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Rennes pendant la guerre de 1870
une ville de garnison d'abord enthousiaste
En 1870, Rennes est une importante ville de garnison avec cinq casernes (Arsenal, Colombier, Kergus, Bon-Pasteur, Saint-Georges) l'école d'artillerie et l'hôpital militaire. Les 7e et 10e régiments d'artillerie montée et le 5e bataillon de chasseurs à pied y sont installés. Les officiers et leurs familles, pour la plupart aristocrates, ont rang dans la vie de la cité.
La guerre est déclarée le 19 juillet 1870 et, le 22, le 5e bataillon de chasseurs à pied quitte, à 10 heures, le Palais Saint-Georges, son quartier, en équipements de guerre, feuillages aux fusils et bouquets à la main pour les officiers, offerts par les habitants au long d'un parcours en centre-ville: rue Victor-Hugo (rue Louis Philippe), rue Nationale (rue Impériale), rue d'Estrées. La troupe formée en carré devant l'hôtel-de-ville, le commandant leva son épée et cria : "Vive la France !", cri répété par les soldats et par la foule qui ajouta :"Vive les chasseurs !". Le commandant ayant salué et répondu :"Vive la ville de Rennes !" les acclamations reprirent pendant que le bataillon se remettait en marche, au son de la fanfare jouant la Marseillaise, pour se diriger vers la gare par la rue de Rohan, la rue de Nemours, le boulevard de la Liberté (les boulevards du Prince impérial et de l'Impératrice). Du 19 juillet au 2 septembre, date de la défaite de Sedan, 687 jeunes Rennais se sont engagés.
Le cardinal Godefroy Brossays Saint-Marc prescrit, dès le 11 août, des prières publiques "pour le triomphe de la France et des braves qui la défendent" et remplace le Te Deum du 15 août par des prières pour l'empereur. La situation de guerre n'empêche pas la tenue des élections municipales remportées par la liste conservatrice et M. Armand de la Guistière deviendra maire.; Edgar Le Bastard, candidat battu, est condamné à 10 jours de prison et 500 F. d'amende, arrêté place de la Mairie pour avoir crié "A bas l'"empereur !".
Les 3000 gardes mobiles (les hommes de 20 à 30 ans qui n'ont pas été tirés au sort pour le service militaire de 7 ans) sont assemblés et logés, outre la caserne Saint-Georges, au lycée, au grand séminaire, au collège Saint-Vincent, au collège Saint-Martin, et chez l'habitant. Ils s'exercent, deux fois par jour, sur la place en haut du contour de la Motte et sur le Champ de Mars. Vers le 20, arrivent les premières nouvelles de soldats prisonniers des Prussiens et les premiers blessés : 225, dont 60 restent à Rennes, et l'on apprend que le 5e bataillon de chasseurs, engagé à Borny, a eu des tués sans en connaître le nombre.
La capitulation à Sedan, le 2 septembre, et la chute de l'Empire, le 4, s'effacent un peu devant le départ du 4e bataillon de la garde mobile, le 6 septembre, dans un train de 35 voitures. L'humeur était encore à l'optimisme et l'on entendait à la gare "les voyageurs pour Berlin, en voiture!" Acclamés par les Parisiens, les gardes vont défiler, une hermine d'ivoire au képi pour affirmer leur identité bretonne. Ils résisteront à l'assaut des Prussiens à Châtillon et à Clamart le 17 septembre. Du 2 septembre à février 1871, mois du traité de paix, 678 autres Rennais se sont aussi engagés. Ne restent à Rennes que les artilleurs qui s'entraînent au polygone. Une batterie part le 7 octobre du grand séminaire en un grand défilé en ville pour la gare où les artilleurs croisent un groupe d'une cinquantaine de volontaires français venus des États-Unis, arborant un drapeau américain et un drapeau français, qui seront fêtés à l'hôtel-de-ville.
Les hommes de la garde nationale sédentaire (âgés de 30 à 50 ans) reçoivent des vieux fusils à canon lisse, à raison de 95 par compagnie et avaient, dès le 9 août, été rassemblés sur le Champ de Mars. Beaucoup répugnent ensuite à se rendre à l'exercice.
Le préfet Ange Blaize[1]dissout le conseil municipal et constitue une municipalité de 32 notables qui élisent maire Edgar Le Bastard. Le boulevard de l'Impératrice et celui du Prince impérial deviennent le boulevard de la Liberté et l' avenue Napoléon III boulevard de la Tour d'Auvergne.
la mobilisation générale et l'inquiétude
Le 29 septembre, c'est la mobilisation générale avec la création d'une garde nationale mobilisée touchant les hommes de 20 à 40 ans et, le 6 novembre, le 1er bataillon rennais part pour le camp de Conlie , dans la Sarthe, où se forme, sous les ordres du général Emile de Kératry, l'armée de Bretagne avec un armement hétéroclite, beaucoup de gardes n'ayant pas le moderne chassepot, et les autres partent le 22 novembre. Des lettres, presque toutes anonymes, dénoncèrent 397 individus non mobilisés mais, après enquêtes, dix seulement furent considérés en situation irrégulière. Quant à la nouvelle garde sédentaire des hommes de 40 à 50 ans, elle est rassemblée les dimanches boulevard de la Tour d'Auvergne et, après l'appel, part s'entraîner au polygone. La classe 1870 est appelée et le tirage au sort est devenu symbolique, les conscrits pris pour 7 ans ne pouvant plus se faire remplacer que par des militaires libérés et âgés de plus de 45 ans; même les hommes de taille inférieure à la limite légale de 1,55 m sont mobilisés s'ils ont une forte constitution (le conscrit d'Ille-et-Vilaine est alors, en moyenne, le plus petit de France).
Quelques conscrits, des républicains extrémistes, arborent le 5 septembre un drapeau rouge et des cocardes de même couleur, répartis en deux groupes place de la Mairie, mais la population les entoure "avec une énergique indignation", déchirant leur drapeau et ils sont mis sous la protection d'agents qui les arrêtent. Ces incidents "fâcheux" sont blâmés tant par le Journal de Rennes que par le Journal d'Ille-et-Vilaine.[2]Les blessés arrivent nombreux et quatre ambulances sédentaires sont créées ici et là avec 330 lits. Les journaux détaillent aussi l'arrivée de prisonniers allemands, surtout en octobre, conduits à la prison militaire Saint-Hélier.
Des hommes enrôlés dans des milices privées, les francs tireurs, enrôlés par M. Domalain, lieutenant de vaisseau, dûment autorisé par les ministres de la Guerre et de la Marine, sont basés au grand séminaire, place Hoche; ils appartiennent à la Légion des Volontaires de l'ouest, souvent anciens zouaves pontificaux, reconnus et armés par l'armée. L'enrôlement à la mairie de Rennes lui donne un aspect officiel. La Ville lance deux emprunts, l'un de 300 000 F., l'autre de 200 000 F. pour les dépenses de la garde nationale mobilisée.[3]
La presse atténue les revers mais l'avancée prussienne inquiète. Les journaux rennais publient des conseils d'anciens militaires aux troupes inexpérimentées. L'un d'eux suggère de construire "une immense tranchée faite tout autour de la ville à 5 kilomètres [qui] pourrait d'abord arrêter la marche des envahisseurs. Les gardes nationaux, sous bois, fossés, haies, pourraient à couvert tirer sur l'ennemi, s'il essayait de combler des tranchées ou d'y poser des ponts". Le 2 décembre, le 4e bataillon de la garde mobile rennaise a perdu 150 hommes du côté de Champigny.
débâcle et armistice
Une grande confusion s'instaure à Rennes avec l'arrivée, le 20 décembre, de plusieurs milliers d'hommes en haillons, certains sans armes, en provenance de Conlie. Certains bataillons campent sur le Champ de Mars, sous la pluie et dans la boue, d'autres à la halle aux blés, au palais du Parlement, au théâtre.
Un des ballons ayant quitté Paris assiégé survole Rennes et atterrit dans le Morbihan. Les ballons apportent des journaux de Paris dont les informations sont reprises dans les journaux rennais. Le 13 janvier 1871, le département d'Ille-et-Vilaine est déclaré en état de guerre. L'occupation de Rennes par les Prussiens en 1815, les vieux Rennais s'en souviennent, va-t-on revivre pareil épisode ? Le 17, après une période de grand froid, une débâcle provoque, vers 4 heures du matin, une crue de la Vilaine, et des bateaux-lavoirs ont coulé, leur coque crevée par des glaçons. Un plan de défense de Rennes est établi. Le Journal d'Ille-et-Vilaine du 20 janvier fait état du recul de l'armée de Chanzy dans la Sarthe et indique que "nos soldats ont vaillamment combattu et, à l'exception des mobiles de la Bretagne..."; il sera précisé qu'il s'agissait des mobilisés d'Ille-et-Vilaine : émotion... Des blessés de plus en plus nombreux arrivent à Rennes mais le maire, Théophile Bidard, proteste contre la réquisition de l'école de la rue d'Échange, fréquentée par 500 enfants, pour y installer des soldats blessés et des malades de la variole, arguant d'autres lieux disponibles et des difficultés de la désinfection ultérieure.
Un armistice de 21 jours ayant été proclamé le 30 janvier, de nombreux soldats débandés arrivent à Rennes, par petits groupes, avec leurs armes et sollicitent le gîte chez les particuliers plutôt que de s'adresser à la garnison ou à la mairie et le maire fait paraître un avis demandant aux Rennais de ne plus recevoir ces soldats. Une double explosion intervient dans l'atelier de capsulerie des poudres de la maison centrale, à l'époque éloignée des habitations.
Trois mois plus tard, le maire fait paraître un nouvel avis :
"par suite de passage à Rennes, dans les derniers temps, d'un grand nombre de corps de troupes et de convois de toute sorte, il peut exister chez les habitants des objets (voitures, armes, munitions, meubles, bestiaux, chevaux, etc) provenant soit de l'armée, soit de particuliers, en préjudice desquels ils auraient été détournés..."
et il demande aux détenteurs de les déclarer à la mairie, faute de quoi la loi sévirait.
Le 8 février a lieu le vote pour l'élection d'une Assemblée nationale. Théophile Bidard, ancien maire, Arthur Le Moyne de la Borderie, sont dans une liste d'union élue avec une forte avance sur les candidats républicains, dont le maire Edgar Le Bastard. La fin des combats a fait un peu oublier les blessés, et le comité central de secours aux blessés militaires fait appel "aux dames de la ville pour apporter leur concours" et sollicite des dons de vin et de bois de chauffage. Le 12 février à 22 heures, arrive de Paris en gare de Rennes un premier train de voyageurs qui déclarent que le calme règne dans la capitale. La révolte parisienne et la Commune[5] sont pour bientôt.[6]
Lors de l'invasion de l'armée prussienne en 1871, Mgr Brossay Saint-Marc décida d'offrir un cierge à Notre-Dame de Bonne Nouvelle tous les 8 septembre si la ville était épargnée. Cette tradition s'est perpétuée.
références
- ↑ Voir rue Ange Blaise
- ↑ La fin du second Empire vue de Rennes , par Charles-Antoine Cardot. Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne t. L - 1970
- ↑ Histoire de Rennes sous la direction de Jean Meyer. Privat,éd. -1972
- ↑ photo dans la revue La Bretagne n°154 - novembre 1937
- ↑ Lire Commune de Paris (1871)
- ↑ Rennes pendant la guerre de 1870, par Claude Veillot, dans Recherches sur l'histoire de Rennes au XIXe siècle. Université du temps Libre du pays de Rennes; UTLTA de Bretagne, vol. 13 -2003