Libération de Rennes

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Ier AOÛT, COUP D'ARRÊT A MAISON BLANCHE

Juin et juillet 1944

Dès le 6 juin, l'annonce du débarquement des alliés en Normandie a des effets immédiats à Rennes. Les bombardements des 9 et 12 juin 1944 déclenchent un affolement qui s'avérera prématuré de près de deux mois, chez les Allemands : des troupes commencent à quitter Rennes. Les soldats prennent partout les bicyclettes. Des officiers partent en auto, en camions, emportant leurs valises. Les "souris grises" ont été embarquées en camions . "Ils partent ! Personne n'en croit ses yeux." Les routes sont barrées par les Allemands, ce qui a empêché l'arrivée du ravitaillement. La ville est sans lait."[1] et il y eut le 18 juin 1944 : un dimanche ensoleillé et des bombes.

Le colonel Eugen König, chargé de la défense de Rennes, plus tard Generalleutnant
Canons de la batterie allemande à Maison Blanche

Dans la matinée du 7 juillet, l'armée allemande s'était livrée à des tirs d'artillerie à diverse entrées de Rennes : notamment au nord de Saint-Grégoire vers Montgermont (route de Saint-Malo), de la route de Fougères en direction de Liffré, vers Thorigné, au sud du Rheu et au nord-ouest de Pacé (route de Saint-Brieuc), de Chantepie à Cesson (route de Paris). La population avait été avertie la veille que l'accès à ces terrains serait interdit et qu'il y avait danger de mort à y pénétrer[2]. Les troupes allemandes avaient commencé à quitter la ville dans les derniers jours de juillet: "au cours de la nuit du 30 au 31, les officiers de la Feldkommandantur sont partis précipitamment, emportant leurs bagages. Des convois traversent la ville mais, dans les voitures, il n'y a plus que des colis, ni armes, ni munitions"[3]. Les Allemands accentuent leur replis le Ier et le 2 août.[4] Cependant le colonel Eugen König y commande deux bataillons de recrues amenés du Mans, soit 1900 hommes équipés de mitrailleuses et de lance-roquette antichar (Panzerfaust)[5], s'ajoutant aux restes de la 9Ie division d'infanterie ( 91.Luftlande-Infanterie Division) amenés par le général Fahrmbacher "pour défendre Rennes, une ville commerciale de 80000 h. [...] considérée par certains comme la ville la plus laide du pays" (!). Cette appréciation américaine a sa source dans un guide britannique de 1895 et fut reprise ensuite dans divers guides de langue anglaise : dans son North-Western France Augustus J.-C. Hare qualifiait Rennes de "ville la plus morne de même qu'elle est presque la plus laide du pays"[6]

Major General John Shirley Wood, commandant de la 4th Armored Division; (de Wikimedia Commons)


Un des canons Flak 18 de 88 mm de la batterie allemande devant la ferme de la Chesnaie

Mais trois semaines plus tard, le Ier août, se termine l'opération Cobra entamée en Normandie : par la route d'Antrain des éléments de la 4e DB américaine dirigée par le Major General John S. Wood commandant la 4e division blindée (4th Armored Division),sous les ordres des généraux George Patton et Omar Bradley, descendent d’Avranches. "La longue descente sur Rennes ne fut pas une promenade dominicale dans un parc". Bien que la résistance allemande se fut évanouie au sud d’Avranches, il n’y avait aucune certitude quant à ce que rencontrerait la 4e blindée à mesure de l’approche du prochain objectif d’importance. Le 10e bataillon d’infanterie blindé (AIB) aurait bientôt un échantillon de ce que les Allemands lui réservaient à Rennes". Ce jour-là, un membre de la compagnie A, sans égal pour son audace et sa réussite mena une mission de reconnaissance bien particulière. Le soldat de première classe du 10 e bataillon d’infanterie blindé, Wilfred Pelletier, était d’ascendance française comme son nom l‘indiquait et parlait français couramment. Il fut volontaire pour se mettre en civil et paraître un civil français pour faire une mission de reconnaissance approfondie des positions ennemies. Il se promena dans la campagne et fut bientôt chez les Allemands sans avoir été interpellé. De fait, il resta avec les troupes allemandes ce soir-là et demanda à l’une de leurs sentinelles de le réveiller à 7 heures du matin. Et l’Allemand s’exécuta ! Pelletier revint avec une moisson de renseignements sur les positions ennemies et leur dépôt de stocks. L'objectif premier était de "contrôler la hauteur entre Saint-Laurent et Lesboria"( "Lesboria" , déformation phonétique de Le Poirier, ferme à l'ouest de la route (à l'emplacement de l'actuelle rue du Poirier Nivet).»[7]

À 4,2 kilomètres de la place de la Mairie de Rennes...

Les chars et les autochenilles s’arrêtent avant Maison-Blanche, sur la commune de Saint-Grégoire, à 4 km de la place de la Mairie de Rennes à vol d'oiseau. Est installée ici depuis mars 1943 une batterie de DCA mixte (Gemischte Flak-Abteilung 441) avec 6 canons de 88 m/m , 2 canons quadri-tubes de 20 m/m, une centaine de fantassins disposant aussi de mitrailleuses et lance-roquettes antichar. Les Américains savent l'existence d'une batterie allemande quelque part dans le secteur mais ne la situent pas exactement.

Combat de Maison Blanche : 11 chars et 3 autochenilles détruits [8]

Des conseils qui font long feu...

Jean Chasle, 23 ans, qui habite la ferme de la Chesnaie où cantonnent les Allemands, est au lieu-dit Roulefort, 1,5 km au bord de la route en direction de Betton, occupé à nettoyer un talus à la faucille, quand il voit arriver une drôle de voiture avec des soldats et, derrière, des chars marqués d’une étoile blanche. Ce sont les Américains que l’on croyait à Avranches. L’un d’eux lui dit être Pierre Bourdan - et il connaît cette voix française de l'émission Les Français parlent aux Français - qui lui demande où est la batterie allemande. Chasle explique qu’elle est près de chez lui, au nord de la ferme Les Fontenelles, dans des cuves bétonnées et cachée aux vues par des haies, aussi tente-t-il, deux fois, de les dissuader ( " Ils vous tireraient comme des lapins") et il leur conseille d’entrer dans Rennes ("comme dans du beurre") par la route qui, au passage à niveau, mène à gauche à la route Fougères-Rennes. Mais l’officier américain dit que les chars ne sont pas faits pour les combats de rue et exige qu’il les conduise à la batterie. Chasle pédale donc sur son vélo, suivi de la jeep et des chars, l'un deux ayant cassé les barrières du passage à niveau fermées alors que les trains ne circulent plus, et les mène jusqu’à la cour de la Chesnaie, les chars restant en arrière en file sur la route. Chasle va rejoindre son père qui quitte les lieux avec la famille. L’officier américain de la jeep a un entretien avec le capitaine Schmidt, commandant la batterie de DCA [9] [10]

Les Allemands font mouche : de lourdes pertes

Autochenille de 1944

A 15 heures le secteur est atteint par des tirs de la batterie de Flak de Chantepie, les chars avancent et sont en butte aux tirs allemands. Le commandant du bataillon, le lieutenant colonel Kirkpatrick et l’officier commandant le bataillon de chars 37, le capitaine Tiegs, sont atteints en terrain dégagé pendant le tir de barrage et un obus éclata au-dessus de leurs têtes, blessant sérieusement les deux officiers. Le major Arthur L. West, qui se tenait près de Kirkpatrick lorsqu’il fut touché par l’obus, prit le commandement du 10e bataillon d’infanterie blindée et le Ier lieutenant Leach reçut le commandement du 37e bataillon. La division blindée perdit 11 chars sur 25 et 3 autochenilles touchées par la batterie de DCA œuvrant à tir tendu.[11] . Les troupes américaines se retirent de plusieurs kilomètres sous couvert d'un rideau de fumée et 30 P.47 Thunderbolts pilonneront les positions de DCA allemande.

Au milieu des pommiers, un char frappé par un tir de canon allemand de 88 mm

Un témoignage sur le combat de Maison Blanche

« ... Puis, à Ducey, je fus rattaché au 10 e bataillon d’infanterie blindé, ils étaient bien équipés et on poussa sur Rennes. Ils me mirent un chalumeau au cul pour me bouger et ceux du 53e il fallait aussi leur bouger le cul. En arrivant sur Rennes, il y avait deux buttes par ici sur le côté (NDRL : la présence de buttes n'est pas avérée) et des baraquements au pied de ces buttes. On appelle ça « exploitation et poursuite » : vous foncez dans l’ennemi à l’occasion mais vous n’êtes pas censé engager le combat avec l’ennemi latéral, on tire dessus mais on continue de rouler. Donc on passait à côté et je tire sur ces soldats qui sortaient des baraques et courraient vers ces buttes. Eh bien, ces buttes étaient des emplacements de canons de 88 mm antiaériens, des vrais, tous les deux. Alors je leur tire dessus et je fonce parce qu’on était en tête et qu’on devait foncer et j’étais chef de section, Tiegs capitaine, et nous voilà dans les haies de Rennes, notre colonne en arrière sur la route et voilà ces canons de 88 mm qui tirent sur la colonne le long de la route : pchi, pchi [...] Je me souviens de ce chef de section de mortiers du 10 e qui grimpa sur un arbre pour diriger les tirs de mortier et alors qu’il était en haut sur l’arbre les Allemands descendirent l’arbre sous lui et il tomba par terre. On s’est foutu de lui pendant longtemps. Finalement la 35 e blindée l’emporta et les neutralisa." Jimmie Leach [12]. Ce témoignage semble un peu simpliste et "arrangé" quant à sa chute au vu du déroulement du combat.


Les Allemands avaient bien tenté de paralyser l'effort américain par des frappes aériennes mais ne réussirent qu'à perdre trois appareils irremplaçables.[13] Wood attend des renforts en hommes, vivres, carburant et munitions. Le général Wood amorce, le 3, avec une partie de ses troupes du groupe de combat A, parties de Saint-Aubin d'Aubigné, un large débordement de Rennes par l'ouest, par Melesse, Montfort, Talensac, Lohéac, Maure, et Bain-de-Bretagne sera atteint le 3 août en début d'après-midi.

La ville de Rennes reçoit pendant trois jours par intermittence des obus, probablement pour tenter de convaincre l'ennemi de la quitter.[14] La libération de Rennes se sera effective que le 4 août. Le 5 août, questionné par Yves Milon sur ces tirs d'obus, le général Patton aurait répondu avec son humour : "Avant d'entrer chez quelqu'un, on frappe toujours." *

Les jours suivants, les Rennais iront nombreux à Saint-Laurent et Maison Blanche voir les vestiges des combats.


AUBE DU 4 AOÛT 1944 : LA 4e D.B AMÉRICAINE EST À LA PORTE DE RENNES, LES RÉSISTANTS SONT DANS LA PLACE MAIS LES PONTS SAUTENT

3 août

Dans Rennes, une alternance administrative en douceur

Quelques jours avant, certain du succès allié, le maire avait voulu avoir à l'hôtel de ville la grande flamme tricolore qui flottait au beffroi les jours de fête, pour l'y déployer lors de la Libération. C'est son adjoint Lebastard qui l'apporta de la voirie, au nez des Allemands, enroulée autour de sa taille, ce qui lui fit une belle corpulence, la flamme mesurant huit mètres.

Le 3 août au matin, alors que les Allemands viennent de faire partir nuitamment le dernier train de résistants déportés qui emporte aussi 293 soldats américains, 81 britanniques et 27 Canadiens [15] le docteur René Patay constate que l’aile sud de l’hôtel de ville, a été abandonnée par la Standhortkommandantur. Sur une table, il trouve soigneusement plié, le drapeau à croix gammée qui, pendant quatre ans, a flotté du balcon de l'hôtel de ville; il le prend ainsi qu'un mauser à crosse cassée et des munitions et met le tout dans une armoire de son cabinet. Le drapeau en ayant disparu, il pensa alors qu'il devait "orner l'appartement de quelqu'un qui doit se vanter de l'avoir enlevé au péril de sa vie".

Pierre Herbart, dit « général Le Vigan», délégué général du MLN pour l'ouest (Mouvement de libération nationale), avait été chargé de mettre en place les nouvelles autorités civiles avant l’arrivée des troupes alliées. Le plan de prise du pouvoir fut mis au point avec le futur commissaire de la République, Le Gorgeu et le futur préfet d’Ille-et-Vilaine, Cornut-Gentil, le comité départemental de Libération devant être présidé par le magistrat de Kérembrun. Herbart, qui disposait d'un groupe d'action spéciale destiné à l'insurrection civile, [16] expose au préfet régional Robert Martin et au préfet d’Ille-et-Vilaine Émile Bouché-Leclercq qu’il est chargé par la Résistance de mettre en place les nouvelles autorités, les conduit à l’hôtel de France où ils restent sous surveillance. Vers 16 h la police commence à arrêter des collaborateurs et des Rennais les conspuent et les houspillent rue Ferdinand Buisson. Vers 16 h 30 des avions de chasse alliés passent en rase-motte et sont acclamés. Vers 19h30, des agents casqués et quelques civils avec brassard tricolore au bras gauche se dirigent vers la mairie. [17]

Le docteur René Patay, nommé maire le 14 juin, est contraint de se démettre de ses fonctions, en présence de Hubert de Solminihac (Hémeric dans la Résistance), représentant du commissaire de la République nommé par le Comité d’Alger, il écrit sa lettre de démission et passe les pouvoirs à son premier adjoint, M. Gripon. On lui donne l’autorisation de se retirer dans une propriété qu’il possède dans les environs de Rennes. René Patay dit à de Solminihac en franchissant la porte : «  Maintenant c’est à vous d’empêcher les ponts de sauter. » .[18]Il est aussitôt remplacé par le résistant Yves Milon, nommé président de la délégation spéciale qui s'installe à la mairie.

En effet, dès la matinée de la veille, les Rennais ont vu des soldats allemands amener des caisses d'explosifs, sur les jardins de la Vilaine et près des ponts.[19]

char M18 touché par plusieurs tirs le 3 août au soir par la batterie allemande (photo Erwin Verholen)

En fin d'après-midi et nuit devant Saint-Laurent

"Fort des renseignements inestimables" ramenés par Pelletier, le 10e bataillon d'infanterie blindée rapporte qu'il détruisit facilement les positions et le dépôt ennemis. Tel ne fut pas le cas. En réalité, ce n'est que le 3 à 15 h 00 que le 13th Regimental Combat Team bataillon d'infanterie fut à pied d'œuvre devant les Gantelles sur la commune de Rennes, et à 17 h 30 que la compagnie A du 704th Tank Destroyer, en appui du bataillon de tête, lança une attaque et perdit son premier char M. 18 Hellcat, le A 13, sur tirs directs de canons anti-aériens allemands de 20 mm; (ce char réputé au blindage trop faible pour affronter une batterie antichar, perd trois des cinq hommes d'équipage tandis que le sergent Roger Turcan tire au canon de 76 mm jusqu'à épuisement des munitions et destruction du canon allemand). De lourdes pertes furent infligées à la compagnie C avant que l'ennemi ne se retirât.[20]

Le général Wood passe la nuit du 3 au 4 août chez les Chuberre dans leur ferme de la Guibaudière, située un kilomètre à l'est du passage à niveau de Maison Blanche, à 1,5 kilomètre de la batterie de DCA allemande et à 2,5 kilomètres des Gantelles au nord de Rennes. Le 3 août le C.C.A est depuis le début de l'après-midi à Bain de Bretagne et le C.C.B à Derval, 53 km au sud de Rennes. Un télégramme du général Hugh J. Gaffey, chef d'état-major de la 3 e Armée de Patton, lui ordonne d'aller sur Vannes, comme prévu, et non sur Angers comme Wood le souhaitait.[21]

On apprendra ultérieurement que, le 3 au matin, un train de résistants et de prisonniers alliés partit de la Prévalaye vers l'Allemagne[22]

4 août

Vers 4 heures du matin le 4 août, les servants restant de la batterie allemande mettent les canons hors d'usage et s'esquivent. Le colonel König, commandant les éléments allemands divers rassemblés à Rennes, a reçu du général Hausser vers 23 heures l’ordre officiel de repli, afin d'éviter l'encerclement total dans Rennes et 2000 hommes quittent la ville à partir de 3 heures du matin après avoir eu 60 morts et 130 blessés dans les combats de Maison Blanche et Saint-Laurent. [23]. Ils vont sortir de Rennes par les routes secondaires, les grands axes étant coupés depuis la veille après-midi par les troupes américaines.

A 5h20, les ponts sautent

4 août 1944 : les ponts ont sauté et voici les immeubles riverains du quai Lamartine

De son domicile du 22 quai Lamennais, René Patay assiste, en compagnie du professeur Duffieux, à la retraite des Allemands sans combat. Au matin, un galop de cheval rompt le silence suivi d’une formidable explosion qui ébranle les murs, effondrent des cloisons de briques et brisent les vitres de l’appartement : le pont de la Mission s’est effondré dans la Vilaine. Alors qu’ils descendent au rez-de-chaussée pour prendre un petit déjeuner, le pont de Nemours saute. D’après Mme Ladam, il est 5 h 20, puis, d’ouest en est les ponts sautent tour à tour, à quelques minutes d’intervalle. Les immeubles bordant le quai Lamartine sont détruits. Un peu plus tard, le docteur Patay pourra franchir la Vilaine sans encombre en voiture car la couverture entre le pont Jean-Jaurés et le pont de Nemours n'est que partiellement effondrée. De nombreux immeubles riverains sont fortement endommagés et les rues jonchées de gravats et de verre brisé.

Seuls les ponts Legraverend et de Saint-Martin subsisteront grâce au sang-froid de quelques riverains qui ont jeté la dynamite dans le canal. Au numéro 3 de la rue Saint-Yves s'élevait l'hôtel de Palys, construction tardive de style moyen-âge dont la façade sud était précédée d'un jardin donnant sur le quai Duguay-Trouin. Les Allemands y avaient installé un important central téléphonique et de radio qu'ils décidèrent de faire sauter en même temps que les ponts, dans la nuit du 3 au 4 août 1944. Deux Rennais, François Mahuas et Pierre Parthenay, munis d'un extincteur et d'un sac de sable pris dans l'ancienne chapelle voisine, éteignirent à temps les mèches ajustées aux explosifs, épargnant ainsi de lourds dégâts à cette rue.

Mme Ladam écrit : « Peut-être aurait-il été relativement facile à des gens armés – et il y en avait –d’empêcher la sentinelle ( il n’y en avait qu’une sur chaque pont) de mettre à exécution les ordres qu’elle avait reçus. » [24] "Une centaine d'hommes armées de fusils ou de revolvers, avec moins de dix cartouches par tête, ne pouvaient tenter le combat sans risquer d'aggraver le mal par des représailles sanglantes", telle est l'explication donnée dans le premier numéro de Défense de la France paru le 8 août en date du 9 août. De fait, les F.F.I. aux ordres de leurs chef départemental, le commandant Adam, ne sont pas intervenus. Le souci premier de la Résistance était d'établir à Rennes, première grande ville libérée, les représentants responsables d'une nouvelle administration française, conformément aux directives du général de Gaulle qui voulait réussir cette démonstration en vue d'éviter une implantation administrative militaire par les Alliés.(AMGOT : Allied Military Government in Occupied Territories[25]) De plus, les deux équipes Jedburgh chargées d'établir les contacts avec les groupes de Résistance d'Ille-et-Vilaine, composée chacune de trois hommes, avaient été parachutées le 10 juillet à ... Courcité dans l'est de la Mayenne, à 120 km de Rennes et ne parviennent en Ille-et-Vilaine que le Ier août entre Vitré et Fougères, trop tard pour assumer leur mission à Rennes.[26]

Les F.F.I. paradent place de la Mairie, le 4 août[27] L. Riordan

[28]

Vers 9h00, les libérateurs en ville

Surprise et liesse

Jean Marin, en uniforme de lieutenant de vaisseau, dont la jeep à fanion tricolore est bloquée dans la file des chars et camions américains, route de Fougères, du côté des Gayeulles, emprunte un vélo à un Rennais et pédale pour arriver vers 8h30 au palais du commerce pour contrôler la station de radio.[29]

Vue partielle de la foule rennaise devant la mairie le 4 août. [30]

Des soldats du 13e régiment d'infanterie U.S pénètrent prudemment dans Rennes, arme à la main, par la rue d'Antrain, par la rue Victor Hugo puis la rue Nationale pour gagner la place de la Mairie. Il est près de 9 h 30 et, en tête un GI de petite taille sous son casque, Fred Scherrer, 19 ans depuis un mois, fusil Garand M1 à la hanche, va déboucher sur la place de la mairie, déserte, dont il aperçoit à gauche le théâtre et sa rotonde, lorsqu'une jeune fille, descendue d'un immeuble, des fleurs et une bouteille de vin dans les mains, se jette dans ses bras et l'embrasse en criant " Je t'aime !"[31] [32] Jean Marin, homme d'Ici Londres, les Français parlent aux Français, maintenant de la Mission militaire de liaison administrative (MMLA), en tenue d'officier de marine, entré dans Rennes avec les Américains par les Gayeulles et la rue de Fougères les avait laissés pour gagner à vélo la place de la Mairie, avait pris à 9 h 15 le siège de la radio au Palais du Commerce et allait se rendre rue du Pré-Botté, au siège de l' Ouest-Éclair.[33]


Impressions américaines

The Baltimore News-Post, "journal du soir le plus important de tout le Sud", titre en date du jeudi soir 3 août, en énorme bandeau sur toute sa première page, au-dessus même de l'en-tête du journal, sur la prise de Rennes par les Américains (" Yankees") : YANKS CAPTURE RENNES

Les GI du 13e régiment d'infanterie, détaché de la 8e division, entrent dans Rennes vers 9 heures du matin et "acceptent les baisers et les vins des habitants libérés", rapporte Martin Blumenson. Les Rennais s'amassent peu à peu sur la place de la Mairie. "L'ancienne capitale de la Bretagne était belle, vrai parterre de fleurs multicolores au passage de nos unités de tête par les rues et avenues, fusil barrant la poitrine. Des femmes jeunes et vieilles accouraient pour nous serrer la main et embrasser ces Américains survenus et, au passage de nos jeeps et véhicules, les Français, dont beaucoup essuyaient des larmes de joie, accablaient notre convoi de fruits et de fleurs et démontraient leur quasi unanimité en criant "Vive l'Amérique !". [34] Un journaliste américain qui a couvert les combats de Normandie depuis le 6 juin constate que "l'arrivée des Américains ne s'est pas traduite par bombes et obus rasant des maisons de civils. Il n'y a pas eu de féroces combats de rue et maison par maison. Il y a bien eu quelques dégâts mais que l'on répare rapidement, estime-t-il. [...]De longues files de véhicules alliés s'écoulent à travers la ville. Une jeep a des portraits d'Hitler et de Goering ficelés à la roue de secours, leurs visages barrés d'une grande croix noires. Les citadins acclament, rient et chargent les jeeps de fleurs. Il note deux événements "inoubliables" : le défilé de 24 meneurs (sic) de la Résistance, fusils sur l'épaule. "C'étaient des hommes vieux, jeunes, aux teints clairs ou bronzés. Ils ne manoeuvraient pas très bien et paraissaient un peu débraillés [...] Ils étaient fiers et Rennes aussi". L'autre fait  : un vieillard grimpé sur une coupole et embouchant une trompette pour jouer la Marseillaise. "Aux premières notes les gens étaient silencieux, les larmes leur venant, puis ils se mirent à chanter. Le son, d'abord faible, résonna avec écho entre les murs à mesure qu'augmentait le nombre de ceux qui chantaient" [35] Les Rennais s'amassent, dans la matinée, devant la mairie pour les acclamer ainsi que les nouveaux dirigeants au grand balcon nord de l'hôtel de ville décoré du drapeau français et de la bannière étoilée : Jean Marin, voix de la France Libre et le colonel de Chevigné, délégué militaire pour le front nord, entré en ville avant les troupes américaines. Certains pourchassent des Rennais dénoncés comme collaborateurs. On arrache les pancartes en allemand.

Pour s'exprimer en français les soldats ont un petit manuel de langage parlé, édité par le War Department en juin 1943, à la prononciation phonétique adéquate : " juh nuh KAWM-prahng PA. par-lay LAHNT-mahng, seel voo PLAY" pour "Je ne comprend pas. Parlez lentement, s'il vous plaît".[36]

French language guide : guide du français parlé


"Soudain à Rennes ce matin-là, j'entendis une agitation : une jeune femme était emmenée violemment au poste de police tandis que des personnes présentes la conspuaient et crachaient sur elle" - John G. Morris
A Rennes la chasse aux collaborateurs est ouverte;[37]

Des troupes de la 8e division d'infanterie ( 8th Infantry Division) vont prendre le relais et sécuriser Rennes et ses abords.

Très vite, les soldats américains, dont beaucoup sont noirs, déblaient les rues et des ponts Bailey britanniques, composés d’éléments modulaires, vont suppléer les ponts détruits. Le journal Défense de la France, encore clandestin 8 jours avant, quotidien du soir du Mouvement de la Libération nationale,

Défense de la France, journal provisoirement imprimé à Rennes

, 38 rue du Pré-Botté à Rennes sur une seule feuille, ( qui deviendra France Soir dans Paris libéré) s'étonne dans son n° 8 du 17 août 1944, "de voir des soldats américains, avec leur matériel, occupés à déblayer les débris de mur et de vitres, balayer les trottoirs, replacer les pavés sans qu'un seul ouvrier français n'ait l'air de vouloir sans mêler. La foule admire les efforts de nos braves "boys" avec componction, les encourageant volontiers du geste et de la voix, mais reste rigoureusement passive."


Dès le lundi 7 août, bonjour Ouest-France !

Remplaçant l'Ouest-Eclair paru sous l'occupation allemande, le premier numéro du quotidien Ouest-France sort 3 jours après la libération de Rennes
Information sur la parution de ... France-Ouest
Libération de Rennes, photo de couverture d'un ouvrage sur Rennes dans la guerre 1939/45

En application d'une ordonnance du 22 juin 1944 de mise sous séquestre des entreprises de presse après le débarquement, un comité régional de presse se réunit dès le 6 août, à la préfecture, présidé par Henri Fréville, composé de deux membres du Comité départemental de libération d'Ille-et-Vilaine et de deux journalistes représentant les organisations syndicales, pour prendre acte de la suppression du journal l'Ouest-Eclair, approuver la création du quotidien Ouest-France, dont le directeur serait Paul Hutin, et l'impression à Rennes du journal clandestin désormais public Défense de la France.

Affiche imprimée à Rennes par l'Imprimerie bretonne donnant aux soldats allemands les modalités pour se rendre aux troupes alliées- août 1944

Le 3 août, Henri Fréville, chargé de mettre en place la presse nouvelle, avait reçu un billet de Paul Hutin, ancien secrétaire général de l'Ouest-Eclair, démissionnaire en juin 1940 à l'arrivée des Allemands, revendiquant le droit de reprendre son poste, ce qui était d'ailleurs bien dans les desseins du comité de libération.

Diplôme de citoyen d'honneur de la Ville de Rennes remis au général Patton, commandant en chef des troupes américaines ayant libéré Rennes

Le 4 vers 13 heures, de nombreux membres du personnel se sont réunis dans la salle des rotatives avec Paul Hutin-Desgrées, Jean Marin et Alphonse Aubrée, administrateur. Ceux-ci prirent la parole pour affirmer que le grand quotidien mènerait le combat du redressement national dans le droit fil de ses origines, et pour présenter les lignes de la politique d'information qui allait être menée. Le lendemain, 7 août sortait le premier numéro, trois jours après la libération de Rennes.[38] Curieusement, la revue mensuelle Accord, diffusée en France occupée par les aviations alliées, annonça la création à Rennes de ... France-Ouest avec deux autres erreurs : l'existence d'"un rédacteur en chef appointé par le Comité National de Libération, un professeur de la faculté de Rennes, membre de la Résistance" ( "appointé" étant une mauvaise traduction du terme anglais "appointed" qui signifie "désigné", et Henri Fréville n'en était pas le rédacteur en chef.[39]

Montage édité par Charles Martin. Commentaires de Rex Keating.



Références

  1. Les Heureuses douloureuses de Rennes, par V. Ladam. Imp. Les Nouvelles
  2. L'Ouest-Eclair du 6 juillet 1944
  3. Les Heures douloureuses de Rennes, par V. Ladam. imp. Les Nouvelles
  4. Notes d'un vieux rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes
  5. Retreat to the Reich, The German Defeat in France 1944 par Samuel W. Mitcham, Jr. dans Stackpole Military History Series - 2007
  6. Rennes dans les guides de voyage du XIXe siècle, par Étienne Maignen. Bulletin et mémoires de la Sté archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine. t. CXII -2008
  7. Patton's Vanguard, the United States Army Fourth Armored Division, par Don M. Fox, éd. Macfarland - 2003
  8. Copyright Nous, créateur de cette œuvre ou ayant droit, n'autorisons aucune réutilisation de cette oeuvre sans notre autorisation, en dehors des exceptions permises par la législation française sur la propriété intellectuelle.

  9. Entretien d'Étienne Maignen avec Me Jean Chasle, le 21 mars 2013
  10. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013
  11. Herbert R. Bachant, un libérateur mort devant Rennes
  12. James Herbert "Jimmie" Leach, lieutenant d'infanterie blindée, de Breakout (traduction Étienne Maignen)
  13. Operation Cobra. CSI Fort Leavenworth, Kansas
  14. notes d'un vieux rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes
  15. Le dernier train de résistants déportés quitte Rennes juste avant la libération
  16. Défense de la France du 15 août 1944
  17. Mémoires d'un Français moyen, par René Patay -1974
  18. Mémoires d’un Français moyen par René Patay – 1974
  19. Ouest-France du 7 août 1944
  20. Headquarters Thirteenth Infantry APO#8 U. S. Army. The combat Hisrory of the 704th Tank Destroyer Battalion. Edited by Lonnie Gill
  21. Le front des oubliés, par Daniel Laurent et Roger Levenette, Histomag'44 - Jan-fév. 2012
  22. Le dernier train de résistants déportés quitte Rennes juste avant la libération
  23. U.S Army in World War II- Breakout and pursuit. chap. 19, par Martin Blumenson
  24. Les Heures douloureuses de Rennes par V. Ladam - imp. Les Nouvelles
  25. https://fr.wikipedia.org/wiki/Allied_Military_Government_of_Occupied_Territories
  26. L'action des forces spéciales alliées en Ille-et Vilaine : les équipes Jedburgh Guy et Gavin (juillet-août 1944), par Yann Lagadec. Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine. t. CVII - 2003
  27. cliché U.S.I.S (service d'information des Etats-Unis)
  28. Rennes pendant la guerre. Chroniques de 1939 à 1945, par Etienne Maignen. Editions Ouest-France - 2013
  29. Petit bois pour un grand feu, par Jean Marin. éd. Arthème Fayard - 1994
  30. Accord n°9. Revue mensuelle diffusée en France occupée par les aviations alliées
  31. Le "big" baiser rennais au GI Fred.Ouest-France, édition de Rennes, 5 août 1994
  32. témoignage de René Herbault, Ouest-France, édition de Rennes, 1er juin 2010
  33. Petit bois pour un grand feu, par Jean Marin, éd. Fayard -1994
  34. Report of Enemy Action, 13th Infantry APO US Army, September 4 1944.
  35. Quand Rennes chante la Marseillaise c'est l'esprit de la France qu'on entend, par G. K. Hodenfield. Stars ans Stripes.(journal de l'armée américaine)
  36. French language guide- War department Washington, June 21, 1943
  37. photo USIS (United States Information Service)
  38. La presse bretonne dans la tourmente - 1940-1946, par Henri Fréville. Plon - 1979
  39. Accord revue mensuelle illustrée numéro 9


Liens internes

* le combat du Ier août 1944 à Maison Blanche

* Herbert R. Bachant, un libérateur mort devant Rennes

* détenus des prisons de Rennes

* Victor Janton

* Notes d'un vieux rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes

* Rennes d'histoire et de souvenirs quatrain 55