Chronique vezinoise sous l'occupation n°03

L’ECOLE COMMUNALE MIXTE DE VEZIN LE COQUET sous l’occupation


L’école communale mixte, de Vezin le Coquet, à cette époque très particulière de l’occupation, est dirigée par monsieur Pierre Guérin, directeur, son épouse est institutrice. Ils occupent avec leurs deux, puis trois enfants un appartement de l’aile gauche du bâtiment de l’école. Lequel se compose, au rez-de-chaussée, d’une cuisine salle de séjour et au premier étage, les chambres à coucher. La cuisine possède une cheminée ouverte, avec trépied et crémaillère, qui n’a pas vocation à servir d’ornement mais d’être utilisée, pour les besoins domestiques journaliers, cuisine, chauffage de la pièce comme dans presque toutes les maisons d’alors. L’aile droite est réservée aux deux classes. En bas la classe des grands, en haut celle des petits.

Les deux parties, habitation et lieu d’enseignement, sont séparées par un escalier qui, après avoir atteint le premier étage, mène au grenier. Ce grenier formidable caverne l’Ali baba où je ne compte plus les heures passées, ensemble avec ma sœur, mon frère, Marie Claire et Michel Guérin. On y découvre de vrais trésors pour jouer, pour se déguiser. Nous déployons parfois, à l’intérieur du grenier, des drapeaux tricolores que jamais nous n’avons vus flotter, au dehors, sous l’occupation




La partie supérieure droite de l'ensemble du bâtiment constitue le bureau du maire et du secrétaire.Le préau des grands se trouve en dessous de ce bureau. Dans ce préau, l'été, se déroulaient, parfois, des projections de films muets. Des charlots...!On aperçoit tout à fait à gauche, en prolongement du mur,le préau des filles et petits.


Monsieur Guérin a en charge les divisions des élèves les plus âgés jusqu’au certificat de fin d’études. Il cumule l’emploi de secrétaire de mairie, c’est l’usage. Dans beaucoup de villages, l’instituteur est ipso facto secrétaire de mairie. C’est sans doute lui qui a rédigé l’acte de décès d’Amand Bazillon.

Madame Guérin a en charge les divisions des plus petits depuis la maternelle. Je fréquente sa classe depuis l’âge de cinq ans et demi jusqu’à huit ans. Dans cette classe il existe une petite pièce sans fenêtre, toute sombre quand la porte est refermée. Elle sert de réserve et les cartes de géographie y sont entreposées. Il arrive qu’elle serve aussi de cachot pour les enfants particulièrement dissipés. J'effectue de temps à autre un séjour dans cet antre noir en donnant beaucoup voix. Alphonse n’y va jamais, il est sage et studieux.

Les fenêtres de la façade Est, coté rue, sont construites avec impostes et ne peuvent par conséquent être occultées entièrement la nuit par des volets. Ainsi la partie vitrée des impostes, est-elle enduite d’une couche de peinture bleue, défense passive oblige. Les vitres reçoivent aussi un papier ruban, collé en croix pour éviter les éclats de verre qui pourraient être projetés par suite d’explosions de bombes.

Face à l’école, de l’autre coté de la rue, un des principaux pôles du pays, le café Letort et la maréchalerie.

A l’école, les samedis après-midi sont souvent consacrés à la gymnastique ou à la promenade. Au cours des séances de gymnastique, les élèves, tous, grands et petits, effectuent, guidés par le maître, des mouvements d’ensemble et mouvements respiratoires. Ils peuvent défiler et marcher au pas dans la cour en chantant « lundi matin, l'empereur sa femme et le p'tit Prince, sont venus chez moi pour me serrer la pince... ». Tout en marchant et en chantant, je comprends mal qu’un Prince puisse venir avec une pince pour me serrer la main. Encore une énigme pour laquelle la clef ne m’est, sur le moment, pas fournie.

On ne chante pas, comme peut-être, aurait-on pu le croire : « Maréchal nous voilà ». Si le cas s’est avéré, je n’en ai pas du tout souvenance. Mémoire d’enfant ! Je ne me rappelle pas avoir chanté ou entendu chanter cette chanson sous l’occupation. Bien sûr, nous avons entendu la musique du maréchal mais celle-ci était celle du maréchal ferrant émise par les sons clairs des coups de marteau frappés sur les enclumes, de l’autre coté de la rue.

Faire défiler les enfants au pas est chose normale à cette époque, il n’y a pas de leçon de gymnastique sans un petit défilé final avec chanson. Peut-être est-ce une façon d’apprendre l’ordre, la discipline, le civisme par le sport, c’est ainsi.

Donc, à l'école communale mixte de Vezin le Coquet, quand le temps le permet, le samedi après midi est consacré soit à la promenade ou à la gymnastique. Lorsqu’il s'agit de gymnastique, toujours la même chose ! Cela se passe dans la cour des filles, près du potager du directeur, on y est plus à l'aise. Même si l’école est mixte, Il y a deux cours de récréation, une pour les garçons en bas, coté rue et l’autre pour les filles et les petits en haut près du potager. Pour y accéder il faut grimper quelques marches. Chacun a son préau. Les jeux ne sont pas les mêmes dans les deux cours, ainsi les garçons peuvent pratiquer des jeux de garçons, normal !... parfois violents encore normal !... mais sans risques de bousculer les filles et les petits, ce qui est important. Quant aux filles... ma fois, elles pratiquent des jeux de filles, normal ! Elles parlent souvent ruban ! Jeux plus calmes qui permettent ainsi de faire participer les petits.

Après les exercices de gymnastique, ou bien à la place des exercices, à certaines périodes de l’année, les plus grands s’arment d'outils de jardinage et nettoient le potager du directeur ainsi que les allées. Les petits ne sont pas en reste car ils désirent faire comme les grands. C'est ainsi, c’est l’usage et personne ne trouve à redire. Certains samedis après midi, toujours si les conditions météorologiques le permettent, surtout quand le soleil est de la partie, tous partons en promenade dans la campagne à quelques encablures de l’école. Il faut être franc : « se promener à la campagne à Vezin » est un plaisant pléonasme. Nous n’allons jamais bien loin, car les petits doivent suivre. Pourtant les petits... enfin quelques uns, ceux de la fine équipe à laquelle j’appartiens, courent dans tous les coins du bourg, après leur journée d’école quelquefois studieuse. Ils ont de bonnes jambes et sont capables d’avaler infiniment de kilomètres. Je me souviens avoir fait, à plusieurs reprises, le trajet à pied, Vezin-Rennes, aller-retour, avec ma mère. Je suis bon marcheur. Pas de problème pour le trajet aller, cependant le retour est toujours difficile, pas très gai, plutôt pleurnichard du gamin fatigué qui a soif, qui a faim, en fait qui en a assez de marcher.

Avec l’école nous avons participé à de belles promenades, moments heureux, que je conserve en moi, ineffaçables, comme de joyeux et très tendres souvenirs. Les promenades du printemps 1944 deviennent sans doute dangereuses à cause des nombreux raids aériens des Alliés. L’une d’elles fut particulièrement terrorisante pour moi mais aussi probablement pour tous les enfants présents. J’ai très longtemps conservé dans mes rêves son empreinte, une peur panique telle que celle ressentie le jour du bombardement.

Albert Gilmet

Janvier 2013