Rue Maurice Fabre
La rue Maurice Fabre se situe dans le quartier 10 : Villejean - Beauregard et prend son origine sur la rue de Vezin. Cette voie fut dénommée par délibération du Conseil Municipal de la Ville de Rennes le 9 juillet 2003[1].
Cette voie rend hommage à Maurice Fabre, universitaire (29 juin 1893, Paris VIème - 17 avril 1967, Rennes)
Proviseur du lycée, de novembre 1944 à octobre 1957, Maurice Fabre a eu la lourde tâche de reconstruire - à tous les sens du terme - le lycée de garçons de Rennes malmené par la guerre, et, pour faire face à l'explosion scolaire qui a suivi, de travailler à la création de deux nouveaux lycées en périphérie de le ville qui deviendront l'actuel lycée Chateaubriand et le lycée de Bréquigny[2].
« LES CINQ VIES DE MAURICE FABRE
[...] Au mois d’avril 1967, c’est à cet homme engagé dans la vie publique, que Rennes et le département, tous corps représentés, toutes tendances politiques confondues, rendirent une dernière fois hommage, en cette église de Toussaint si proche du lycée de garçons auquel il avait voué toute sa fin de carrière.
Il y était arrivé, accompagné de son fils, par une noire nuit de novembre 44, au terme de deux interminables trajets en train, d'une durée globale de 40 heures. Il arrivait d'Aix-en-Provence où, seul proviseur non-révoqué, il avait joué le rôle de conseiller pour l'enseignement auprès d'un Raymond Aubrac[3] accaparé par les tâches de maintien de l'ordre, le redémarrage de l'économie et la question cruciale du ravitaillement. La famine sévissait en Provence. Rennes, elle, semblait sinistre : de la gare (bombardée) au lycée (éventré) nos voyageurs avaient parcouru dans l'ombre, une avenue Janvier réduite à des caves où s'abritaient des familles. [...] L'Académie de Rennes, Maurice Fabre la connaissait déjà pour y avoir fait ses premiers pas d'administrateur à partir de 1927 au lycée de Laval, puis, de 1929 à 1931 - date de son agrégation - au lycée de Pontivy comme censeur des études. Pourtant lorsqu'il découvrit, à la lumière du jour, le prestigieux lycée de garçons de Rennes dont il avait gardé l'image, le choc fut rude.
Derrière le bâtiment de façade avec sa brèche ouverte par une bombe sur trois niveaux, et ses toitures, soufflées par la destruction du pont Saint Georges, les locaux restants, quoique toujours debout, étaient en piteux état. Pas toujours facile de démêler ce qui était imputable aux décennies d'incuries antérieures, à l'occupation par les troupes allemandes ou aux dernières convulsions de la guerre ! Beaucoup de fenêtres, de portes manquaient ou ne fermaient plus, les toits qui subsistaient avaient des fuites, les plâtres s'effritaient, les parquets étaient crevés et l'électricité circulant dans des fils d’aluminium (par lesquels les occupants avaient remplacé le cuivre) éclairait mal et menaçait à chaque instant d'allumer l'incendie.
La communauté scolaire dispersée aux quatre vents en 1943 était déjà en voie de reconstitution ce qui écarta le spectre d'une démolition pure et simple. Les effectifs augmentaient même très rapidement : de 950 élèves en 1938, le lycée était passé à 1150 dix ans plus tard, 1200 en 1951 et 1400, dont 180 prépas en 1955. Sans compter, à partir de 1952, l'accueil du CPA, l'ancêtre de l'IUFM.
C'est dire si l'équipe de direction était soumise à rude épreuve dans un lycée sinistré, conçu à l'origine pour moins de 700 élèves, et dont la reconstruction, à la grande exaspération du proviseur, n'avançait guère ! Poser des rustines de zinc sur les parquets pour éviter les accidents (certaines y sont encore !), donner quelques coups de peinture sur les parties non dégradées, l'établissement ne pouvait guère faire davantage.
Pour le reste, la municipalité et l'Etat se renvoyaient la balle. La première, propriétaire des lieux, n'entendait réparer qu'au coup par coup et à l'identique, l'autre se retranchait derrière l'absence de devis globaux incluant des améliorations pédagogiques pour surseoir au déblocage des crédits du Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Or l'évaluation des coûts était suspendue au bon vouloir d'un architecte qui donnait la priorité à ses propres affaires et l'exécution des travaux dépendait d'entreprises pour qui le chantier du lycée était un bouche-trou entre deux chantiers privés. Pour parachever le tout, le vent qui soufflait d'Amérique amenait avec lui une image idyllique des «campus» d'outre-Atlantique, peu favorable aux lycées de centre-ville.
Le lycée ne bénéficia donc pas des terrains libérés alentour par l'Armée : celui de la «Manutention», déjà partiellement dévolu à la Radiodiffusion Française, ne vit jamais les terrains de sport que Maurice Fabre voulait y implanter (une belle occasion manquée !) et, sur le terrain de la caserne de « Kergus »[4], qui servait provisoirement de terrain de jeu, au lieu des salles pour les prépas qu'il réclamait, il dût se résoudre à voir s'élever « un gigantesque building administratif qui allait priver le lycée de la lumière sur toute une façade ». Dès 1950, en revanche l'Inspecteur d'Académie lui demandait de réfléchir à la structure d'une annexe, pour laquelle on avait retenu des terrains au lieu-dit «la Grenouillais», près de l'hippodrome des Gayeulles et, cinq ans plus tard, c'est encore à lui que l'on confiait le soin de dessiner un programme pédagogique pour le lycée-sud prévu dans le parc du château de Bréquigny.
Dès lors se posait la question d'un nom pour le lycée. Maurice Fabre qui avait avancé (déjà !) le nom de Chateaubriand[5], proposa celui d'Edmond Laillé[6], ce résistant de droite, professeur des classes élémentaires, qu'il avait vu mourir à son retour de déportation. Il partit en retraite, en 1957, sans avoir pu imposer ce geste d'hommage à la Résistance. La Résistance, Maurice Fabre y était rentré comme naturellement.
Proviseur au lycée de Périgueux depuis 1934, il avait vu arriver en 1938 des réfugiés Républicains espagnols[7] et, avec son épouse, les avaient hébergés ; puis vinrent, en 1939, les repliés d'Alsace conduits par l'adjoint au maire de Strasbourg Naegelen et, parmi eux, des juifs français et étrangers, que, le moment venu, ils se firent un devoir de protéger… Le 18 juin, au soir, il entendit l'Appel, sans retenir le nom de celui qui l'avait lancé. Le 4 septembre 1940, il fut de ceux qui, à l'instigation de Maurice Schumann sur les ondes de la BBC, déambulèrent, cravatés de noir, «rue du 4 septembre» en l'honneur de la République morte, sept semaines auparavant, avec la proclamation de l'Etat Français. Nul ne sut qu'il avait caché les armes des officiers du 15ème tirailleur et du 25ème de ligne, mais il fut soupçonné de «gaullisme actif», pour avoir conformément aux ordres reçus «d'en mettre partout» - laissé mettre des portraits du Maréchal jusque dans les pissotières et les WC du lycée ! On le muta d’office.
À peine avait-il rejoint son poste à Aix-en-Provence, qu'en novembre 42, les Allemands envahissaient la zone non-occupée. Le lycée, occupé aux trois quarts par les nazis, était un lieu idéal pour observer leurs mouvements. Maurice Fabre intégra alors un réseau, politiquement très composite, spécialisé dans les évasions et plus encore le renseignement. Vint le temps de la Libération. Elle arrivait trop tard pour son épouse, décédée le 11 mars 1944 mais plus tôt qu'ils ne l'avaient tous deux envisagé, cet après-midi, lourd de défaite, du 18 juin 40 où, s'adressant à leur fils et à ses camarades, ils leur avaient dit : «Maintenant il y a de grandes chances que tout soit perdu. Alors n'oubliez pas que vous êtes la génération de la revanche et que dès maintenant il faut tout faire pour résister aux boches et récupérer le Nord et l'Alsace-Lorraine». En évoquant, ainsi, la longue patience de «la Revanche», en focalisant le patriotisme sur le recouvrement intégral du territoire national, ils avaient analysé la situation avec les mots et les sentiments de leur génération : celle de la « Grande Guerre ».
Cette guerre-là, Maurice Fabre l'avait faite de bout en bout, d'août 1914 jusqu'à cette ultime opération aérienne dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918, au terme de laquelle, sur les neuf avions que comptait l'escadrille, deux ne revinrent jamais... Avant d'être promu «pilote de nuit» en 1917, il avait connu la vie dans les tranchées avec le 117ème de ligne, et participé à tous les combats, en Artois, à la «Main de Massiges», en Champagne, à Verdun, Vaux, Douaumont, au «Chemin des Dames». Une expérience ineffaçable et largement indicible qui le conduisit, la retraite venue, à participer activement aux mouvements des Anciens Combattants et à devenir vice-président de l'association «Ceux de Verdun». Blessé deux fois dans l'infanterie, descendu et blessé une nouvelle fois comme aviateur, Maurice Fabre avait eu beaucoup de chance de sortir vivant de la guerre ; mais, par deux fois, il avait été gazé et cela l'empêcha à jamais, de réaliser son rêve.
Car la vraie « patrie » de Maurice Fabre, la passion de toute sa vie, ce fut l'art lyrique. Un amour du lyrique sucé au lait d'une mère musicienne qui, avant de perdre sa voix, avait chanté en concert et, devenue veuve, complétait son salaire d'institutrice en donnant des leçons de piano. Le jeune Maurice Fabre, grâce à sa réussite au très sélectif concours des bourses, avait pu faire ses études au lycée Montaigne puis à Louis-le-Grand. Sa mère dut cependant l'obliger, en 1914, à terminer la licence d'histoire-géographie qui allait lui permettre cinq ans plus tard d'entamer une carrière dans l'enseignement. Il faut dire que le jeune homme, doté d’une belle voix de fort ténor, n'envisageait pour l'heure qu'une carrière lyrique. Tirant parti des leçons de chant que lui avait payées sa mère, il s'était déjà produit dans des concerts et avait même interprété, une fois, le rôle de Werther dans la salle du Trocadéro ! La guerre décida d'une autre route. Sans renoncer pour autant à chanter de temps à autre, [...] il saisit, alors, toutes les occasions de faire partager sa passion et s'exerça même à la création.
Il lui fallut attendre la retraite pour qu'entre deux conférences et la mise en chantier de quelques livres et pièces de théâtre sur Ney, Moreau et le ténor Elleviou[8], il s'attaquât à la rédaction d'un livret d'opéra-comique qu'il comptait faire représenter sur une musique de Legrand : Saladin.
S'il n'eut pas le temps de mener à terme ces projets, il fut, en collaboration avec les Directeurs Legrand et Nougaro, l'artisan de la création, en 1957, de la «Société des Amis du Théâtre et de l'Art lyrique». Son fils, Paul Fabre, estime à plusieurs centaines les œuvres qu'ils virent et apprécièrent ensemble, en 23 ans, et nombre d'élèves des années cinquante, tel René Carsin se souviennent encore avec émotion, de ce proviseur qui retenait pour eux des places au «poulailler», chaque fois qu'une œuvre lyrique était programmée au Théâtre de Rennes. »
— Agnès Thépot
Origine : L'écho des colonnes, numéro 18, janvier 2004 - https://amelycor.fr/echo/echo18base%202016.pdf • Recueilli par Manu35 • 2025 • licence
Sur la carte
Note et références
- ↑ Délibérations municipales, Archives de Rennes
- ↑ https://amelycor.fr/echo/echo33.pdf
- ↑ rue Raymond et Lucie Aubrac
- ↑ square de Kergus
- ↑ quai Chateaubriand
- ↑ rue Edmond Lailler
- ↑ alors que dès juin 1937 arrivent les premiers réfugiés espagnols à Rennes
- ↑ rue François Elleviou

