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Les Rennais maréchalistes
Place Philippe Pétain
Dès janvier 1941, Rennes a lancé par Me Chaplet, son Groupement des amis du Maréchal, 9, boulevard Magenta, l'un des tout premiers. Le groupe "Collaboration", section de Bretagne, a son siège 4 rue Du Guesclin. La population rennaise est, dans son ensemble dans les deux premières années de l'occupation, maréchaliste, ce qui ne signifie pas collaborationniste et a fortiori pro-nazie. Dès 1940, "le peuple français, citadin ou rural, ne se cache plus pour manifester son hostilité. L’évolution très rapide de l’opinion au cours du mois de septembre surtout a fait naître un sentiment qui, chez beaucoup, dépasse la résignation pour devenir de la haine active. Les incidents aux Halles, dans les cinémas, en métro, à Paris, en province, se multiplient." [1] "Les campagnes de presse en faveur de la collaboration n’ont eu que peu d’effets : le discrédit de la presse dans la zone occupée reste en effet total et le lecteur a même tendance à prendre le contre-pied de ce qui est écrit dans son journal." [2] En présence du préfet François Ripert le conseil municipal de Rennes décide, le 21 janvier 1941, de nommer la place de la Mairie, place du Maréchal Pétain (en fait place Philippe Pétain) en résonnance avec le culte de la personnalité rendu au chef de l’État français à Vichy. Cette dénomination s’intègre dans un contexte politique bien particulier mais le souvenir de la Grande Guerre n’en est pas totalement absent. Pour beaucoup de Français, Pétain reste avant tout, à l’époque, le vainqueur de Verdun et c’est sans doute ce qu'exprime le maire, François Château, lorsqu’il déclare que le nom du Maréchal est celui « de l’illustre soldat qui a deux fois sauvé la France à un quart de siècle d’intervalle ».
C'est moins par anglophilie que par germanophobie, que la très grande majorité des Français de la zone occupée va souhaiter la victoire de la Grande-Bretagne.
Mais la confiance subsiste majoritairement envers le vieux maréchal, même si les gouvernements de Vichy sont souvent critiqués, surtout en raison des pénuries et du rationnement. Un exemple de cette confiance, voire de vénération envers Pétain illustre cette attitude.
Quant aux fonctionnaires, ils sont tenus pour la plupart de prêter serment de fidélité au Maréchal, condition nécessaire pour garder un emploi.
La jeunesse embrigadée
La jeunesse est prise en mains par le régime de Vichy. Le 29 mai, 1941, M. Lamirand, secrétaire d'Etat à la jeunesse, après avoir visité à Mordelles, au centre de La Haye, l'école des cadres de la jeunesse, est à Rennes au cinéma Le Royal pour apporter à la jeunesse les consignes du Maréchal : collaborer avec courage, travail, union, confiance, mais aussi une mise en garde contre le Gaullisme qui met en danger mortel l'unité française et l'avenir du pays. Les jeunes sont présents en grand nombre.
Le 26 décembre 1941, dix écoliers d’Ille-et-Vilaine, à l’instar d'élèves des autres départements, partent pour Vichy, et ces « ambassadeurs de la Jeunesse » d’Ille-et-Vilaine sont salués à leur départ en gare de Rennes par les plus hautes personnalités du département, préfet en tête. Le 31 décembre l’Ouest-Eclair, qui avait copieusement relaté le départ, rapporte les impressions des jeunes à leur retour : certains sont enroués d’avoir trop chanté « Maréchal, nous voilà ! », le maréchal leur paraît bien moins vieux que son image. Une petite fille relate : « le Maréchal est venu nous parler, il nous a montré le soleil qui brillait et il a dit : « Dites à vos parents que c’est le soleil du Maréchal » et en nous quittant il a déclaré : « Je suis obligé de m’en aller, comme vous partirez vous-mêmes bientôt, parce que, comme vous aussi, j’ai un programme à remplir, celui de sauver la France. »
Ce comportement des enfants dûment conditionnés est le fait des parents et de l’encadrement. Les propos des enfants, béats, pour ne pas dire benêts, sont à n’en pas douter ceux de l’opinion majoritaire. Il n'est pas jusqu'au haut clergé catholique qui ne prenne ouvertement parti pour le gouvernement de Vichy. Mgr Roques, archevêque de Rennes incite les prêtres et les fidèles à être "dociles à la voix des chefs légitimes" pour accomplir la tâche qui conditionne et garantit le relèvement du pays[3]. Ce n’est qu’au fil du temps, et surtout après l’invasion de la zone « nono » (non occupée), par les Allemands fin novembre 1942, que l’impression d’un maréchal qui n’a pas de liberté s’accroît et le S.T.O. organisé par Pierre Laval va largement entamer sa popularité sans toutefois la faire disparaître totalement. Le Dr Eugène Marquis, comme beaucoup d'anciens de la Grande guerre, était un maréchaliste convaincu, puis, selon un rapport du 14 septembre 1944, rédigé par le Commissaire Divisionnaire des RG : « Ce sentiment d’admiration pour le chef de l’État et de son gouvernement s’atténua progressivement, au cours de l’année 1943, notamment lorsque le Maréchal fit appel à Joseph Darnand, et Marcel Déat, il se montra adversaire des méthodes de la Milice et, en juin 1944, il soignera de nombreux soldats anglais et américains, amenés par les Allemands à l’EPS de la rue Jean Macé[4] [5].
Le 12 novembre 1943, le maréchal Pétain avait enregistré un message par lequel il annonçait la publication, le lendemain de la diffusion d'un acte constitutionnel qui permettrait de transmettre à sa mort les pouvoirs à l'Assemblée nationale, message non diffusé car interdit par les Allemands et lu cependant à la presse étrangère, et il en était résulté un bruit de sa démission qui suscita, selon les rapports de synthèse des préfets, une émotion démontrant combien sa popularité restait vivace.
Mais des Rennais se manifestèrent gaullistes en grand nombre et sans équivoque de temps à autre, comme le 11 mai 1941[6] et le 17 juin 1941[7].
En tout cas, dans les bouches rennaises, la place Philippe Pétain resta bien, pendant toute la guerre, la place de la Mairie (*) [8] et le 21 août 1944 c'est... place du Maréchal Pétain que le général de Gaulle sera acclamé par les Rennais. La place ne retrouvera sa dénomination antérieure que le mois suivant par délibération du conseil de la délégation spéciale[9].
(Le nom du maréchal Pétain sera, après la guerre, occulté de la frise supérieure ornant les parois du Panthéon rennais).
Témoignage
Enfant, - j'avais 5 ans en 1941 - je n'ai jamais entendu autour de moi, pendant la guerre, des Rennais employer la dénomination "place Philippe Pétain" pour désigner la place de la Mairie, où nous prenions parfois le tramway ou l'escalier sous le côté sud des arcades donnant rue de Coëtquen. Je pense que, par habitude, plus que par opposition au régime, les Rennais utilisaient l'ancienne dénomination, plus significative du lieu, et mon grand-père parlait encore en 1944 de la rue de Bourbon, non significative d'un lieu mais ancienne dénomination de la rue Edith Cavell, périmée depuis 29 ans.[10]
Étienne Maignen
références
- ↑ Synthèse des rapports des préfets de la zone occupée du 16 octobre 1940
- ↑ Synthèse des rapports des préfets de la zone occupée du 17 novembre 1940
- ↑ Semaine religieuse du diocèse de Rennes, 4 janvier 1941, p. 1
- ↑ L'état d'esprit des Rennais en 1941, vu par un médecin collaborationniste. Blog de Kristian Hamon. - 29 juillet 2017
- ↑ L'hôpital pour prisonniers Jean Macé au temps de la libération
- ↑ Fête de Jeanne d'Arc du 11 mai 1941 : des Rennais manifestent
- ↑ 17 juin 1941 : manifestation rennaise
- ↑ Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013
- ↑ De Gaulle à Rennes
- ↑ * Notes d'un vieux rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes