Une conciliation de l'évêque Bareau de Girac ayant échoué, le 7 janvier, Thiard communique un arrêt du Conseil, en date du 3, qui suspend la tenue des États, et l'arrêt ajourne la tenue au 3 février. Il impose aux membres du tiers de retourner dans leurs villes afin de recevoir de leurs commettants de nouveaux pouvoirs. De leur côté, les membres du clergé et de la noblesse, craignant pour les franchises des États et les "lois constitutionnelles de la province" qui stipulaient que les impôts et tout changement dans l'ordre public de la Bretagne dépendaient de leur consentement, et devant le refus du tiers de continuer à siéger avant renouvellement des mandats, dirent qu'ils ne siègeraient pas dans une assemblée autre que celles en vigueur. Le tiers vit là la volonté de ne jamais accepter les réformes qu'il demandait.
Depuis quelques temps des feuilles rennaises attisent l'opinion : la ''Sentinelle du Peuple'' de [[Volney]], imprimé [[rue Saint-Georges]], puis au [[château de Maurepas]], [[rue de Fougères]], hors la ville, montent le tiers état contre la noblesse et ses privilèges et le ''Hérault de la Nation'' vise à rallier les ruraux  à la bourgeoisie patriote rennaise. Alors même que Louis XVI a adopté, le 27 décembre, le doublement du tiers et le vote par tête pour les États généraux, lors des séances du 31 décembre 1788 et du 1er janvier 1789, noblesse (951 gentilshommes) et clergé (30 évêques et abbés) refusent d'obtempérer aux injonctions royales, veulent maintenir un vote séparé des trois ordres avec influence égale dans les délibérations et refusent de délibérer sur les réclamations des 47 députés du tiers; puis ils occupent la salle de délibérations des États que le tiers déserte, ses commissaires refusant d'ailleurs de signer à la commission intermédiaire les délibérations des États. Henri de Thiard, le commandant pour le roi, prend acte de cette situation de blocage qui n'est pas pour lui déplaire, dépêche un courrier à Versailles  pour informer le roi du refus des députés du tiers de délibérer sur aucune affaire et offre, à l'[[hôtel de Blossac]] un souper à 800 parlementaires et 120 dames<ref>''Les derniers États de Bretagne'', par Léon Le Berre (Abalor). [[L'Ouest-Éclair]] du 19 avril 1939</ref>. Une conciliation de l'évêque Bareau de Girac ayant échoué, le 7 janvier, Thiard communique un arrêt du Conseil, en date du 3, qui suspend la tenue des États, et l'arrêt ajourne la tenue au 3 février. Il impose aux membres du tiers de retourner dans leurs villes afin de recevoir de leurs commettants de nouveaux pouvoirs. De leur côté, les membres du clergé et de la noblesse, craignant pour les franchises des États et les "lois constitutionnelles de la province" qui stipulaient que les impôts et tout changement dans l'ordre public de la Bretagne dépendaient de leur consentement, et devant le refus du tiers de continuer à siéger avant renouvellement des mandats, dirent qu'ils ne siègeraient pas dans une assemblée autre que celles en vigueur. Le tiers vit là la volonté de ne jamais accepter les réformes qu'il demandait.


Un nouvel arrêt royal du 20 janvier vient favoriser le tiers contre la noblesse, en satisfaisant sa revendication d'un nombre de députés du tiers égal à celui des deux autres ordres réunis. Mais le tiers reste ferme sur ses revendications, poussé par les étudiants en droit qui avaient proclamé "''infâmes et traîtres à la patrie ceux des membres du tiers qui auraient la hardiesse de braver les décisions sacrées du peuple''". Ils se référaient au cahier des charges établi fin décembre par cent-cinquante députés du tiers assemblés à l'hôtel-de-ville, retenant notamment l'abolition du tirage au sort pour les milices, l'attribution d'un député par 10 000 habitants, l'extinction de la corvée, la répartition égale des impôts entre les trois ordres, l'égalité d'honneurs entre dignitaires du tiers et ceux des deux autres ordres, l'admissibilité du tiers dans les tribunaux et offices, la création d'un fonds pour le passage des troupes dans les villes, exonérant les pauvres du logement des troupes. Le parlement, venant à l'aide du clergé et de la noblesse, décréta d'ajournement à sa barre les syndics des communautés, arrêt qui opposa encore plus le peuple à la noblesse.
Un nouvel arrêt royal du 20 janvier vient favoriser le tiers contre la noblesse, en satisfaisant sa revendication d'un nombre de députés du tiers égal à celui des deux autres ordres réunis. Mais le tiers reste ferme sur ses revendications, poussé par les étudiants en droit qui avaient proclamé "''infâmes et traîtres à la patrie ceux des membres du tiers qui auraient la hardiesse de braver les décisions sacrées du peuple''". Ils se référaient au cahier des charges établi fin décembre par cent-cinquante députés du tiers assemblés à l'hôtel-de-ville, retenant notamment l'abolition du tirage au sort pour les milices, l'attribution d'un député par 10 000 habitants, l'extinction de la corvée, la répartition égale des impôts entre les trois ordres, l'égalité d'honneurs entre dignitaires du tiers et ceux des deux autres ordres, l'admissibilité du tiers dans les tribunaux et offices, la création d'un fonds pour le passage des troupes dans les villes, exonérant les pauvres du logement des troupes. Le parlement, venant à l'aide du clergé et de la noblesse, décréta d'ajournement à sa barre les syndics des communautés, arrêt qui opposa encore plus le peuple à la noblesse.


==Lundi 26 janvier 1790 : la journée des bricoles==
==Lundi 26 janvier 1789 : la journée des bricoles==


===Une manifestation "populaire" bien organisée par la noblesse===
===Une manifestation "populaire" bien organisée par la noblesse===


Les paroisses, les étudiants en droit et la municipalité protestent en faveur du tiers mais voici que la noblesse ouvre trois bureaux en ville pour recueillir des signatures contre les prétentions du tiers. De jeunes gentilshommes ont imaginé une manifestation populaire regroupant des petites gens contre le tiers, et le matin du 26 janvier, plusieurs centaines de personnes sont effectivement assemblées sur les ''champs de Montmorin'', au sud de la ville,actuelle [[Esplanade Général De Gaulle]]. Le concierge de la commission intermédiaire, bon orateur, s'y emploie à démontrer que les États faisaient vivre ici nombre de laquais, '''portefaix, porteurs d'eau et porte-chaises, ces porteurs de bricoles''' (lanière de cuir passée autour du cou pour traîner une voiture) et que le "haut tiers", en travaillant à dissoudre les États, affamait ceux qui vivaient de leur présence à Rennes. Des champs de Montmorin la multitude court au Palais, aux cris de "Vive la noblesse" où le Parlement était assemblé. Il y reçut l'orateur et une délégation qui déposa une "protestation du peuple en faveur du maintien de l'actuelle constitution" et promit d'y faire droit.  
Les paroisses, les étudiants en droit et la municipalité protestent en faveur du tiers mais voici que la noblesse ouvre trois bureaux en ville pour recueillir des signatures contre les prétentions du tiers. De jeunes gentilshommes ont imaginé une manifestation populaire regroupant des petites gens contre le tiers, et le matin du 26 janvier, plusieurs centaines de personnes sont effectivement assemblées sur les ''champs de Montmorin'', au sud de la ville, actuelle [[Esplanade Général De Gaulle]]. Le concierge de la commission intermédiaire, bon orateur, s'y emploie à démontrer que les États faisaient vivre ici nombre de laquais, '''portefaix, porteurs d'eau et porte-chaises, ces porteurs de bricoles''' (lanière de cuir passée autour du cou pour traîner une voiture) et que le "haut tiers", en travaillant à dissoudre les États, affamait ceux qui vivaient de leur présence à Rennes. Des champs de Montmorin la multitude court au Palais, aux cris de "Vive la noblesse" où le Parlement était assemblé. Il y reçut l'orateur et une délégation qui déposa une "protestation du peuple en faveur du maintien de l'actuelle constitution" et promit d'y faire droit.  


===En ville, des heurts sanglants les 26 et 27===
===En ville, des heurts sanglants les 26 et 27===


La foule, ravie, se répand en ville et des heurts ont lieu entre porte-chaises et jeunes bourgeois, déçus de la position du Parlement et qui pensent qu'il y a des valets des nobles et des membres nobles des États déguisés en laquais et porte-chaises. Des étudiants menés par [[Jean-Victor Moreau]], ("type d'étudiant perpétuel, ayant mis huit ans à conquérir la licence et qu'on voyait moins souvent à la faculté qu'au café, surnommé "général du Parlement") <ref> ''Histoire ancienne de notre université'' par B.-A. Pocquet du Haut-Jussé - Annales de Bretagne 1948. n°55-1) </ref> commencent à parcourir les rues, armés de sabres, de pistolets et, le 27, au café de l'Union, [[rue de Bertrand]], leur "p.c.", un teinturier qui avait, la veille, assisté à une réunion à l'école de droit, arrive, agitant une main ensanglantée par le coup de couteau d'un laquais et s'évanouit après avoir demandé que l'on protège sa famille si on l'assassine.
La foule, ravie, se répand en ville et des heurts ont lieu entre porte-chaises et jeunes bourgeois, déçus de la position du Parlement et qui pensent qu'il y a des valets des nobles et des membres nobles des États déguisés en laquais et porte-chaises. Des étudiants menés par [[Jean-Victor Moreau]], ("type d'étudiant perpétuel, ayant mis huit ans à conquérir la licence et qu'on voyait moins souvent à la faculté qu'au café, surnommé "général du Parlement") <ref>''Histoire ancienne de notre université'' par B.-A. Pocquet du Haut-Jussé - Annales de Bretagne 1948. n°55-1) </ref> commencent à parcourir les rues, armés de sabres, de pistolets et, le 27, au café de l'Union, [[rue de Bertrand]], leur "p.c.", un teinturier qui avait, la veille, assisté à une réunion à l'école de droit, arrive, agitant une main ensanglantée par le coup de couteau d'un laquais et s'évanouit après avoir demandé que l'on protège sa famille si on l'assassine.


Éconduits par M. de Thiard, commandant de la province, auquel ils étaient venus se plaindre, les étudiants, aile marchante de la contestation des bourgeois "patriotes", se rendent au Parlement et demandent des poursuites contre l'agresseur et qu'on leur livre le concierge orateur de la veille mais n'obtiennent pas de réponse claire. Aussi se retournent-ils contre la noblesse qui siège tout près, au couvent des Cordeliers, et cognent aux portes du couvent. Celles-ci s'ouvrent pour une décharge de coups de pistolets sur les groupes et une mêlée commence entre nobles armés de fusils doubles et les jeunes gens munis d'épées ou de pistolets et se répand sur la place du Palais. Deux jeunes nobles sont tués, MM.de Saint-Riveul et de Boishüe, "premières gouttes de sang versé par la Révolution" écrira François-René de Chateaubriand, présent, qui donnera une autre version des faits.
Éconduits par M. de Thiard, commandant de la province, auquel ils étaient venus se plaindre, les étudiants, aile marchante de la contestation des bourgeois "patriotes", se rendent au Parlement et demandent des poursuites contre l'agresseur et qu'on leur livre le concierge orateur de la veille mais n'obtiennent pas de réponse claire. Aussi se retournent-ils contre la noblesse qui siège tout près, au couvent des Cordeliers, et cognent aux portes du couvent. Celles-ci s'ouvrent pour une décharge de coups de pistolets sur les groupes et une mêlée commence entre nobles armés de fusils doubles et les jeunes gens munis d'épées ou de pistolets et se répand sur la place du Palais. Deux jeunes nobles sont tués, MM.de Saint-Riveul et de Boishüe, "premières gouttes de sang versé par la Révolution" écrira François-René de Chateaubriand, présent, qui donnera une autre version des faits.
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== Références==
== Références==
<references/>
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* ''Rennes Moderne'' par A. Marteville, T. 3.
* ''Rennes Moderne'' par A. Marteville, T. 3.
* ''Histoire de Bretagne'' par E. Durtelle de Saint-Sauveur, T. 2 - Plihon. 1936.
* ''Histoire de Bretagne'' par E. Durtelle de Saint-Sauveur, T. 2 - Plihon. 1936.