« Les prisonniers coloniaux à Rennes » : différence entre les versions

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Rennes fut un élément majeur du dispositif des frontstalag. 12 000 prisonniers « indigènes » y auraient séjourné pendant la guerre. Le régime nazi ayant refusé l'internement des soldats coloniaux en Allemagne par mesure raciste, on prétexta de la rigueur du climat allemand pour les ramener en France dans des "Frontstalag". Ils seront environ 6000 présents à la fois sur Rennes.
Rennes fut un élément majeur du dispositif des frontstalag. 12 000 prisonniers « indigènes » y auraient séjourné pendant la guerre. Le régime nazi ayant supprimé l'internement des soldats coloniaux en Allemagne par mesure raciste, on prétexta de la rigueur du climat allemand pour les ramener en France dans des "Frontstalag". Ils seront environ 6000 présents à la fois sur Rennes.
Les Frontstalags 133 et 127, dirigés par le Kriegsgefangenen-Bezirk IX de Rennes, se répartissaient en plusieurs casernes ou camps de la ville : le camp du [[Parc des Sports de la route de Lorient]], le [[camp de la Marne]] sur la route de Redon, d'une capacité de 1 700 prisonniers qui servit après-guerre à interner des prisonniers allemands, le camp de Guines ([[boulevard de Guines]]), le [[camp Margueritte]] en bordure de la caserne éponyme ( 18 baraques pour une capacité de 2 000 prisonniers, annexe de la [[prison Jacques-Cartier]], le Lazaret (à l’école primaire supérieure).
Les Frontstalags 133 et 127, dirigés par le Kriegsgefangenen-Bezirk IX de Rennes, se répartissaient en plusieurs casernes ou camps de la ville : le camp du [[Parc des Sports de la route de Lorient]], le [[camp de la Marne]] sur la route de Redon, d'une capacité de 1 700 prisonniers qui servit après-guerre à interner des prisonniers allemands, le camp de Guines ([[boulevard de Guines]]), le [[camp Margueritte]] en bordure de la caserne éponyme ( 18 baraques pour une capacité de 2 000 prisonniers, annexe de la [[prison Jacques-Cartier]], le Lazaret (à l’école primaire supérieure).
[[Fichier:Prisonniers_coloniaux_%C3%A0_Rennes219.jpg|250px|right|thumb|Prisonniers coloniaux à Rennes gardés par une sentinelle souriante mais leur vie n'était pas rose]]
[[Fichier:Prisonniers_coloniaux_%C3%A0_Rennes219.jpg|250px|right|thumb|Prisonniers coloniaux à Rennes gardés par une sentinelle souriante mais leur vie n'était pas rose]]


Un aumônier catholique martiniquais assurait le service religieux pour tous les camps. Au début, les prisonniers mouraient de faim et les A.D.N (assistantes du devoir national) obtint l'autorisation de pénétrer dans les corps de garde et d'apporter, en plus des denrées collectées sur le marché et chez les commerçants, sabots, chaussettes, chemises, chandails et cela dura jusqu'à la libération [1] Mme Jan-Jouault profita de son rôle d’assistante sociale bénévole au Devoir national pour organiser les évasions de prisonniers coloniaux et bénéficia de complicités dans la police. Elle avait ses entrées au camp de la Marne et y ravitaillait les détenus de nourriture collectée sur les marchés et dans la campagne environnante. Aux internés décidés à s’enfuir, elle remettait cartes d’identité, costumes. Elle confectionna d’abord elle-même les fausses cartes. En général, les prisonniers s’évadaient en revenant de leur travail. Les prisonniers, mis au courant des activités de Mme Jan, venaient à son domicile, [[avenue Louis Barthou]]. Elle les y cachait, les nourrissait et leur fournissait le nécessaire à leur évasion ; toujours vêtue de son costume d’assistante, elle les conduisait au train, à la barbe des occupants, et ne les quittait que lorsque le convoi démarrait. Elle les faisait passer pour des prisonniers réformés qui devaient rejoindre l’hôpital Villemin à Paris. Les évadés se rendaient alors dans la capitale dans un centre d’accueil clandestin. À leur arrivée, on changeait leur carte d’identité et leurs vêtements, qui étaient renvoyés à Mme Jan.[3]  
Un aumônier catholique martiniquais assurait le service religieux pour tous les camps. Au début, les prisonniers mouraient de faim et les A.D.N (assistantes du devoir national) obtint l'autorisation de pénétrer dans les corps de garde et d'apporter, en plus des denrées collectées sur le marché et chez les commerçants, sabots, chaussettes, chemises, chandails et cela dura jusqu'à la libération. [1] Mme Jan-Jouault profita aussi de son rôle d’assistante sociale bénévole au Devoir national pour organiser les évasions de prisonniers coloniaux et bénéficia de complicités dans la police. Elle avait ses entrées au camp de la Marne et y ravitaillait les détenus de nourriture collectée sur les marchés et dans la campagne environnante. Aux internés décidés à s’enfuir, elle remettait cartes d’identité, costumes. Elle confectionna d’abord elle-même les fausses cartes. En général, les prisonniers s’évadaient en revenant de leur travail. Les prisonniers, mis au courant des activités de Mme Jan, venaient à son domicile, [[avenue Louis Barthou]]. Elle les y cachait, les nourrissait et leur fournissait le nécessaire à leur évasion ; toujours vêtue de son costume d’assistante, elle les conduisait au train, à la barbe des occupants, et ne les quittait que lorsque le convoi démarrait. Elle les faisait passer pour des prisonniers réformés qui devaient rejoindre l’hôpital Villemin à Paris. Les évadés se rendaient alors dans la capitale dans un centre d’accueil clandestin. À leur arrivée, on changeait leur carte d’identité et leurs vêtements, qui étaient renvoyés à Mme Jan.[3]  
[[Fichier:Prisonniers_noirs.jpg|300px|left|thumb|Cérémonie religieuse au camp de la Marne(''Ouest-Eclair'' du 7 mars 1944]]
[[Fichier:Prisonniers_noirs.jpg|300px|left|thumb|Cérémonie religieuse au camp de la Marne(''Ouest-Eclair'' du 7 mars 1944]]
Étonnant est un article du journal sous le titre : "Une émouvante cérémonie à la Chapelle du Grand Séminaire" Six soldats noirs reçoivent le baptême. Il s'agit en fait de blessés ou malades soignés à l'hôpital complémentaire du Grand Séminaire qui sont baptisés avant de regagner leur pays natal. L'article donne leurs prénoms chrétiens accolés à leurs patronymes, cite les Rennaises et Rennais marraines et parrains, les noms des sœurs Servantes des Pauvres et des infirmières "dont le zèle est infatigable et le dévouement maternel envers ces grands enfants noirs", manifestant ainsi "notre solidarité avec les soldats noirs venus au service de la France".[4]
Étonnant est un article du journal sous le titre : "Une émouvante cérémonie à la Chapelle du Grand Séminaire" Six soldats noirs reçoivent le baptême. Il s'agit en fait de blessés ou malades soignés à l'hôpital complémentaire du Grand Séminaire qui sont baptisés avant de regagner leur pays natal. L'article donne leurs prénoms chrétiens accolés à leurs patronymes, cite les Rennaises et Rennais marraines et parrains, les noms des sœurs Servantes des Pauvres et des infirmières "dont le zèle est infatigable et le dévouement maternel envers ces grands enfants noirs", manifestant ainsi "notre solidarité avec les soldats noirs venus au service de la France".[4]
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'''Il y a un prisonnier noir dans la cabane''' !
'''Il y a un prisonnier noir dans la cabane''' !


Au printemps 1943, « la petite Louise », dont le mari est prisonnier en Allemagne, et qui vit seule avec sa fille de cinq ans, bénéficiant d’un jardin municipal ouvrier, arrive à bicyclette chez mes parents, affolée, et annonce : « Il y a un prisonnier noir évadé dans ma baraque de jardin ! Les gosses du quartier l’ont vu à travers les fentes de la cabane et chantent ça en chœur dans la rue ». Mon père, devant le cercle familial, affiche, comme à son habitude, une grande sûreté et déclare « prendre les choses en mains ». Vu l’époque, des vêtements de l’époux de la petite Louise font l’affaire malgré la grande taille du tirailleur soudanais et il faut le déplacer d’urgence après la publicité dispensée par les gamins du quartier. Le frère de ma grand-mère accepte et le transfert se fait nuitamment dans ce quartier périphérique sans éclairage public. La petite Louise joua l’étonnement quand des policiers vinrent lui demander si elle avait entendu parler d’un noir dans sa baraque. Le problème des faux papiers – un certificat de démobilisation et une carte d’identité civile - fut difficilement résolu par le canal d’un professeur de mathématiques habitant le quartier mais muté à Saint-Nazaire, trempant dans la Résistance, et qui revenait à Rennes en fin de semaine. C’est dirigé par lui sur M. Lemoine, le greffier de la Cour d’appel, que mon père obtint les faux papiers pour celui qu’on appelait, faute de connaître son identité, Amadou entre nous, et sur l’existence duquel, j’avais, garçon de neuf ans, juré de garder le secret. Il put ainsi quitter Rennes et nous n’entendîmes plus parler de lui<ref>''Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945'', par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013 </ref>.
Au printemps 1943, « la petite Louise », dont le mari est prisonnier en Allemagne, et qui vit seule avec sa fille de cinq ans, bénéficiant d’un jardin municipal ouvrier, arrive à bicyclette chez mes parents, affolée, et annonce : « Il y a un prisonnier noir évadé dans ma baraque de jardin ! Les gosses du quartier l’ont vu à travers les fentes de la cabane et chantent ça en chœur dans la rue ». Mon père, devant le cercle familial, affiche, comme à son habitude, une grande sûreté et déclare « prendre les choses en mains ». Vu l’époque, des vêtements de l’époux de la petite Louise font l’affaire malgré la grande taille du tirailleur soudanais et il faut le déplacer d’urgence après la publicité dispensée par les gamins du quartier. Le frère de ma grand-mère accepte et le transfert se fait nuitamment dans ce quartier périphérique sans éclairage public. La petite Louise joua l’étonnement quand des policiers vinrent lui demander si elle avait entendu parler d’un noir dans sa baraque. Le problème des faux papiers – un certificat de démobilisation et une carte d’identité civile - fut difficilement résolu par le canal d’un professeur de mathématiques habitant le quartier mais muté à Saint-Nazaire, trempant dans la Résistance, et qui revenait à Rennes en fin de semaine. C’est dirigé par lui sur M. Lemoine, le greffier de la Cour d’appel, que mon père obtint les faux papiers pour celui qu’on appelait entre nous, faute de connaître son identité, ''Amadou''  et sur l’existence duquel, j’avais, garçon de neuf ans, juré de garder le secret. Il put ainsi quitter Rennes et nous n’entendîmes plus parler de lui<ref>''Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945'', par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013 </ref>.


''Gilbert Guillou''
''Gilbert Guillou''
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