Souvenirs du parc du Thabor

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La "grande grille" du parc du Thabor
Le petit bassin pour les évolutions des modèles réduits (existait encore dans les années 1950). Coll. YRG

« Au début des années quarante et même un peu avant remontent mes souvenirs du Thabor. Ce parc, pour une famille habitant dans le centre, était le lieu de promenade et de jeux le plus apprécié : le jardin Saint-Georges était trop près et sans mystère, presque entièrement offert aux yeux et sans recoins, quant au parc de Maurepas, aux lisières de la ville, ses balançoires, ses tourniquets et son anneau de patinage à roulettes ne pouvaient compenser son éloignement. Pour les Rennais voisins, toute excursion hors la ville étant impossible, le jeudi après-midi ou le dimanche, le Thabor était un lieu de convergence pour la promenade et la détente et pour que les enfants prennent l'air et le bon.

La maman, avec landau ou poussette, montait donc la rue Gambetta et le contour de la Motte, au square dédaigné, un enfant tenant d'une main la poignée chargée du sac du "quatre-heure" et, éventuellement d'un sac de tricot, les autres trottant à ses côtés, souvent devant, pressés d'arriver. A la grille de la place Saint-Melaine, se tenait un étrange personnage derrière son chariot de friandises : vêtu d'une ample robe, portant des lunettes noires et une toque circulaire à pans de couleurs variées, il proposait bonbons, sucettes et sucres d'orge. Par la suite on trouva là un chariot des glaces Lopez. Une fois passée la grande grille, les souliers crissaient sur les graviers de l'allée : nous n'étions plus en ville : à droite le grand carré Duguesclin avec sa statue et la colonne Vanneau, un peu plus haut l'Enfer, dont le fond plat permettait de jouer au ballon, puis près du manège des chevaux de bois, le petit bassin sur lequel des garçonnets faisaient naviguer leur petit voilier, voire un bateau à moteur, et le kiosque. Parmi les nombreuses mères de famille et les personnes âgées il s'agissait alors de trouver au moins un siège : place libre d'un banc ou une de ces chaises en fer, dont il fallait acquitter le droit d'usage à la chaisière qui parcourait les allées inlassablement. On retrouvait fréquemment des "petits amis", occasion pour jouer à cache-cache ou aux gendarmes et aux voleurs, hors de vue des mamans, dans le secteur chahuté et propice aux cachettes de la grotte, de la cascade, avec les escaliers, de l'île avec son ponceau. Mais pas question de couper par les pelouses : des gardes à képi, l'un manchot, tel autre unijambiste, étaient prompts à user du sifflet ou à brandir leur canne pour rappeler à l'ordre les contrevenants. Pour les petits le manège et les biches dans leur enclos, la volière ! Entre les grands dômes miroitants des serres, et le grand cèdre du Liban, (* voir note ) les bustes ou statues, près des bassins, nous retrouvions la maman pour le goûter : tartine de confiture et grenadine, boisson rose et un peu sirupeuse, extraite d'une bouteille thermos dont le bouchon faisait tasse. Ici et là des paons développaient soudain leur roue aux yeux autrement plus magiques que leur "Léon !" perçant.

Le grand cèdre du Liban vers 1905

L'heure venait de redescendre vers la maison. Un peu las, nous laissions derrière nous les paons à l'allure si compassée quand ils daignaient faire leur roue multicolore pleine de yeux, les jets d'eau et les poissons rouges,les chaudes plate-bandes de millepertuis. On retrouvait le carré Duguesclin en ignorant les jeunes soldats boches convalescents qui, torses nus sur un toit terrasse du lycée de filles, hélaient parfois une jeune Rennaise.

On redescendait le Contour de la Motte et la rue Gambetta et, de retour, on disait à papa qu'on s'était bien amusés. »

— Étienne Maignen • Recueilli par Stephanus • 5 avril 2011licence

* note : Le majestueux cèdre du Liban fut, jusqu'à une tempête du 12 mars 1967, l'arbre emblématique du Thabor et venait d'un des six plants achetés par le botaniste médecin Jean Degland en 1830 (voir ruelle Degland, voir Rennes d'histoire et de souvenirs quatrain 45).



« Il y avait plusieurs gardiens. Celui avec sa jambe de bois nous courait après pour nous taper dessus avec sa canne. On en avait vraiment peur. Il fallait aussi payer sa chaise et son fauteuil, c'était 5 et 10 centimes.

Tous les ans, lorsque l'on arrivait depuis la place Saint-Melaine, on pouvait admirer sur la gauche des plates bandes de pensées représentant les fables de la Fontaine. C'était magnifique.

On jouait aussi beaucoup dans la grotte, on s'amusait à regarder les amoureux... »

— Dominique • Recueilli par Julie • 27 juin 2013licence


Témoigne du parc de son enfance.


Quand il était petit, les jardins du Thabor étaient sa cour de récréation. Et, quand il était petit, c'était en 39-45, dans une ville occupée par les Allemands. « Je pense qu'il y a peu de gens de ma génération qui peuvent apporter ce témoignage. Il n'y avait que les enfants du coin qui venaient jouer dans ce parc. C'était trop compliqué de traverser une ville avec des Allemands dans toutes les rues. »

Georges Dorer, né en 1930, passe son enfance rue de Viarmes. Les échos de la première guerre ne sont pas loin. La ville est en pleine expansion, on pose les dernières pierres de la piscine Saint-Georges et de la halle centrale. Mais le petit Georges allait souvent au parc du Thabor le jeudi ou après l'école, il y retrouvait des copains.

« Je me souviens qu'à mon époque, à gauche de l'entrée nord, il y avait déjà un café qui faisait un peu restaurant, près du kiosque à musique, du manège et du bassin où on faisait nager nos bateaux. »

« Avant, les grandes serres avaient des dômes vitrés et étaient remplies de plantes. Devant, il y avait déjà ces deux grands bassins et un énorme cèdre du Liban, qui n'existe plus aujourd'hui, poursuit Georges Dorer. Un peu plus loin, on cultivait des pommes de terre. À l'ouest, il y avait ces trois allées : le Paradis au milieu, l'Enfer en contrebas et après le Purgatoire. À l'époque, les gens qui voulaient s'asseoir sur les bancs étaient obligés de payer leur place. »

« On avait des lignes et on pêchait des poissons dans les bassins. On les mettait dans nos poches et on les relâchait dans la grotte où il y avait une cascade, raconte-il. Il y avait trois gardiens du parc, des anciens militaires de la guerre 14-18. Ils nous engueulaient quand on essayait de voler des prunes ! C'était un Thabor animé qui abritait, en plus des pigeons de la volière, des oies, des canards, des paons et même des biches. Beaucoup de choses ont changé. À l'est, il y avait un spectacle de guignol. La roseraie, elle, est restée la même. »

« Le Thabor a été bombardé. Combien de fois, je ne sais pas. Dès qu'on entendait les douze coups de la sirène, on allait s'abriter à la cave. »

En 1944, [1] Georges a 14 ans, son ami Jacques Floch aussi. « C'était un camarade de lycée, on avait le même âge. Un soir, il rentre du Thabor et dit à sa mère : 'Je n'ai pas faim ce soir, je vais me coucher.' Le lendemain, il était décédé. Il avait reçu un éclat de bombe dans le bulbe rachidien. Pendant l'occupation, des Allemands venaient se reposer au Thabor devant les serres. Devant, il y avait des tranchées couvertes. Ils s'y abritaient pendant les bombardements. Dès 18 h, chacun devait rentrer chez soi, couvre-feu oblige. Et aujourd'hui, je ne vais plus m'y promener. Enfin, j'y vais, mais mentalement... Je m'en souviens comme si c'était hier».

Georges Dorer, 82 ans en 2012

références

[2]

  1. bombardement du 17 juillet 1944
  2. Il garde la mémoire du Thabor sous l'Occupation Ouest-France, 2 août 2012