« Printemps 1940, ça douille à l'arsenal de Rennes » : différence entre les versions

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[[Fichier:Emprise_de_l%27arsenal_en_1950.png|250px|thumb|L'arsenal en 1950, en bordure du boulevard de la Tour d'Auvergne]]  
[[Fichier:Emprise_de_l%27arsenal_en_1950.png|250px|thumb|L'arsenal en 1950, en bordure du boulevard de la Tour d'Auvergne]]  


Née à Plélan-le-Grand, en [[1907]]<ref>Anna Baril est née le 3 août 1907 aux Maisons Neuves en Plélan, fille de Louis et Marie Augustine Perrin. Elle est décédée le 22 mai 1996.</ref>, précisément à quelques mètres seulement de la route de ''Lorient'', Anna Baril, arrivant à Rennes après son mariage, devait investir préférentiellement le sud-ouest de la ville. Elle restera fidèle à ce secteur lors de son second mariage, avec Alfred Cosson<ref>Cadre du service expéditions des Établissements Jean Langlois. Alfred Cosson est né le 1er mars 1906 à Pancé (Ille-et-Vilaine), fils de Jean Marie et Victoire Gaudin. Il est décédé le 18 novembre 1991.</ref>, en achetant une maison en vis-à-vis de l'église Saint-Yves, là encore ''aux premières loges'' en bordure de la [[rue de Nantes]], [[rue Pierre-Brossolette]] en [[Saint-Jacques-de-la-Lande]] ; maison détruite, après celle des Leduc (coiffeurs), dans les années 2000 pour l'extension du centre commercial.
Née à Plélan-le-Grand, en [[1907]]<ref>Anna Baril est née le 3 août 1907 aux Maisons Neuves en Plélan, fille de Louis et Marie Augustine Perrin. Elle est décédée le 22 mai 1996.</ref>, précisément à quelques mètres seulement de la route de ''Lorient'', Anna Baril, arrivant à Rennes après son mariage, devait investir préférentiellement le sud-ouest de la ville. Elle restera fidèle à ce secteur lors de son second mariage, avec Alfred Cosson<ref>Cadre du service expéditions des Établissements Langlois qu'il avait créé en quelque sorte comme ''homme de main'' de Jean Langlois, Alfred Cosson est né le 1er mars 1906 à Pancé (Ille-et-Vilaine), fils de Jean Marie et Victoire Gaudin. Il est décédé le 18 novembre 1991. Il était connu de la paroisse comme ''cheville ouvrière'' de la kermesse qui se tenait autour de l'église Saint-Yves</ref>, en achetant une maison en vis-à-vis de l'église Saint-Yves, là encore ''aux premières loges'' en bordure de la [[rue de Nantes]], [[rue Pierre-Brossolette]] en [[Saint-Jacques-de-la-Lande]] ; maison détruite, après celle des Leduc (coiffeurs), dans les années 2000 pour l'extension du centre commercial.


Les notes qui suivent proviennent avant tout de dix lettres de sa main : les seules conservées de toutes celles qu'elle a envoyées à son "Petit mari"<ref>René Tigier mesurait 1,56 m à 20 ans. Anna Baril mesurait 1,55 m à l'âge adulte.</ref> ou "René chéri" ou "Petit chat" mobilisé depuis septembre [[1939]] jusqu'à son décès entre le 11 et le 17 juin 1940, ''mort pour la France'' à Jouy-sous-les-Côtes, dans la Meuse. Elles ont été complétées par quelques-unes des 90 lettres de mon grand-père en retour, dont celles écrites au verso des précédentes ; économie qui leur a valu de revenir à leur destinataire et d'être conservées. Au printemps 1940, ces lettres pouvaient mettre seulement deux jours pour parvenir à leur destinataire, pour peu qu'il habite non loin de la gare.
Les notes qui suivent proviennent avant tout de dix lettres de sa main : les seules conservées de toutes celles qu'elle a envoyées à son "Petit mari"<ref>René Tigier mesurait 1,56 m à 20 ans. Anna Baril mesurait 1,55 m à l'âge adulte.</ref> ou "René chéri" ou "Petit chat" mobilisé depuis septembre [[1939]] jusqu'à son décès entre le 11 et le 17 juin 1940, ''mort pour la France'' à Jouy-sous-les-Côtes, dans la Meuse. Elles ont été complétées par quelques-unes des 90 lettres de mon grand-père en retour, dont celles écrites au verso des précédentes ; économie qui leur a valu de revenir à leur destinataire et d'être conservées. Au printemps 1940, ces lettres pouvaient mettre seulement deux jours pour parvenir à leur destinataire, pour peu qu'il habite non loin de la gare.
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Entre les forges et l'arsenal, c'est son emploi de ''serveuse'' qui fera lien. Née au-dessus, topographiquement parlant, de l'hôtel-restaurant des Forges, très fréquenté par la meilleure société d'alors, les années où elle y sera modestement domestique seront certainement déterminantes pour le reste de son existence. Peut-être y a-t-elle trouvé l'impulsion et désir de migrer vers la grande ville la plus proche, si pleine de promesses de meilleures conditions de vie, de denrées et objets plus divers et plus ''riches'' ? Je le crois.
Entre les forges et l'arsenal, c'est son emploi de ''serveuse'' qui fera lien. Née au-dessus, topographiquement parlant, de l'hôtel-restaurant des Forges, très fréquenté par la meilleure société d'alors, les années où elle y sera modestement domestique seront certainement déterminantes pour le reste de son existence. Peut-être y a-t-elle trouvé l'impulsion et désir de migrer vers la grande ville la plus proche, si pleine de promesses de meilleures conditions de vie, de denrées et objets plus divers et plus ''riches'' ? Je le crois.


Forte de cette origine, elle trouva, sans aucune peine probablement, un emploi de serveuse au café Hinet au 69 du [[boulevard de la Tour d'Auvergne]] ; famille avec laquelle elle conserva très longtemps de forts liens. Ce salaire complétait celui du mari, menuisier-ébéniste chez "Léon Thébault, Fabrique de meubles", au 16 [[rue de Brest]]<ref>La tradition familiale dit que René Tigier aurait répondu à son patron qu'il n'avait encore fait qu'une demi-journée en débauchant le soir, allusion aux heures qu'il passait à faire de meubles pour son compte dans une cave, transportant le bois la nuit entre la rue de Brest et le boulevard de la Tour d'Auvergne. Leurs rapports étaient bons : en témoigne un échange de courrier en décembre 1939, où d'ailleurs Léon Thébault se trompe un peu de guerre en disant ''là-bas en tranchées''</ref>. Il ne restait que quelques pas à faire pour que, sous l'effet des circonstances, Anna Baril s'embauche ensuite comme ouvrière à l'arsenal qu'elle connaissait déjà bien au contact des clients qu'elle servait.
Forte de cette origine, elle trouva, sans aucune peine probablement, un emploi de serveuse au café Hinet au 69 du [[boulevard de la Tour d'Auvergne]] ; famille avec laquelle elle conserva très longtemps de forts liens. Ce salaire complétait celui du mari, menuisier-ébéniste chez "Léon Thébault, Fabrique de meubles", au 16 [[rue de Brest]]<ref>La tradition familiale dit que René Tigier aurait répondu à son patron qu'il n'avait encore fait qu'une demi-journée en débauchant le soir, allusion aux heures qu'il passait à faire des meubles pour son compte dans sa cave, transportant le bois la nuit entre la rue de Brest et le boulevard de la Tour d'Auvergne. Leurs rapports étaient bons : en témoigne un échange de courrier en décembre 1939, où d'ailleurs Léon Thébault se trompe un peu de guerre en disant ''là-bas en tranchées''</ref>. Il ne restait que quelques pas à faire pour que, sous l'effet des circonstances, Anna Baril s'embauche ensuite comme ouvrière à l'arsenal qu'elle connaissait déjà bien au contact des clients qu'elle servait.


== Octobre 1939, l'arsenal recrute ==
== Octobre 1939, l'arsenal recrute ==
Le 4 octobre [[1939]], il est question pour la première fois de l'arsenal. René Tigier, alors à Poitiers, ne paraît pas pétri de patriotisme quand il écrit : ''Tu me dis que tu vas entrer à l'arsenal. Madame Hinet va sant doute être bien ennuyé car elle aurait préféré que tu soit à sa disposition. Tu auras beaucoup plus de mal et peut être pas grande aventage et pourvut que cela ne t'empêche pas de recevoir l'allocation.'' D'un tempérament débonnaire, aucune de ses lettres ne donnera le moindre indice d'un quelconque militarisme<ref>''La garde a été vite prise, on a tous rester coucher dans une remise sur un bon tât de foin''. Lettre du 14 octobre 1939, Saint Loup sur Thouet.</ref>, tandis que leur fils demeure au centre de leurs échanges. La lettre suivante, outre un reproche assez sec pour lui avoir envoyé un colis, poursuit dans la même veine : ''Tu te demandes si tu dois reprendre Yves [mis en sûreté ''probablement'', dans la famille]. Tu aurais peut être mieu fait de rester à faire comme tu faisais, surtout s'il faut que tu travaille la nuit et le dimanche. Tu ne pourras jamais y attendre ; tu tomberas malade et c'est tout ce que tu gagneras, et surtout le jour que tu ne pourras pas dormir avec le barouffe qui y a dans la maison''.  
Le 4 octobre [[1939]], il est question pour la première fois de l'arsenal. René Tigier, alors à Poitiers, ne paraît pas pétri de patriotisme quand il écrit : ''Tu me dis que tu vas entrer à l'arsenal. Madame Hinet va sant doute être bien ennuyé car elle aurait préféré que tu soit à sa disposition. Tu auras beaucoup plus de mal et peut être pas grande aventage et pourvut que cela ne t'empêche pas de recevoir l'allocation.'' D'un tempérament débonnaire, à moins qu'il ne s'agisse de travailler, aucune de ses lettres ne donnera le moindre indice d'une quelconque fibre militariste<ref>''La garde a été vite prise, on a tous rester coucher dans une remise sur un bon tât de foin''. Lettre du 14 octobre 1939, Saint Loup sur Thouet.</ref>, tandis que leur fils demeure au centre de leurs échanges. La lettre suivante, outre un reproche assez sec pour lui avoir envoyé un colis, poursuit dans la même veine : ''Tu te demandes si tu dois reprendre Yves [mis en sûreté ''probablement'', dans la famille]. Tu aurais peut être mieu fait de rester à faire comme tu faisais, surtout s'il faut que tu travaille la nuit et le dimanche. Tu ne pourras jamais y attendre ; tu tomberas malade et c'est tout ce que tu gagneras, et surtout le jour que tu ne pourras pas dormir avec le barouffe qui y a dans la maison''.  


Ma grand-mère ne change pas d'idée, et elle reçoit une lettre du 11 octobre : ''Tu me dis que tu es rentré à l'arsenal. A tu un bon poste car il y en a qui sont dure ? Tu me diras se que tu fais, et surtout il faut que tu manges bien le matin avant de partir et porter un bout de pain avec toi que tu mangeras dans la matinée. Est tu à l'arsenal ou à la Courouze ; si tu étais à l'arsenal se serait beaucoup plus près. Madame Hinet doit etre bien ennuyer que tu es parti''.
Ma grand-mère ne change pas d'idée, et elle reçoit une lettre du 11 octobre : ''Tu me dis que tu es rentré à l'arsenal. A tu un bon poste car il y en a qui sont dure ? Tu me diras se que tu fais, et surtout il faut que tu manges bien le matin avant de partir et porter un bout de pain avec toi que tu mangeras dans la matinée. Est tu à l'arsenal ou à la Courouze ; si tu étais à l'arsenal se serait beaucoup plus près. Madame Hinet doit etre bien ennuyer que tu es parti''.


Le 14, mon grand-père réitère ses propos réticents et conseils quant à l'emploi à l'arsenal. Il ne se plaint pas à nouveau du colis dont il a déjà été question, et dit avoir reçu des ''reliques de Sainte Thérèse'' de la part des ''Collorec'' [lien de parenté confus]. Ma grand-mère n'est pas loquace sur son emploi, selon ce qu'il dit dans la lettre du 17. Il est plein de sollicitude à nouveau le 22 : ''Je ne cesse de penser à toi, car je sais que tu a beaucoup plus de mal que moi'' ; surtout ce jour, où il est allé à la messe et voir ''jouer au ballon''.
Le 14, mon grand-père réitère ses propos réticents et conseils quant à l'emploi à l'arsenal. Il ne se plaint pas à nouveau du colis dont il a déjà été question, et dit avoir reçu des ''reliques de Sainte Thérèse'' de la part des ''Collorec'' [cousines]. Ma grand-mère n'est pas loquace sur son emploi, selon ce qu'il dit dans la lettre du 17. Il est plein de sollicitude à nouveau le 22 : ''Je ne cesse de penser à toi, car je sais que tu a beaucoup plus de mal que moi'' ; surtout ce jour, où il est allé à la messe et voir ''jouer au ballon''.


Il est arrivé dans les Ardennes en ce début novembre. Les allocations, l'arsenal et l'application scolaire d'Yves, voire sa santé, reviennent à plusieurs reprises ensuite : ''Il doit y avoir beaucoup de monde à travailler à l'arsenal... Tout ceux qui sont mobilisables ; on va leur retenir sur leur salaire ; ils ont encore bien de la veine d'être là... Tu me dis qu'ils y en a beaucoup qui lessent leurs travail ; s'en doute qu'ils trouvent que cela est trop dure, et surtout pour celle qui sont loing ; et c'est peut être mal sain ce cuivre. Il faut bien te laver les mains... Tu aurais encore mieu fait de rester à faire ton petit bouleau... Je vois, ma pauvre petite femme que tu es bien fatiguer et que tu as l'air de perdre courage... Si vous ne faite que 8 h vous gagneré moin, mais vous aurez moin de mal... '' Le 14 novembre, il se défend des rumeurs d'une fin prochaine : ''Je n'y crois pas car ce sera une guerre longue. Tout est prévu pour cela.'' ajoutant le 22 (Saint-Fergeux) : ''si j'ai du courage et que je prends gout à la vie, c'est pour toi ma petite Anna, car plus je suis long plus je t'aime, car on se doute bien que l'on est içi pour des années. On n'a pas fini dans voir...''.
Il est arrivé dans les Ardennes en ce début novembre. Les allocations, l'arsenal et l'application scolaire d'Yves, voire sa santé, reviennent à plusieurs reprises ensuite : ''Il doit y avoir beaucoup de monde à travailler à l'arsenal... Tout ceux qui sont mobilisables ; on va leur retenir sur leur salaire ; ils ont encore bien de la veine d'être là... Tu me dis qu'ils y en a beaucoup qui lessent leurs travail ; s'en doute qu'ils trouvent que cela est trop dure, et surtout pour celle qui sont loing ; et c'est peut être mal sain ce cuivre. Il faut bien te laver les mains... Tu aurais encore mieu fait de rester à faire ton petit bouleau... Je vois, ma pauvre petite femme que tu es bien fatiguer et que tu as l'air de perdre courage... Si vous ne faite que 8 h vous gagneré moin, mais vous aurez moin de mal... '' Le 14 novembre, il se défend des rumeurs d'une fin prochaine : ''Je n'y crois pas car ce sera une guerre longue. Tout est prévu pour cela.'' ajoutant le 22 (Saint-Fergeux) : ''si j'ai du courage et que je prends gout à la vie, c'est pour toi ma petite Anna, car plus je suis long plus je t'aime, car on se doute bien que l'on est içi pour des années. On n'a pas fini dans voir...''.
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Dans la troisième lettre, du jeudi 28 mars, ma grand-mère, bien morose, ne craint pas de faire état de son "cafard", si bien elle l'achève un peu ''gravement'' par : ''Ta petite épouse qui t'aime et t'attend.'' La lettre en réponse sera d'ailleurs ''particulièrement chaude'', pas seulement en raison de la météo devenue souriante. Elle dit aussi sa maison pleine, et qu'elle n'a pu faire ce qu'elle avait prévu, en raison de cet afflux de visites, amicales ou familiales. On y trouve la seconde allusion à des costumes de laine en provenance du secteur de Guer/Plélan : ''Hier, j'ai eu la visite de ma tante et de Rosalie [Tigier, belle-soeur]. Elles m'ont apportés les costumes. J'en ai pris 2 pour moi à ce prix la. Les lainages sont d'un prix fou : un pour Me Monnerais et l'autre pour Me. Boullez. Mme. Louessard en voudrait aussi ; je vais tacher de lui en faire avoir un.'' - ajoutant : ''Sur le journal, je viens de voir que l'on va avoir 10 [francs] pour l'allocation militaire. On n'aura pas de trop, car la vie est bien chère''.
Dans la troisième lettre, du jeudi 28 mars, ma grand-mère, bien morose, ne craint pas de faire état de son "cafard", si bien elle l'achève un peu ''gravement'' par : ''Ta petite épouse qui t'aime et t'attend.'' La lettre en réponse sera d'ailleurs ''particulièrement chaude'', pas seulement en raison de la météo devenue souriante. Elle dit aussi sa maison pleine, et qu'elle n'a pu faire ce qu'elle avait prévu, en raison de cet afflux de visites, amicales ou familiales. On y trouve la seconde allusion à des costumes de laine en provenance du secteur de Guer/Plélan : ''Hier, j'ai eu la visite de ma tante et de Rosalie [Tigier, belle-soeur]. Elles m'ont apportés les costumes. J'en ai pris 2 pour moi à ce prix la. Les lainages sont d'un prix fou : un pour Me Monnerais et l'autre pour Me. Boullez. Mme. Louessard en voudrait aussi ; je vais tacher de lui en faire avoir un.'' - ajoutant : ''Sur le journal, je viens de voir que l'on va avoir 10 [francs] pour l'allocation militaire. On n'aura pas de trop, car la vie est bien chère''.


La lettre du 3 avril n'est pas plus gaie, avec mention de permissionnaires plus chanceux : ''Tout le monde vient, et pas mon petit soldat cheri'', mettant à contribution son fils dans cette doléance par les mots qu'elle lui prête : ''comme dit Yves, il va peut être venir avec ses trois cheveaux, le pauvre papa. Il serait bien fatigué...'' Son père n'est en fait pour l'heure qu'un modeste garçon d'écurie occupant son temps comme il peut : ''... quand on voit les chefs, on fait mine de frotter...''<ref>D'abord mobilisé dans le 265e régiment d'artillerie lourde divisionnaire, il était passé en octobre 1939 dans le 206e RALD</ref>.
La lettre du 3 avril n'est pas plus gaie, avec mention de permissionnaires plus chanceux : ''Tout le monde vient, et pas mon petit soldat cheri'', mettant à contribution son fils dans cette doléance par les mots qu'elle lui prête : ''comme dit Yves, il va peut être venir avec ses trois cheveaux, le pauvre papa. Il serait bien fatigué...'' Son père n'est en fait pour l'heure qu'un modeste garçon d'écurie occupant son temps comme il peut : ''... quand on voit les chefs, on fait mine de frotter...''<ref>D'abord mobilisé dans le 265e régiment d'artillerie lourde divisionnaire, il était passé en octobre 1939 dans le 206e RAL</ref>.


Il y est rapidement question de l'arsenal : ''Je suis aus pieces de ce matin ; soit disant que l'on va avoir davantage ; les autres vont y etre ces jours ici. On verra bien ce que ça donnera.'' Elle ne doit pas s'en plaindre puisque dans sa lettre du 8 avril, mon grand-père lui conseille : ''Si les temps ne sont pas élever, il ne faut pas essayer de gagner de trop, cas il baisse les devies et il faut travailler comme des mercenerres et encore on ne gagne pas cher.''
Il y est rapidement question de l'arsenal : ''Je suis aus pieces de ce matin ; soit disant que l'on va avoir davantage ; les autres vont y etre ces jours ici. On verra bien ce que ça donnera.'' Elle ne doit pas s'en plaindre puisque dans sa lettre du 8 avril, mon grand-père lui conseille : ''Si les temps ne sont pas élever, il ne faut pas essayer de gagner de trop, cas il baisse les devies et il faut travailler comme des mercenerres et encore on ne gagne pas cher.''


La cinquième lettre, le 4 avril, mêle sentiment et travail à l'arsenal : ''si tu retournes avec tes copains, tu n'es pas pres de venir. Je vis sur l'espoir de te voir une de ces nuits ; quoique je préfererais être de nuit, car je resterais au lit avec toi ; car de jour, c'est moche ; il faut se lever à 4 h 1/2 et laisser son petit au chaud au lieu de rester à le caliner.<ref>Un grand nombre des lettres de l'un comme de l'autre comporte des propos plus ou moins crus toujours dans la perspective de leurs retrouvailles</ref>'' Plus loin, elle dit : ''Je prépare ma gamelle pour demain matin. Ce matin j'ai faillit être en retard ; j'ai couru, si non la porte allait se fermer à mon nez ; il ne faut pas que je recommence.''  
La cinquième lettre, le 4 avril, mêle sentiment et travail à l'arsenal : ''si tu retournes avec tes copains, tu n'es pas pres de venir. Je vis sur l'espoir de te voir une de ces nuits ; quoique je préfererais être de nuit, car je resterais au lit avec toi ; car de jour, c'est moche ; il faut se lever à 4 h 1/2 et laisser son petit au chaud au lieu de rester à le caliner<ref>. Un grand nombre des lettres de l'un comme de l'autre comporte des propos plus ou moins crus toujours dans la perspective de leurs retrouvailles</ref>'' Plus loin, elle dit : ''Je prépare ma gamelle pour demain matin. Ce matin j'ai faillit être en retard ; j'ai couru, si non la porte allait se fermer à mon nez. Il ne faut pas que je recommence.''  


Dans la sixième lettre, le mardi 9 avril, la permission attendue est toujours la trame de la narration, mais des satisfactions émergent : ''Ce midi, je mange avec Yves, chez Me. Monnerais, une tête de veau avec Joseph et sa soeur. Tout le monde pense à moi : on ne me délaisse pas. Quand on est seule, ça fait bien plaisir. Dimanche, j'avais mon costume de laine ; il fait envie à tout le monde, surtout le prix ... mais c'est toujours Rosalie que ça dérange ; si elle avait encore quelque chose dessus, mais comme elle n'a rien que la peine d'aller les chercher. La mere Hinet en aurait bien pris aussi.'' Anna prend encore le temps de marquer une certaine complicité gourmande en ajoutant dans la marge en travers : ''Je te dirais si la tête de veau était bonne'' - à lui qui avait relaté une petite escapade dans un café de Metz où lui et ses copains ont été bien nourris : ''ça change un peut avec la gamèle''. La ''tête de veau'' n'est effectivement pas ''tombée dans l'oreille d'un sourd'' et est encore évoquée dans la réponse du 11 avril ''à sa petite femme cherie et à cher petit Yves'', avant un retour dramatique à la guerre, disant que les permissionnaires seraient rappelés ; que les ''marins doivent en voir des dures par labas...'' ; bref : ''Pour nous, c'est la guerre qui commence ; je ne sais quand ce sera la fin''.
Dans la sixième lettre, le mardi 9 avril, la permission attendue est toujours la trame de la narration, mais des satisfactions matérielles émergent : ''Ce midi, je mange avec Yves, chez Me. Monnerais, une tête de veau avec Joseph et sa soeur. Tout le monde pense à moi : on ne me délaisse pas. Quand on est seule, ça fait bien plaisir. Dimanche, j'avais mon costume de laine ; il fait envie à tout le monde, surtout le prix ... mais c'est toujours Rosalie que ça dérange ; si elle avait encore quelque chose dessus, mais comme elle n'a rien que la peine d'aller les chercher. La mere Hinet en aurait bien pris aussi.'' Anna prend encore le temps de marquer une certaine complicité gourmande en ajoutant dans la marge en travers : ''Je te dirais si la tête de veau était bonne'' - à lui qui avait relaté une petite escapade dans un café de Metz où lui et ses copains ont été bien nourris : ''ça change un peut avec la gamèle''. La ''tête de veau'' n'est effectivement pas ''tombée dans l'oreille d'un sourd'' et est encore évoquée dans la réponse du 11 avril ''à sa petite femme cherie et à cher petit Yves'', avant un retour dramatique à la guerre, disant que les permissionnaires seraient rappelés ; que les ''marins doivent en voir des dures par labas...'' ; bref : ''Pour nous, c'est la guerre qui commence ; je ne sais quand ce sera la fin''.


Le jeudi 11 avril toujours, la septième lettre, à "Mon tout petit René cheri", ouvre une nouvelle parenthèse sur son travail entre deux évocations de la guerre : ''Quel bagarre vers la Norvège, mon Dieu, c'est epouvantable. Ils veulent tout prendre c'est salauds d'allemands. Qui auraient pensé que l'on aurait vu chose pareille ? Depuis 7 mois que tu es parti je ne pensais que c'etait pour si longtemps... Maurice Lemoine est parti à Oran ; ça va chauffer aussi pour eux aussi''.<br />''Tu n'as pas besoin d'avoir peur, ce n'est pas moi qui fera monter le travail. Je suis assez maline comme lui quoi qu'il y est pas mal, mais quand il y a 2 equipes comme ça on ne s'est à quoi s'en tenir : une met temps de temps, l'autre ne fait pas pareil ; je m'en suis dejà apercu car on m'avait dit un prix et après on m'a diminué. Me. Colleaux est venu ce matin, je n'étais pas levé, chercher son sac où j'avais rapporté des pissenlits...''. Il ne semble pas que la nourriture manque puisqu'elle dit : ''Je vais etre obligé de marcher quand il fera beau ou alors je ne pourrais plus me bouger. Je n'ai pas beaucoup d'exercice, toujours assise''. L'ambiance de l'atelier n'est pas sinistre à s'arrêter aux deux blagues salaces que se permet ''son patron'' à son ''endroit'', c'est le cas de le dire... Amusée des jeux de mots, elle n'en est elle-même pas choquée, mais précise bien à son lointain mari : ''Il en a de bonne : Mme. Boullez a encore pleurer ; après il regrette.'' Mon grand-père précise dans sa lettre du 18 que partie ou totalité de son régiment fait partie de la ''6eme division de Nord affricains''. Il a reçu une carte de la Norvège dessinée par son fils.
Le jeudi 11 avril toujours, la septième lettre, à "Mon tout petit René cheri", ouvre une nouvelle parenthèse sur son travail entre deux évocations de la guerre : ''Quel bagarre vers la Norvège, mon Dieu, c'est epouvantable. Ils veulent tout prendre c'est salauds d'allemands. Qui auraient pensé que l'on aurait vu chose pareille ? Depuis 7 mois que tu es parti je ne pensais que c'etait pour si longtemps... Maurice Lemoine est parti à Oran ; ça va chauffer aussi pour eux aussi''.<br />''Tu n'as pas besoin d'avoir peur, ce n'est pas moi qui fera monter le travail. Je suis assez maline comme lui quoi qu'il y est pas mal, mais quand il y a 2 equipes comme ça on ne s'est à quoi s'en tenir : une met temps de temps, l'autre ne fait pas pareil ; je m'en suis dejà apercu car on m'avait dit un prix et après on m'a diminué. Me. Colleaux est venu ce matin, je n'étais pas levé, chercher son sac où j'avais rapporté des pissenlits...''. Il ne semble pas que la nourriture manque puisqu'elle dit : ''Je vais etre obligé de marcher quand il fera beau ou alors je ne pourrais plus me bouger. Je n'ai pas beaucoup d'exercice, toujours assise''. L'ambiance de l'atelier n'est pas sinistre à s'arrêter aux deux blagues salaces que se permet ''son patron'' à son ''endroit'', c'est le cas de le dire... Amusée des jeux de mots, elle n'en est elle-même pas choquée, mais précise bien à son lointain mari : ''Il en a de bonne : Mme. Boullez a encore pleurer ; après il regrette.'' Mon grand-père précise dans sa lettre du 18 que partie ou totalité de son régiment fait partie de la ''6eme division de Nord affricains''. Il a reçu une carte de la Norvège dessinée par son fils.
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