« Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°16 » : différence entre les versions

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== Vezin-le-Coquet'' vit à l’heure américaine.'' ==
== Vezin-le-Coquet'' vit à l’heure américaine.'' ==


'''''Ravitaillement en eau potable'''''


Toute cette armée de libérateurs a besoin d'eau potable, énormément d'eau ! Sur indication de la mairie les Américains installent et organisent une station de pompage à proximité d’une source dont le débit permet de remplir des camions-citernes,  des tonnes remorquées par des camions 4X4 ou 6X6. C'est un va-et-vient continu de véhicules devant notre fenêtre souvent ouverte en cette période du mois d’août 1944.
Toute cette armée de libérateurs a besoin d'eau potable, énormément d'eau ! Sur indication de la mairie les Américains installent et organisent une station de pompage à proximité d’une source dont le débit permet de remplir des camions-citernes,  des tonnes remorquées par des camions 4X4 ou 6X6. C'est un va-et-vient continu de véhicules devant notre fenêtre souvent ouverte en cette période du mois d’août 1944.
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A l’occasion d’un de ses passages le soldat m’invite à l’accompagner jusqu’au point d’eau. C’est mon premier voyage en camion militaire. Je découvre alors où et comment s’effectue le ravitaillement. Enfant du pays, tout au moins d’adoption, je connais bien ces lieux. Nous sommes à proximité de la Motte, la baignade des Vezinois. A cet endroit, passe la rivière la Flume, c’est un immense chantier. Là où, quelques jours plus tôt, coulait un ruisseau isolé dans une nature paisible, se tient à présent une véritable usine de mise en citerne de l’eau. Une quantité impressionnante de jerricans alignés sur plusieurs niveaux attendent d’être emportés ou remplis. Des tonnes qui sont des citernes de mille litres, de gros camions-citernes, de très grosses remorques-citernes tractées, sont également en attente de chargement ou quittent le chantier. Une grande activité règne en ces lieux où le matériel ne manque pas.
A l’occasion d’un de ses passages le soldat m’invite à l’accompagner jusqu’au point d’eau. C’est mon premier voyage en camion militaire. Je découvre alors où et comment s’effectue le ravitaillement. Enfant du pays, tout au moins d’adoption, je connais bien ces lieux. Nous sommes à proximité de la Motte, la baignade des Vezinois. A cet endroit, passe la rivière la Flume, c’est un immense chantier. Là où, quelques jours plus tôt, coulait un ruisseau isolé dans une nature paisible, se tient à présent une véritable usine de mise en citerne de l’eau. Une quantité impressionnante de jerricans alignés sur plusieurs niveaux attendent d’être emportés ou remplis. Des tonnes qui sont des citernes de mille litres, de gros camions-citernes, de très grosses remorques-citernes tractées, sont également en attente de chargement ou quittent le chantier. Une grande activité règne en ces lieux où le matériel ne manque pas.


Cette activité s’évanouira bientôt, hélas, avec toutes celles d’ailleurs nées de la présence des troupes américaines. Les animations, les divertissements qu’elles auront induits resteront gravés dans ma mémoire. Le prochain départ de nos amis n’effacera jamais mes beaux souvenirs. Ce départ sera assurément la cause, sur l’instant, d’une bien grande tristesse. Je ne serai pas le seul à être triste parmi les enfants. Des adultes auront aussi leur petit lot de pincements au cœur. Mais pour l’instant, ils sont encore bien là et je ne songe même pas qu’ils puissent un jour nous quitter.
Cette activité s’évanouira bientôt, hélas, avec toutes celles d’ailleurs nées de la présence des troupes américaines. Les animations, les divertissements qu’elles auront induits resteront gravés dans ma mémoire. Le prochain départ de nos amis n’effacera jamais mes beaux souvenirs. Ce départ sera assurément la cause, sur l’instant, d’une bien grande tristesse. Je ne serai pas le seul à être triste parmi les enfants. Des adultes auront aussi leur petit lot de pincements au cœur. Mais pour l’instant, ils sont encore bien là et je ne songe même pas qu’ils puissent un jour nous quitter.


'''''Un cantonnement de soldats noirs américains'''''


Un matin d’un autre jour, avant de se rendre au travail à Pi-Park ''(le nom éponyme de  Pi-Park est resté même du temps des Américains)'' mon père dit à ma mère ''« Tu n’oublieras pas de prendre la remorque chez Letort et d’aller chercher des caisses que j'ai préparées là bas »''. Cette recommandation faite à ma mère n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Sans mot dire, un après-midi, je sors de la maison, je me rends chez Letort. Je demande à Pierrot la remorque. Il m’interroge sur l’objet de son utilisation, il veut s’assurer que ma mère est au courant. Je lui réponds, le regard empli de vérité ''« bien sûr qu’elle est au courant »''. Il hésite un peu mais devant mon insistance et mon assurance, il m’accorde le bénéfice du doute. Je me saisis de la remorque et je la roule en direction de Montigné. La remorque est facile à conduire, même pour un enfant de mon gabarit. Je n’ai pas exactement compris où se trouvaient ces caisses, je m'arrête alors devant un pré garni de soldats sur le côté gauche de la route à proximité de la ferme Anger. Je suis persuadé toutefois que mes caisses m’attendent à cet endroit. C’est un cantonnement de soldats noirs américains. Je pousse ma remorque, je franchis l’entrée, quand une sentinelle qui se trouvait en retrait arrive et me signifie par gestes de m’en retourner. Je ne veux pas partir ''« mon père a dit qu'il y avait des caisses à prendre»'' , lui dis-je. Il me fait encore signe de m'en aller. Je ne veux pas. Il saisit alors ma remorque et, avec elle, il me dirige gentiment mais fermement en dehors du campement.  
Un matin d’un autre jour, avant de se rendre au travail à Pi-Park ''(le nom éponyme de  Pi-Park est resté même du temps des Américains)'' mon père dit à ma mère ''« Tu n’oublieras pas de prendre la remorque chez Letort et d’aller chercher des caisses que j'ai préparées là bas »''. Cette recommandation faite à ma mère n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Sans mot dire, un après-midi, je sors de la maison, je me rends chez Letort. Je demande à Pierrot la remorque. Il m’interroge sur l’objet de son utilisation, il veut s’assurer que ma mère est au courant. Je lui réponds, le regard empli de vérité ''« bien sûr qu’elle est au courant »''. Il hésite un peu mais devant mon insistance et mon assurance, il m’accorde le bénéfice du doute. Je me saisis de la remorque et je la roule en direction de Montigné. La remorque est facile à conduire, même pour un enfant de mon gabarit. Je n’ai pas exactement compris où se trouvaient ces caisses, je m'arrête alors devant un pré garni de soldats sur le côté gauche de la route à proximité de la ferme Anger. Je suis persuadé toutefois que mes caisses m’attendent à cet endroit. C’est un cantonnement de soldats noirs américains. Je pousse ma remorque, je franchis l’entrée, quand une sentinelle qui se trouvait en retrait arrive et me signifie par gestes de m’en retourner. Je ne veux pas partir ''« mon père a dit qu'il y avait des caisses à prendre»'' , lui dis-je. Il me fait encore signe de m'en aller. Je ne veux pas. Il saisit alors ma remorque et, avec elle, il me dirige gentiment mais fermement en dehors du campement.  
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Je reviens à la maison frustré, sans caisses et après avoir rendu la remorque chez Letort. Inutile de rappeler que je me suis fais tirer les oreilles par mon père. Ma mère s’est aussi fait enguirlander pour m'avoir laissé sans surveillance. Que pouvait-elle faire, ma pauvre maman, contre mes initiatives imprévisibles, téméraires et répétées ?
Je reviens à la maison frustré, sans caisses et après avoir rendu la remorque chez Letort. Inutile de rappeler que je me suis fais tirer les oreilles par mon père. Ma mère s’est aussi fait enguirlander pour m'avoir laissé sans surveillance. Que pouvait-elle faire, ma pauvre maman, contre mes initiatives imprévisibles, téméraires et répétées ?
'''''Une drôle de maison à Vezin le Coquet'''''


Cette fois-ci l’événement se passe la nuit. Des coup violents sont donnés contre le volet de la fenêtre de la maison, côté rue, comme toujours. Toute la maisonnée est réveillée. Que se passe t-il ? Mon père ouvre la fenêtre sans déverrouiller les contrevents. ''Qui est là ? Que voulez vous ?'' Nous entendons alors une voix qui réclame. ''« madmoisel !... madmoisel !.… »''  Mon père répond qu’il n’y a pas de mademoiselle ici, il n'y a que des enfants,'' partez !''. Les coups sur le volet redoublent ''«  madmoisel !... madmoisel !.. »''. Ma sœur aînée a vraiment peur et pleurniche. On comprend bien à l'accent, qu'il s'agit d’un soldat américain. Peut-être est-il ivre, peut-être sont-ils plusieurs. Après de longues minutes d'insistance avec échanges de propos fermes et réduits dans leur contenu, les coups cessent et le silence revient. Enfin rassurés, tous, nous nous glissons sous la couette et je m’endors.  
Cette fois-ci l’événement se passe la nuit. Des coup violents sont donnés contre le volet de la fenêtre de la maison, côté rue, comme toujours. Toute la maisonnée est réveillée. Que se passe t-il ? Mon père ouvre la fenêtre sans déverrouiller les contrevents. ''Qui est là ? Que voulez vous ?'' Nous entendons alors une voix qui réclame. ''« madmoisel !... madmoisel !.… »''  Mon père répond qu’il n’y a pas de mademoiselle ici, il n'y a que des enfants,'' partez !''. Les coups sur le volet redoublent ''«  madmoisel !... madmoisel !.. »''. Ma sœur aînée a vraiment peur et pleurniche. On comprend bien à l'accent, qu'il s'agit d’un soldat américain. Peut-être est-il ivre, peut-être sont-ils plusieurs. Après de longues minutes d'insistance avec échanges de propos fermes et réduits dans leur contenu, les coups cessent et le silence revient. Enfin rassurés, tous, nous nous glissons sous la couette et je m’endors.  


Cet événement est pour moi une péripétie de plus. Je l’interprète comme du spectacle, j’aime quand il se passe quelque chose. Précédemment il y avait des Allemands qui occupaient cette même place devant la fenêtre. Si ces derniers se sont manifestés d’une manière beaucoup plus bruyante et pour une durée plus longue, la peur ressentie par ma sœur aînée fut moindre, en comparaison de celle qu’elle a ressentie cette nuit quand l’Américain répétait sans cesse un unique mot '' madmoisel''. Ma sœur se sentait l’élément principal du sujet.
Cet événement est pour moi une péripétie de plus. Je l’interprète comme du spectacle, j’aime quand il se passe quelque chose. Précédemment il y avait des Allemands qui occupaient cette même place devant la fenêtre. Si ces derniers se sont manifestés d’une manière beaucoup plus bruyante et pour une durée plus longue, la peur ressentie par ma sœur aînée fut moindre, en comparaison de celle qu’elle a ressentie cette nuit quand l’Américain répétait sans cesse un unique mot '' madmoisel''. Ma sœur se sentait l’élément principal du sujet.
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