La place des lices est une place du centre-ville nord de Rennes, prolongeant au sud-sud-ouest la place Saint-Michel en descendant vers le canal d’Ille-et-Rance qu'on aperçoit à son extrémité.

La place des Lices (4) hors les murs de la Cité sur le plan de 1685.
La place des Lices en 1934- dessin de R. Cornon[1]

D'abord hors la ville

Elle était hors des murs, ainsi que l'indique la situation des Portes Mordelaises à son sud-est. Longtemps ors les murs car les remparts ne furent pas repoussés dans ce secteur pendant plusieurs siècles. Elle conserva longtemps une tradition guerrière et fut utilisée jusqu'au début du 18e siècle pour des exercices militaires.

Aux tournois, un certain Bertrand

"Lices" est le nom donné à un "champ clos" au Moyen-Age, terrain fermé par des barrières où avait lieu des tournois où des chevaliers s'affrontaient avec des lances.

À Rennes, c'est en 1327 que ce nom est connu pour la première fois, car pour le mariage de la Duchesse de Bretagne, Jeanne de Penthièvre, dite la boiteuse, avec Charles de Blois, le neveu du roi de France, un tournoi est organisé. Le 4 juin 1337,le jeune Bertrand Du Guesclin Wikipedia-logo-v2.svg [2] va entrer en lices où se dispute un tournoi auquel il a interdiction de participer mais un de ses cousins, vaincu, quitte la lice et lui prête son équipement. Bertrand aurait défait, masqué, douze ou quinze chevaliers, avant de refuser de combattre son père en inclinant sa lance par respect au moment de la joute, à la grande surprise de l'assemblée. Un dernier chevalier le défie et parvient à faire sauter la visière de son heaume. Le père découvre le visage de son fils. [3]

C'est à cause d'une épidémie de peste, en 1622, que fut décidé de faire le marché sur cette place, pour éviter que la maladie entre dans la ville.

Lieu des exécutions judiciaires

Gibets sur la place. Illustration d'André Rouault

La place servait aux exécutions des criminels et aux expositions au pilori comme l'indiquent les plans du 18e siècle sur lesquels figure le poteau de justice, à hauteur de la rue des Innocents, à l'emplacement de l'horloge qui se trouve sur le haut de la place des Lices. Les condamnés y étaient encore exposés jusqu'au milieu du 19e siècle. Les corps des exécutés y restaient parfois plusieurs jours pour impressionner la population, avant d'être emmenés au cimetière qui se trouvait sur l'actuelle place Sainte-Anne en passant par cette rue des Innocents, car l'on pensait que tous ceux qui étaient exécutés n'étaient pas tous coupables. Les paisibles habitants de la place du haut des Lices ne se doutent pas aujourd’hui des spectacles affreux donnés sur cette place. C’était ici que s’élevait, avant la Révolution, le gibet où l’on pendait les condamnés à mort.

On transportait ensuite les corps des pendus dans un champ près de Saint-Hélier, pour être exposé, nus, à la cime d’un arbre. On les y laissait à la merci des oiseaux de proie et des animaux qui mangeaient la chair corrompue lorsque les membres pourris se détachaient du corps. Ce champ portait le nom de Champ de la carrée. Il était autrefois entouré de murs formant un carré et était appelé par ironie Roque mignon (grimpe mignon). [4] Le premier nom du cimetière de l'Est fut Roque-Mignon.

Compte-rendu d'une pendaison sur la place le soir du 27 mars 1776[5]. :

« Soussigné Commis Juré et reçu à l'exercice du greffe criminel du siège de Présidial de Rennes, je certifie qu'en execution de la sentence de mort du matin de ce jour, rendue en ce siège par jugement présidial et en dernier ressort, contre Jean Barat, m'être transporté en compagnie de Maitres Giquel et Marie, huissiers audienciers de ce siège, au lieu patibulaire de cette ville, place des Lices, où etants près le poteau à lanternes, lieu ordinaire, environ les six heures trois quarts du soir, pendant le temps qu'on conduit ledit Barat au lieu de son supplice, j'ay au public assemblé en grand nombre autour de moy et desdits maitres Giquel et Marie donné lecture, au long et de mot à autre et à haute et intelligible voix, de la sentence de mort rendue le matin de ce jour contre ledit Barat ; après quoy nous avons supercedé sur laditte place jusqu'à l'entière execution de la susditte sentence en la personne du même Barat, et l'expedition faite nous nous sommes retirés, après avoir rapporté le present procez-verbal sous nos seings, ce jour vingt sept mars mil sept cent soixante seize. Lebreton, commis au greffe. »

— Archives du présidial de Rennes
Origine : Cote 2B 1002 - Archives d'Ille-et-Vilainelicence

À gauche l'hôtel Racapé de la Feuillée, à droite l'hôtel de la Noue.

Témoignage de l'intérêt, parfois morbide, de la population, extrait de l'interrogatoire de Renée Diguet, fille de joie, soupçonnée de vol de plomb en 1771 :

« Interrogée où elle était samedy au soir ? - A repondue qu'elle etait sur la place des Lices à voir mourir un homme qui fut executé ; qu'elle revint environ les huit heures et fut chez une galetiere, sa voisinne, manger une demie-livre de pain et une sardine, et qu'ensuite elle se retira chez elle où elle se coucha... dimanche matin ? A repondue qu'elle se leva environ les neuf heures du matin, fut chez sa blanchisseuse, revint s'habiller, sortit avec son neveu arresté avec elle qu'elle conduisit dans le cimetiere de Saint Aubin voir le cadavre de l'homme executé la veille, et qu'elle fut ensuite à la dernière messe des Carmes... »

— Archives du présidial de Rennes
Origine : Cote 2B 1252 - Archives d'Ille-et-Vilainelicence

Des demeures imposantes

La place est bordée, en rive nord, par d'anciennes demeures comme l'Hôtel de la Noue, dont le toit en carène inversée de la tour centrale traduit une volonté d'ostentation, à laquelle répond le toit en carène de l'Hôtel Racapé de La Feuillée, tous deux à pans de bois construits en 1658,ainsi que l'Hôtel de Montbourcher dont les armes figurent au fronton (trois marmites) illustrant la devise familiale ("Assez d'amis quand elles sont pleines") et l'Hôtel du Molant en pierre, ce dernier de 1666, avec au-dessus de la porte qui communique avec la cage d'escalier, le profil du roi-soleil sculpté dans un médaillon ovale. Ces demeures furent construites dans la seconde moitié du 17e siècle sur initiatives de gens de robe du Présidial et du barreau, mais le quartier des Lices, sans jardins et très resserré, ne fut espace aristocratique qu'un temps assez bref, la noblesse parlementaire - exilée à Vannes pendant quinze ans - et les notables lui ayant préféré le secteur de la rue Saint-Georges puis le nouveau quartier du Contour de la Motte[6].

...souvent mises en location

Ces hôtels étaient souvent mis en location. Le bail à loyer ci-dessous donne en 1820 des indications sur un appartement de l'Hôtel Forsan donnant « sur la lice » et sur la rue Saint-Louis et les modalités de location tel que le loyer de 250 francs par an.

Ce n'est pas une enseigne de restaurant au 17e siècle mais le blason de la famille de Montbourcher sur l'hôtel éponyme. (de Wikimedia Commons)

« Acte sous seing privé du 26 janvier 1819 portant entre nous soussigné Delle Rose De Forsan de la Bouteillerie d'une part et Dame Guitton née Anne Angélique André Duquesnoy, tout deux demeurant à Rennes, rue Saint Louis n° 28 et Place des Lices, a été par le présent acte de ferme s.s.p. par lequel ladite demoiselle Rose De Forsan loue aujourd'hui à la dite De Guiton pour neuf années qui commenceront le 24 juin 1820 et finiront à pareil jour 1829, savoir un appartement dans l'hôtel Forsan situé place des Lices à Rennes au rez de chaussée au coin meridionnal et occidental dit hôtel composé d'une grande salle ayant ses couvertures! sur la lice avec alcove et cheminée et un cabinet d'entrée ayant aussi sa croisée sur la lice, plus une grande salle ou chambre donnant sur la rue Saint Louis ayant de plus une croisée sous le pignon occidental dudit hôtel avec cabinet privatif de latrinnes, une cave et caveau à côté, une remise sur la rue Saint Louis et un grenier, le tout occupé et dont jouissent actuellement les demoiselles Ergault ;
la salle donnant sur la lice tapissée en papier pour y rester ou autre qui y serait placé par Dame Guiton en remplaçant sans que ladite De Guiton puisse réclamer d'indemnité ;
la grande chambre sur la rue Saint Louis garnie d'armoires d'attaches et ladite De Guiton déclare bien connaître le tout et en jouir sans rien dégrader ni changer à peine de rétablir à ses frais si ces changements n'étaient pas agréables à Demoiselle De Forsan et fera ramoner les cheminées conformément aux arrêtés de police, rendra les appartements en état de réparation locative ainsi qu'elle les aura reçue, payera sa diminution du prix du fermage designé ci-après les impôts pour portes et fenêtres et pour jouissance des appartements et autres objets ci-dessus Made Guiton s'oblige de payer chaque année en deux termes égaux dont le premier echoira et sera payé le 25 décembre 1820 et 2e le jour St Jean 1821 cent vingt cinq francs chaque ce qui fait par an deux cent cinquante francs, fait double à Rennes. Reçu sept francs vingt sept."[7]

Les rez-de-chaussée ne suffisaient pas à la demande en matière de locaux commerciaux, des baraques la complétaient pour des non-Rennais, comme en témoigne la vente aux enchères de deux baraques de François Bourée (marchand à Baulon) le 11 juin 1785, l'une située sur la place des Lices et l'autre rue Neuve. "La baraque située sur la lice ayant vingt et sept pieds de profondeur sur sept pieds et demi de largeur de dedans en dedans, sa façade vers nord et la boutique vers occident, dans celle-ci une cheminée et un petit grenier au dessus qui se desert par une trape", estimée et mise à prix à 150 livres, enchères couverte par la Demoiselle Lacroix à 151 livres. L'après-midi "l'enchère mise par la Dlle Lacroix a été couverte par le Sr. Houssais, marchand de fil, à cent cinquante deux livres", et après plusieurs enchères, elle est achetée par le Sieur Pierre Metel à 201,5 livres. Celle de la rue Neuve, mise à prix à 900 livres à plusieurs reprises, n'intéresse personne : elle est finalement acquise après de nouvelles publications (et une mise à prix inférieure) pour 910 livres par le Sr. Pierre Mathurin Collin[8].

Le marché le samedi 27 mars 1897. photo d'Etienne Maignen
Un samedi matin, la mise en place du fameux marché des Lices

En 1781, le négociant en vins, Pierre André Lemière, en faillite, possède au bas de la place une cave renfermant une partie de ses marchandises, qui avec ses meubles sont évaluées à 17713 livres. Il possède deux caves sous sa maison et environ trente barriques de vin rouge dans deux caves sous le parlement de Bretagne[9].

Contenu de la cave de la place du bas des Lices du Sieur Lemiere :
Cinq barriques et un tierçon vin Muscat : 680 livres environ 264 bouteilles vin d'Espagne : 455
environ cent douze bouteilles vin de Bourgogne : 250 quatre tierçons vin rouge et blanc : 320
une busse Champagne : 60 environ quatrevingt bouteilles vin de Champagne : 320
un baril vin d'espagne contenant environ vingt pots : 60 vingt et deux barriques vin rouge et blanc : 2600
environ deux cent bouteilles vin blanc : 180 environ trente bouteilles ptisane? de Champagne : 160
une barrique Bourgogne : 360 onze pannier d'ozier : 20.

Au début du XXe siècle, une dizaine de débits de boisson s'échelonnait le long de la place des Lices[10].

Faits divers

Un coup de fusil dans la nuit

La nuit du 3 décembre 1770, 30 casseroles de cuivre sont volées dans les caves servant de magasin général des effets militaires du roy. Les malfaiteurs sont entrés par la trappe ouvrant sur la place (3 pieds 3 pouces de longueur x 3 pieds de largeur). Antoine Grenon, 45 ans, garde magasin des troupes du roi, déclare :

« que la nuit du trois au quatre de ce mois, environ minuit, il entendit son chien qui aboiait, ce qui le fit se lever. Il prit son fusil et fut à une fenestre du coté de l'hotel du Molan, côté où le magasin est le plus mauvais ; que ne voyant personne quoique son chien aboiat toujours et entendant une dispute vers la rue Saint Louis, pourquoi après avoir tiré un coup de fusil, il fut se coucher aiant néantmoins auparavant ouvert une fenestre donante sur le lice et regardé sans avoir vu personne... »

— Archives du présidial de Rennes
Origine : Cote 2B 1076 - Archives d'Ille-et-Vilainelicence

Au 20e siècle des projets heureusement avortés

La place des Lices, avec ses deux pavillons en vue aérienne à partir de l'ouest

En 1924, l'active municipalité de Jean Janvier faillit commettre une grosse bévue : la commission départementale reçoit un projet de possible démolition des hôtels du 17e siècle en rive nord de la place en vue d'un agrandissement du marché - si toutefois leur disparition est provoquée par la vétusté, un sinistre ou la volonté des propriétaires, s'empresse de préciser le conseil municipal. Mais la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine [11] émet un vœu porté au Conseil d’État qui, par lettre du 14 juin 1927, souhaite que les observations de la Société archéologique soient prises en compte mais le ministre des Beaux-Arts juge inutile de prononcer le classement "considérant le faible intérêt artistique, archéologique et historique de ces maisons " ! [12]. Et en 1977, le projet de démolition des halles pour les remplacer par un vaste parc automobile souterrain au-dessus duquel fonctionnerait le marché en plein air, projet de la municipalité d'Henri Fréville fait long feu en raison de l'élection de la liste conduite par Edmond Hervé dont la municipalité entreprendra une grande rénovation à la fin des années quatre-vingt. Une des trois halles, celle dessinée par Emmanuel Le Ray, est finalement détruite en 1987[13].

Dans les années 50, des rencontres de boxe attiraient les Rennais aux Lices le samedi soir[14].

La place est ouverte à la circulation automobile sauf le samedi matin, jour du grand marché des Lices.




Sur la carte

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Notes et références

  1. La Bretagne dans la France du Maréchal, pages écrites pour les prisonniers de guerre bretons - déc. 1942
  2. rue Du Guesclin
  3. Bertrand Du Guesclin en lices
  4. Au Pays de Rennes, Adolphe Orain. éd. Hyacinthe Caillière - 1892
  5. Jean Barat est condamné pour vol avec tentative d'incendie. Son exécution le soir même est exceptionnelle, mais cette rapidité est la simple conséquence du fait que le condamné n'a pas profité de la possibilité de faire appel et d'être jugé par le parlement, pour une raison inconnue. Une autre affaire apporte des précisions à l'occasion de la mise en scène par laquelle les condamnations des fugitifs étaient exécutées : "... poteau patibulaire à l'endroit du plus fort marché... copie de laquelle et l'effigie y mentionnée etant en un tableau relativement audit Fablet [garçon meunier condamné pour meurtre] condamné à être pendu, ont eté en notre personne attachée au poteau par l'executeur de la haute justice de ce siège et aux portes d'entrée de cette ville"
  6. "Pas au sud de la Vilaine !" géographie des pouvoirs et des élites à Rennes sous l'Ancien Régime, par Gauthier Aubert dans : Habiter les villes de cours souveraines en France - 2008 publication de la MSH-Alpes
  7. s.s.p., c'est-à-dire sous seing privé ou signature(s) privée(s).
    Transcription du folio 72 (4 février 1819) du registre du bureau de l'enregistrement de Plélan-le-Grand, registre conservé aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine (cote 3Q 27 239). Le motif de cet enregistrement dans un bureau autre que celui du bureau de Rennes n'est pas clair et il est probable que cet acte soit absent des registres de la ville (il y aurait double compte...). »
  8. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, fonds du consulat de Rennes.
  9. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine. Fonds du consulat de Rennes. Le Sieur Lemiere possède encore 23 barriques de vin rouge et blanc dans une cave de la rue Nantaise et à Ploërmel trente barriques valant 3000 livres.
  10. http://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/il-etait-une-fois-un-cafe-cidre-place-des-lices-4401580
  11. Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine (SAHIV)
  12. L'Urbanisme à Rennes de la Belle Époque à la Reconstruction, par Benjamin Sabattier. Bulletin et mémoires de la Société Archéologiques & Historique d'Ille-et-Vilaine, tome CXVIII - 2014
  13. http://www.ina.fr/video/RNC87031007/debut-des-travaux-de-la-place-des-lices-video.html
  14. Les années 50 en Ille-et-Vilaine, hors-série Ouest-France 2005, p. 25.

Lien interne

Haïku de nuit

« "Tout en haut des Lices,

Un gyrophare de police,

Des pneus qui crissent." »

Stephanus • 18 mars 2011licence

Galerie cartes postales

 
Place des Lices, hôtel Racapée de la Feuillée (à gauche) et hôtel de la Noue (à droite). Carte postale publicitaire de l'agence de Rennes de la Cie Le Monde et de la Sté Suisse de Winterthur., voyagé 1911. Fr Simon, Rennes. Coll. YRG
 
Bertrand Duguesclin au tournoi de Rennes. Reproduction en carte postale d'un dessin de A. Carlier pour un manuel scolaire "Histoire de France" édité par la librairie Istria, Paris. Coll. YRG



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