Une jeune Rennaise agressée par un très jeune homme
Le mardi 29 juillet les lecteurs de l'Ouest-Eclair ont leurs yeux sur un titre barrant la une de leur journal. Le fait annoncé, survenu il y a deux jours, est pour le moin étonnant.
Une famille rennaise à la campagne
Ce dimanche 27 juillet 1902 le temps s’annonçant beau, Monsieur B, employé à la gare de Rennes, demeurant rue Armand Barbès à Rennes, décide de sortir ses quatre filles en proposant un pique-nique à la campagne, - et une partie de pêche pour lui - suggestion adoptée. De bonne heure il fait déjà près de 20° et la famille se dirige allègrement vers la gare distante d’un kilomètre et demi, monsieur, canotier en place, avec son attirail de pêche à l’épaule, madame avec le panier du pique-nique et son parapluie en cas de soleil trop fort, et les petites demoiselles avec leurs grands chapeaux de paille. On monte dans un compartiment du chemin de fer pour Saint-Malo mais on descend au bout de vingt kilomètres après une petite demi-heure à la halte de Saint-Germain-sur-Ille. Et c'est encore plus d'1,5 kilomètre le long du canal pour atteindre l’écluse n° 10 et Monsieur B. va se positionner à 150 mètres, côté rive est. Vers 9 heures 30, il s’installe pour déployer ses gaules, son épouse à son côté, ainsi que son aînée, Marguerite, 14 ans, qui l’aide à amorcer ses lignes, tandis que les trois fillettes s’en vont à l’assaut d’une colline qui domine le canal.
Montée au tertre
Vers 10 heures, un adolescent auquel on peut donner près d’une vingtaine d’années s’approche, et s'assied près de Monsieur B, demande si « ça mord » et évoque des endroits de pêche favorables. L’individu est très grand mais son physique, son allure et son maintien étonnent un peu. Le journal l’Ouest-Eclair en fit une description épouvantable : « des traits accusés, son nez est épais, les yeux gros ont une expression de bestialité, les épaules sont larges, il a des pieds énormes ». De là-haut les trois gamines, parvenue au calvaire du Tertre d’où elles ont la vue sur l’écluse en bas, s’époumonent, hélant leur grande sœur pour qu’elle les rejoigne. Marguerite, qui s’ennuie un peu, a bien envie de les rejoindre mais demande au jeune homme si c’est loin. Le jeune homme se propose alors pour la guider. La description du physique du jeune homme donnée par le journal est-elle exagérée ? Le fait est que le père ne fait pas obstacle au départ de sa fille avec le jeune homme. Les voici partis, passant sous le petit tunnel au-dessous de la ligne de chemin de fer et prenant à droite pour monter.
Un gamin géant et dangereux
Les trois fillettes attendent leur sœur mais finiront par redescendre sans leur aînée. Inquiet, monsieur B. laisse ses lignes et décide de faire le chemin vers la croix du Tertre, un trajet qu’il exécute sans voir sa fille qui ne répond pas à ses appels. Redescendant, il gagne un champ et y trouve sa fille, inerte et ensanglantée. Il appelle au secours et, la portant dans ses bras, il redescend et traverse jusqu’à la maison éclusière, appelant la venue d’un médecin. Un médecin de Saint-Germain, puis un autre de Melesse examinent la jeune fille couchée sur un lit, sans connaissance, font un premier pansement et ordonnent son transport par voiture à Rennes. Le retour familial à Rennes sera bien triste.
Sur la description du jeune homme donnée par monsieur B. une voisine fait un rapprochement et se rend à la ferme de Flutz où est employé comme pâtre le jeune Jean Fourel qui va sur ses… 13 ans ! C’est un gaillard aux épaules larges, aux pieds chaussant une pointure 45. Il avait failli assommer une jeune fille à Betton, et terrasser une autre à Melesse il y a deux mois mais celle-ci, vigoureuse, s’était dégagée en lui assénant deux gifles. On recommandait aux jeunes des environs d’éviter ce Jean Fourel. La femme réussit à le convaincre de la suivre jusqu’à la maison éclusière et Monsieur B qui le reconnaît, tente de le faire avouer mais le costaud répond « Ce n’est pas ma ! ». Des enfants de Saint-Germain entourent et maintiennent Jean Fourel, en attendant les gendarmes de Saint-Aubin d’Aubigné. À la gendarmerie il persista à nier avoir cogné sur la jeune fille qui se débattait, se refusant à lui, et lui avoir donné des coups de couteau qui avaient entamé une oreille et blessé un doigt. À Rennes, le docteur Perrin de la Touche[1] fut chargé des constatations légales sur la jeune fille soignée par le Dr Leclerc et dont l‘état s’était amélioré[2]. Quant au jeune Fourel, il apparût qu’il était frustre et avait l’esprit dérangé et, le 14 janvier 1903, l’Ouest-Eclair annonça le constat de l’aliénation mentale du jeune Fourel. L’asile de Saint-Méen devient le domicile du jeune de 13 ans.
références
- ↑ rue Perrin de la Touche
- ↑ Ouest-Eclair , 29 et 30 juillet 1902