« Chronique vezinoise sous l'occupation/libération/Paix n° 20 » : différence entre les versions

De WikiRennes
Aller à la navigationAller à la recherche
Aucun résumé des modifications
m (relecture)
Ligne 6 : Ligne 6 :
[[Fichier:Mobiloil Gargoyle.jpg|right|200px]]
[[Fichier:Mobiloil Gargoyle.jpg|right|200px]]


Peu à peu les automobiles se comptent plus nombreuses sur nos routes, on peut maintenant les voir circuler. Les anciennes qui étaient remisées depuis le début de la guerre, souvent placées sur cales sont ressorties. A l’intérieur de l'une d’elles j’ai découvert un terrain de jeu. Je me souviens d’une voiture, qui semble très vieille, chez Letort dans un grand état de délabrement intérieur et à la carrosserie poussiéreuse. Les coussins, sans doute recouverts de cuir ou simili, sont très dépenaillés. Des trous se sont formés à travers desquels sortent des touffes de crin. L’ensemble sent la graisse, la poussière, l’humidité et le pipi de chat. Toutes ces odeurs ne me gênent pas outre mesure, elles caractérisent le lieu. Cette voiture est aussi sur cales, dans un hangar attenant à la forge. Je m’y glisse parfois dedans par temps de pluie, peut-être même avec Alphonse. Nous actionnons le levier de vitesse, tournons le volant, manipulons les boutons, tirons le starter. Ce jeu m’occupe très peu de temps, la position statique ne me convenant qu’à faible dose.
Peu à peu les automobiles se comptent plus nombreuses sur nos routes, on peut maintenant les voir circuler. Les anciennes qui étaient remisées depuis le début de la guerre, souvent placées sur cales sont ressorties. À l’intérieur de l'une d’elles j’ai découvert un terrain de jeu. Je me souviens d’une voiture, qui semble très vieille, chez Letort dans un grand état de délabrement intérieur et à la carrosserie poussiéreuse. Les coussins, sans doute recouverts de cuir ou simili, sont très dépenaillés. Des trous se sont formés à travers desquels sortent des touffes de crin. L’ensemble sent la graisse, la poussière, l’humidité et le pipi de chat. Toutes ces odeurs ne me gênent pas outre mesure, elles caractérisent le lieu. Cette voiture est aussi sur cales, dans un hangar attenant à la forge. Je m’y glisse parfois dedans par temps de pluie, peut-être même avec Alphonse. Nous actionnons le levier de vitesse, tournons le volant, manipulons les boutons, tirons le starter. Ce jeu m’occupe très peu de temps, la position statique ne me convenant qu’à faible dose.




Ligne 20 : Ligne 20 :




Monsieur Letort sort sa Citroën trèfle pour une petite promenade d’essai. Encore un événement qu’il ne faut pas manquer. Et qui donc invite t-on à occuper la place, dans la pointe arrière de la voiture, sur le siège escamotable ?... ''Tu montes avec nous Bébert !?…''me demande pour la forme monsieur Letort avec un grand sourire malicieux. En vérité il est inutile de me demander mon avis, je suis toujours prêt pour l’aventure. N'empêche que j'ai beaucoup de chance d'être encore une fois là où ça bouge. Vous me direz, bien sûr que je n'ai pas beaucoup de mérite à y être, puisque la maréchalerie, c’est ma permanence, c’est un peu comme la concierge qui indique au moyen d’une pancarte placée dans sa loge, qu’elle est dans l’escalier, moi je suis à la Maréchalerie.  
Monsieur Letort sort sa Citroën trèfle pour une petite promenade d’essai. Encore un événement qu’il ne faut pas manquer. Et qui donc invite-t-on à occuper la place, dans la pointe arrière de la voiture, sur le siège escamotable ?... ''Tu montes avec nous Bébert !?…'' me demande pour la forme monsieur Letort avec un grand sourire malicieux. En vérité il est inutile de me demander mon avis, je suis toujours prêt pour l’aventure. N'empêche que j'ai beaucoup de chance d'être encore une fois là où ça bouge. Vous me direz, bien sûr que je n'ai pas beaucoup de mérite à y être, puisque la maréchalerie, c’est ma permanence, c’est un peu comme la concierge qui indique au moyen d’une pancarte placée dans sa loge, qu’elle est dans l’escalier, moi je suis à la Maréchalerie.  




Ligne 27 : Ligne 27 :
=== La paix est signée ===
=== La paix est signée ===


Un automne, puis un hiver et enfin un demi printemps s’écoulent, la guerre s’étant éloignée de chez nous se termine enfin, la paix est signée. Pour marquer l’évènement, des festivités sont organisées à Rennes comme probablement dans toutes les villes et aussi dans beaucoup de villages de France. La famille se rend dans la capitale bretonne pour assister aux cérémonies et manifestations qui s’y déroulent.  
Un automne, puis un hiver et enfin un demi printemps s’écoulent, la guerre s’étant éloignée de chez nous se termine enfin, la paix est signée. Pour marquer l’évènement, des festivités sont organisées à Rennes comme probablement dans toutes les villes et aussi dans beaucoup de villages de France. La famille se rend dans la capitale bretonne pour assister aux cérémonies et manifestations qui s’y déroulent.  


Après le [[ Mail François Mitterrand|Mail]] et sa fête foraine, nous nous rendons ''place de la Mission'' où une immense ronde faite de jeunes gens s’est formée. Elle tourne, tourne. Il y a de la gaieté dans l'air, des cris et des chants. Une grande animation joyeuse agite la ville. Nous nous dirigeons ensuite vers le [[Champ de Mars]]. En bordure du [[boulevard de la Liberté]], un détachement de soldats américains est aligné, l'arme au pied. La foule est nombreuse, elle attend et espère assister à un défilé. Les GIs patientent aussi, ''ils chewingomisent'', ils fument… ils fument abondamment et rejettent des mégots longs comme le bras. Des yeux d'adultes guettent les projections nicotianes. Quand elles sont jugées intéressantes des jambes agiles de spectateurs se précipitent pour la récupération de la clope. La fierté n'est pas de mise. Vu la longueur des mégots jetés aux vilains, on pourrait penser qu'il s’agit là de provocation pour distraire les militaires ?! ...la dignité alors ?!...Celle-ci n’est aussi pour l’instant pas de mise. Quatre années de restrictions, de privations, l‘affligent beaucoup et la remisent au placard.
Après le [[Mail François Mitterrand|Mail]] et sa fête foraine, nous nous rendons ''place de la Mission'' où une immense ronde faite de jeunes gens s’est formée. Elle tourne, tourne. Il y a de la gaieté dans l'air, des cris et des chants. Une grande animation joyeuse agite la ville. Nous nous dirigeons ensuite vers le [[Champ de Mars]]. En bordure du [[boulevard de la Liberté]], un détachement de soldats américains est aligné, l'arme au pied. La foule est nombreuse, elle attend et espère assister à un défilé. Les GIs patientent aussi, ''ils chewingomisent'', ils fument… ils fument abondamment et rejettent des mégots longs comme le bras. Des yeux d'adultes guettent les projections nicotianes. Quand elles sont jugées intéressantes des jambes agiles de spectateurs se précipitent pour la récupération de la clope. La fierté n'est pas de mise. Vu la longueur des mégots jetés aux vilains, on pourrait penser qu'il s’agit là de provocation pour distraire les militaires ?! ... la dignité alors ?!... Celle-ci n’est aussi pour l’instant pas de mise. Quatre années de restrictions, de privations, l’affligent beaucoup et la remisent au placard.


Tout a commencé pour notre famille par un exode devant l'invasion allemande en juin 1940, du Nord vers le sud. Il se poursuivra maintenant dans le sens inverse. Ce sera le retour au pays.
Tout a commencé pour notre famille par un exode devant l'invasion allemande en juin 1940, du Nord vers le sud. Il se poursuivra maintenant dans le sens inverse. Ce sera le retour au pays.
Ligne 39 : Ligne 39 :


C'est encore monsieur Letort qui accompagne en voiture, famille et bagages légers à la gare de Rennes. Des caisses ainsi qu’une grosse malle confectionnée par un voisin sont déjà rendues depuis quelques jours et voyageront par la petite vitesse.  
C'est encore monsieur Letort qui accompagne en voiture, famille et bagages légers à la gare de Rennes. Des caisses ainsi qu’une grosse malle confectionnée par un voisin sont déjà rendues depuis quelques jours et voyageront par la petite vitesse.  
Sur le chemin de la gare nous effectuons une halte dans un café du Mail, à Rennes, pour téléphoner à Vezin afin d’informer que tout allait bien. J'envoie de gros bisous téléphoniques à Madame Letort et à la bonne, des personnes que j'aime beaucoup. Malgré tout, pour moi, les adieux se déroulent sans état d'âme. C’est une autre aventure qui s’annonce. Je ne suis pas du tout conscient que je tourne la dernière page'' de la grande, petite histoire de ma prime jeunesse.'' Je referme, sans me rendre compte, le couvercle sur la boîte dans laquelle demeureront rangés à jamais les instants les plus merveilleux et heureux de mon existence.
Sur le chemin de la [[gare de Rennes|gare]] nous effectuons une halte dans un café du Mail, à Rennes, pour téléphoner à Vezin afin d’informer que tout allait bien. J'envoie de gros bisous téléphoniques à Madame Letort et à la bonne, des personnes que j'aime beaucoup. Malgré tout, pour moi, les adieux se déroulent sans état d'âme. C’est une autre aventure qui s’annonce. Je ne suis pas du tout conscient que je tourne la dernière page'' de la grande, petite histoire de ma prime jeunesse.'' Je referme, sans me rendre compte, le couvercle sur la boîte dans laquelle demeureront rangés à jamais les instants les plus merveilleux et heureux de mon existence.


Comme la plupart des enfants de mon âge je vis et apprécie, au jour le jour, les évènements qui se présentent. Le voyage en chemin de fer me semble long. Le train se traîne, les ralentissements sont fréquents toujours accompagnés de crissements aigus provoqués par les roues qui frottent sur les rails. Je regarde le paysage, je suis heureux. Des dames de la Croix-Rouge française passent de wagon en wagon, elles nous offrent un goûter et des friandises.  
Comme la plupart des enfants de mon âge je vis et apprécie, au jour le jour, les évènements qui se présentent. Le voyage en chemin de fer me semble long. Le train se traîne, les ralentissements sont fréquents toujours accompagnés de crissements aigus provoqués par les roues qui frottent sur les rails. Je regarde le paysage, je suis heureux. Des dames de la Croix-Rouge française passent de wagon en wagon, elles nous offrent un goûter et des friandises.