Bombardements des 9 et 12 juin 1944


Le cadre stratégique des deux bombardements

Les deux bombardements de juin sur Rennes ont été décidés pour répondre à des buts stratégiques exposés postérieurement, au commandement suprême allié, en novembre 1944, par l'Air Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory, commandant en chef de la force expéditionnaire aérienne alliée :

" A J+1, je décidai donc une série d'attaques contre les carrefours ferroviaires situés dans la zone tactique afin d'établir ainsi une ligne au-delà de laquelle les mouvements ennemis par fer ne pourraient se faire vers la zone de bataille. Le bomber command de la RAF attaque Rennes, Alençon, Fougères, Mayenne. A l'intérieur de la zone tactique ainsi définie, les bombardiers alliés avaient causé de telles destructions au bout de trois jours que tous les déplacement par fer ou par les grandes routes avaient été pratiquement interrompus de jour. L'ennemi dut se déplacer surtout de nuit et par des routes secondaires. Le groupe n°2 de la seconde force aérienne tactique de la RAF, dont les équipages avaient été spécialement entraînés au harcèlement de nuit, utilisa des bombardiers légers et moyens, fréquemment par de très mauvaises conditions atmosphériques, avec des succès marquants contre ce mouvement." Mais il concède que "la persistance du mauvais temps contrecarra considérablement les opérations aériennes ainsi que la grande énergie et l'ingéniosité de l'ennemi à réparer les coupures de rail malgré la nécessité pour lui de se déplacer principalement de nuit." Puis il remarque qu'on s'attendait à ce que ses forces en Bretagne se déplaceraient par la route. [1]. De fait, un groupe de combat de la 265e division d'infanterie allemande, en garnison près de Quimper, mis en mouvement par train le 10 juin pour gagner le front, ne put atteindre, en raison des coupures de voie, Rennes que six jours plus tard : il lui avait fallu une semaine pour un trajet de moins de 160 km par voie ferrée et il dut poursuivre le trajet par route. [2]

Dès le mercredi 7 juin, lendemain du débarquement en Normandie, sept alertes furent dénombrées à Rennes par une Rennaise et des bombes tombèrent sans précision connue de leurs points de chute. [3] Le journal du 8 ne fit même pas mention de ce bombardement. Des B-26 du 397e groupe de bombardement avaient bien reçu la mission de bombarder la gare de triage de Rennes afin d'interdire à la 17e division allemande de panzers de remonter vers le nord en direction de la tête de pont des alliés, mais le rapport fit état de l'insuccès de la mission en raison du mauvais temps alors que les résultats furent bons pour un bombardement à l'ouest de Vire et sur un embouteillage de véhicules près de Saint-Lô. Il est aussi étrange de lire les souvenirs rapportés d'un navigateur sur bombardier moyen du 556e squadron du 387e groupe de bombardement qui estima que "celle ( mission) qui se détache vraiment fut le raid sur Rennes en juin suivant l'invasion. Nous laissâmes la gare de triage en flammes rouge vif et je me rappelle avoir ensuite parlé à Carl Cooper, le bombardier de tête, et combien ce fut un bombardement extrêmement bref avec une Flak intense. Carl avait utilisé le Norden sight *[4] [5]. On lit aussi que ce squadron ayant reçu mission de bombarder une route sur pont à Rennes eut un résultat considéré de passable à bon, la sous-estimation de la position de la cible ayant amené les bombardiers à choisir des cibles fortuites. [6] Des B-17 lâchèrent 30 bombes sur le terrain d'aviation de Saint-Jacques et 18 sur Bruz.[7]

Devant l'insuccès de l'essai américain, les Britanniques allaient prendre le relai dès le lendemain soir.

Nuit du 8 au 9 juin, les appareils britanniques sur Rennes

Dans la nuit du jeudi au vendredi 9 juin 1944, après plusieurs alertes, des bombardiers en haute altitude lâchent les bombes, vers deux heures du matin, pendant près de trente minutes, sur les ateliers de la gare, la rue Saint-Hélier, la rue Dupont-des-Loges, la rue Duhamel, l'avenue Janvier, leboulevard de la Liberté, la rue du Vieux-Cours, la place du Vau Saint-Germain, endommageant l'église, et même sur la rue d'Echange et la rue de Dinan. " Dans la nuit, le spectacle est absolument dantesque. On a l'impression que toute l'avenue Janvier et la rue Saint-Hélier sont en flammes, comme toutes les maisons encadrant l'église Saint-Germain." [8]

286 Lancaster, 169 Halifax accompagnés de 28 Mosquito "attaquent les voies ferrées à six endroits pour empêcher les renforts allemands d'atteindre la Normandie. Le groupe n°5 attaqua la gare de Rennes avec succès". Les rapports de mission font état de bombardement bien concentré avec succès, la cible balisée par les marqueurs, des feux rouge, vert et jaune lâchés de 10 000 mètres. Le plafond nuageux étant assez bas (2000 mètres), les équipages devaient passer en dessous de la couche nuageuse pour voir la cible mais sont visés par 4 canons de Flak lourds et 15 légers. [9] Des bombes de 500 kg et 225 kg sont lâchées par les Avro Lancaster de la Royal Air Force. [10]. L'aviation britannique perd un Lancaster à l'atterrissage au retour et un Mosquito éclaireur [11] mais la chasse allemande perd une dizaine d'appareils.

On peut s'étonner de ce satisfecit quand on constate, au sol, les dégâts collatéraux jusqu'à 800 mètres de l'axe de la cible. Les raisons peuvent en être trouvées du fait que les formations comportaient sept à douze appareils volant de front, couvrant au sol une bande de 500 à 800 mètres et aussi du fait que, si les premiers lâchers étaient bien marqués, la fumée des impacts obscurcissait complètement l'objectif aux appareils suivants[12]. On relève aussi avec étonnement le rapport du 397e groupe de bombardement américain qui fait état, à la date du 8 juin, de B-26 "envoyés contre un pont de chemin de fer à Rennes mais furent contraints d'atteindre des cibles de rencontre (targets of opportunity) avec des résultats de corrects à excellents."[13] L'Ouest-Eclair du 10/11 juin titre : "Un raid terroriste de l'aviation anglo-américaine sur la population civile de Rennes. Une centaine de victimes ont été retirées des décombres. Des quartiers entiers sont anéantis par les engins explosifs et les bombes incendiaires". L'article fait état de la difficulté pour les pompiers d' éteindre les incendies provoqués par les bombes incendiaires, des conduites d'eau étant crevées, et de celles éprouvées par les sauveteurs en raison des bombes à retardement. Le 12, le journal annonce : "Après le raid terroriste de l'aviation anglo-américaine des centaines de maisons d'habitation ont été écrasées par les bombes ou ravagées par l'incendie. On compte plusieurs milliers de sinistrés."

La préfecture communique qu'en raison des circonstances, les obsèques des victimes seront célébrées sans aucune cérémonie officielle. Dans la vieille chapelle désaffectée du Cercle Paul-Bert, rue de Paris, transformée en chapelle ardente, on aligne les cercueils sous d'immenses tentures tricolores et le quotidien publie une première liste de 56 victimes. La brève cérémonie a lieu sous une nouvelle alerte. Devant les familles des victimes placées le long des murs latéraux à la tête des cercueils, Mgr Roques donne l'absoute, en présence des autorités civiles et les cercueils sont transportés vers les deux cimetières de la ville. "La population fuit Rennes par toutes les routes", relate le quotidien qui indique que "durant toute la journée d'hier, les sauveteurs, bravant le danger des bombes à retardement, ont lutté contre le feu et poursuivi les travaux de déblaiement".

Le 12 juin, au tour des forteresses volantes américaines

Mais le 12 juin, ce sont des forteresses volantes américaines B-17 et B-24 Liberators des 8e et 9e USAF qui sont sur Rennes. Un B-24 du 448e bomber group, 712th squadron, est abattu et tombe à Bonnemain (La Boulaie) et quatre autres endommagés par des Messerschmitt du II/JG 53. Un autre B-24 est abattu par les canons de 88mm de la Flak de la Belle-Epine, au nord de Vezin et s'écrase à Langan, près de Romillé. Des membres d'équipage seront hébergés et soignés à La Mézière.[14] Mais Rennes est encore bien touchée et principalement à des endroits éloignés de la gare er du triage.

Le 12 juin, la gare de triage ne semble pas avoir été la cible principale, même si le quartier Saint-Hélier fut à nouveau touché. [15]. Et le fait que la gare a pu être touchée, fait qui n'est pas une nouveauté si on pense au 9 juin, n'est même pas mentionné dans le journal du 13 qui relate que la veille, peu avant 13 heures, un nouveau bombardement a atteint le pavillon des tuberculeux et des baraquements de l'hôpital de Pontchaillou abritant des vieillards et des impotents, le couvent de l'Adoration, et la rue d'Antrain, "tellement éloignés de tout objectif militaire que nombreux se trouvaient les Rennais qui s'y étaient réfugiés", allongeant la liste des victimes civiles, annonce le journal qui ne fait pas mention de la gare. Et, à nouveau, le 15 juin à 10 heures, familles, autorités religieuses et civiles se retrouvent à l'ancienne chapelle du cercle Paul-Bert et un nouveau convoi de 74 cercueils gagna le cimetière de l'est.

Concernant la "péninsule de Brest", comme est nommée alors la Bretagne par les Américains, le rapport signale, pour ce jour au titre des opérations tactiques, "16 champs d'aviation et 6 ponts de chemin de fer atteints dans les secteurs de Rennes et de Saint-Nazaire" par des B-17 et des B-24[16]. Au nombre de ces ponts devait figurer celui qui enjambe la voie ferrée Rennes - Saint-Malo pour l'entrée à Pontchaillou !

Au total, ces deux bombardements auront fait 122 morts et causé d'énormes destructions. Le 21 juin, le maire de Rennes écrit aux artisans des environs pour leur demander de faire des cercueils de bois blanc, car les cercueils étant "réquisitionnés par l'armée d'occupation, la ville de Rennes est obligée d'enterrer ses morts (et particulièrement les victimes des bombardements, à même la terre, dans une fosse commune!"

Le Feldkommandant fait la leçon aux Rennais

L'Ouest-Eclair du 17-18 juin publie, dans un grand encadré, Un appel aux Français du Feldkommandant de Rennes. Après avoir estimé que les destructions ont fait comprendre aux Rennais ce qu'ils peuvent espérer de leurs "libérateurs" et admis que l'épouvante en voyant les morts et les mutilés a pu leur faire perdre la tête, il observe que les routes et les campagnes sont aussi bombardées et mitraillées et que la vie économique leur commande de regagner la ville et leur travail, ne serait-ce que pour aider les courageux qui n'ont pas quitté leur poste, faute de quoi ils auraient honte plus tard de n'avoir pas fait leur devoir. Et d'évoquer la possibilité de mettre à disposition de sinistrés ou de ceux qui se dévouent les propriétés et biens "lâchement abandonnés".

Le préfet, de son côté, lance des appels aux fonctionnaires pour qu'ils regagnent leur poste et promet une prime à ceux qui ne l'ont pas quitté et le maire exhorte aussi les agents municipaux à regagner leur poste.

Références

  1. Opérations aériennes de la force aérienne expéditionnaire alliée en Europe du nord-ouest du 15 novembre 1943 au 30 septembre 1944 -Supplément à The London Gazette du mardi 31 décembre 1946 n°37838 - jeudi 2 janvier 1947.
  2. Hyper war Army Air Forces in world war II volume III Europe - General of railroad troops -sit.reprts 14-24 juin 1944- journal et cartes de situation du groupe d'armée B
  3. Les Heures douloureuses de Rennes, par V. Ladam - imp. Les Nouvelles
  4. note : appareil de calcul de précision des divers paramètres : altitude, vent position par rapport à la cible, permettant un largage automatique optimal
  5. a chronology of the 387th bombardment group (medium)
  6. mission n°44 du 8 juin 1944 du 596th squadron(M) du 397th bombardment group (M).
  7. Combat chronology of the U.S.A.A.F.- 8th Air Force.Thursday, 8 June. Strategic operations - mission 400
  8. Mémoires d'un Français moyen par René Patay - 1974
  9. 627th squadron mission report
  10. rapports de mission des squadrons de la RAF 50, 463, 467
  11. daily 627th squadron
  12. Une entreprise publique dans la guerre, la SNCF 1939-1945 par Yves Machefert-Tassin - actes du colloque de l'AHICF des 21 et 22 juin 2000 - 2001.
  13. historical report of headquarters detachment 397th bombardment group (M)
  14. http://www.lepetitrapporteur.fr/articles_archives_article.php3?id=10182
  15. Les Heures douloureuses de Rennes, par V. Ladam
  16. 8 th Air Force combat chronology Monday June 12.

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